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Gilles de Kerchove : « Il faut améliorer l’échange d’informations entre police et justice au niveau européen »

Gilles de Kerchove est le monsieur « antiterrorisme » de l’Europe. Haut représentant pour la coordination de la lutte contre le terrorisme et représentant personnel du secrétaire général du Conseil de l'UE, Javier Solana, il fait le point sur la lutte contre le terrorisme en Europe.

Quelle est la priorité en matière terroriste dans les temps à venir ?

J’espère que la présidence française fera progresser la coopération entre Europol et Eurojust (1) en matière d’analyse criminelle et de lutte contre le terrorisme.
Par ailleurs, il faut également que les polices et les parquets des pays membres alimentent suffisamment en informations ces deux instances, comme le prévoit la décision du Conseil de 2005. Il faut aller vers une transmission systématique des informations, mais certains pays sont réticents. En juin 2008, il faudra faire le point là-dessus.

Quel type d’échange de données fonctionne actuellement ?

Par exemple Check the web, qui permet de surveiller les activités terroristes sur internet. Mais quatre services en Europe surveillent le web chacun de leur côté. Il serait plus efficace de mutualiser ces forces sous la coupe d’Europol. Il faut accélérer la phase suivante qui consistera notamment à transmettre les informations récoltées à des pays non membres de l’UE.

Et en matière de prévention du terrorisme ?

Nous y travaillons de plus en plus, tant au sein de l’Union européenne que dans les pays tiers. Il y a des groupes terroristes à l’intérieur de l’Union : 2000 personnes sur lesquelles pèsent des soupçons mais pour lesquelles nous n’avons pas de preuves pour procéder à des arrestations.
Pour le terrorisme islamiste, je propose de créer un espace de dialogue avec des réseaux de musulmans modérés. Ce serait intéressant que la présidence française s’occupe de ce dialogue, forte de son expérience. Je souhaite aussi nommer un porte-parole en langue arabe et ainsi mieux expliquer ce que nous faisons auprès des communautés musulmanes.

(1) EUROJUST est un organe européen de coopération judiciaire entre les états membres qui coordonne les enquêtes et les poursuites au-delà du territoire national. Il est basé à La Haye.
EUROPOL est un organe de police intergouvernemental qui permet l'échange de renseignements notamment sur le terrorisme mais aussi sur les stupéfiants, la criminalité internationale et la pédophilie.

Propos recueillis par Florent Potier

Installé à Kehl depuis 2002, le CCPD contribue à la résolution des affaires transfrontalières. Mais pour une parfaite collaboration, il faudrait que les deux pays harmonisent leurs législations.

Un malfaiteur passe la frontière. A ses trousses, la police allemande. Impossible pour elle d’interpeller l’individu sur le sol français… bien qu’elle ait le droit de le poursuivre. Pour l’arrestation, elle doit contacter les services français. Un imbroglio qu’Alain Mirabel, directeur interrégional de la police judiciaire à Strasbourg, voudrait voir gommer : « Il faudrait modifier la Constitution française pour permettre à n’importe quel policier européen d’interpeller en France ». L’Allemagne quant à elle, accepte l’interpellation par des policiers français sur son territoire.
Deuxième casse-tête transfrontalier, la prostitution. « Nous avons démantelé un réseau bulgare : les femmes étaient domiciliées en Allemagne mais racolaient dans les rues strasbourgeoises », raconte Alain Mirabel. Ce qui implique trois législations différentes et autant de difficultés. La question de l’harmonisation du droit pénal est donc sur le tapis.
Autre souci, plus pratique celui-ci, les radios de communication françaises et allemandes ne fonctionnent pas sur les mêmes fréquences.
Tous ces problèmes concrets, constatés quotidiennement par les agents de terrain, ne semblent pas faire l’objet d’un changement à venir. La prochaine présidence française qui entend se pencher sur l’harmonisation du droit pénal, se concentre essentiellement sur la question du terrorisme.

Salle opérationnelle « H24 »

La coopération entre policiers français et allemands n’en est pourtant pas à ses balbutiements. A 500 mètres de la frontière, à Kehl, le bâtiment de briques orange du centre de coopération policière et douanière (CCPD) abrite la salle opérationnelle H24. Une soixantaine de policiers, gendarmes et douaniers, français et allemands y travaillent ensemble. Leur mission : faciliter 24 heures sur 24 le travail d’enquête entre la France et l’Allemagne, que ce soit pour organiser les recherches ou servir de traducteur. Les deux pays partagent leurs fichiers sur le terrorisme, les crimes, les cadavres, les infractions au code de la route, les catastrophes naturelles et les transports de déchets nucléaires.
« 10 à 15 % des affaires constatées ont une connotation transfrontalière. Avec la suppression des douanes, il a fallu trouver des alternatives pour garder le contrôle des criminels d’un pays à un autre », explique Alain Mirabel. « Nous avons inventé de nouveaux instruments pratiques, qui étaient prévus de façon théorique par Schengen », continue le commandant de police, Pierre-Paul Kraehn. Le CCPD est un de ceux là.

Pirates de cartes bancaires

Dans 95 % des cas, les affaires transfrontalières concernent la petite et la moyenne criminalité de proximité (stupéfiants, vols, prostitutions). Le centre gère aussi des problèmes liés à l’immigration, comme la circulation de faux papiers et l’identification de flux migratoires. Une autre affaire importante qui a mobilisé les policiers : le piratage des cartes bancaires par l’installation de faux lecteurs sur les distributeurs de billet. Une affaire de ce type a été résolue à Colmar en 2005 : des malfrats roumains ont été arrêtés en flagrant délit grâce à la collaboration franco-allemande. Actuellement, d’autres affaires de ce type sont suivies.
En décembre 2008, une décision cadre (18/12/06) obligera la France à fournir dans un délai de 8 heures les éléments nécessaires à une enquête d’un pays membres. Contre plusieurs jours actuellement.

Florent Potier

 

Faire franchir la frontière à l'« Alerte Enlèvement »

L’Europe s’intéresse de près au système Alerte Enlèvement diffusé à la télévision et à la radio française lorsqu’un enfant disparaît. Inspiré par la méthode, les 27 envisagent d’étendre la diffusion des messages vers les pays frontaliers concernés par l’enlèvement.
Les chaînes de télévisions et de radio frontalières, relayées par des annonces en gare et des panneaux d’affichage routiers, diffuseraient donc l’avertissement : «Un enfant a été enlevé...», donnant le signalement de l’enfant et du ravisseur, ainsi qu’un numéro de téléphone des services d’enquête.
Le 15 août 2007, Enis, un petit garçon enlevé en France, a été retrouvé à quelques kilomètres seulement de la Belgique. «C’est donc de part et d’autre des frontières qu’il faudrait pouvoir diffuser l’alerte», appuie Elisabeth Pelsez, conseillère au ministère de la justice.

Un modèle français

Ce système transfrontalier semble satisfaire les ministres de la Justice européens, dont certains ne jugent pas utile d’activer l’alerte sur l’ensemble des pays européens à chaque disparition d’enfant. Trop lourd et trop compliqué : traduire les alertes en 23 langues prendrait du temps, alors que le principal intérêt du système réside dans son déclenchement rapide.
Depuis sa mise en place en février 2006, le message «alerte enlèvement» est déjà apparu cinq fois sur les télévisions et radios françaises, inspirée par la méthode américaine Ambert Alert.
En août 2007, à l’issue d’une rencontre au ministère de la justice, Franco Frattini, commissaire européen, chargé de la justice et des affaires intérieures, a demandé à la Garde des sceaux Rachida Dati de «présenter le modèle français aux autres pays».

Réunis à Lisbonne le 2 octobre 2007, les ministres de la Justice des 27 ont déclaré vouloir «créer un mécanisme alerte enlèvement à l'échelle européenne, au fonctionnement souple, qui serait un complément à la coopération entre les autorités compétentes des Etats membres».
Quant à l’application effective du système, le cabinet de Rachida Dati est plus nuancé : «Un groupe de travail de la Commission ausculte la situation dans chaque pays. Des éléments concrets se mettront en place sous la présidence française», précise Elisabeth Pelsez.

Florent Potier

 

 

 

 

Pour lutter contre le terrorisme, les Européens s'inspirent des Etats-Unis. La transmission des données des passagers aériens aux polices des 27 pourrait devenir obligatoire.

Rendre les fichiers des passagers aériens accessibles aux policiers et aux juges : la France l’a souhaité. Le Commissaire à la justice Franco Frattini l’a officiellement proposé devant la Commission le 7 novembre dernier. Cet usage, basé sur l’exemple américain, est censé fournir un complément d’information dans la lutte globale contre le terrorisme.
Les fichiers PNR (Passenger Name Record) sont, à l’origine, des informations commerciales déclarées par le voyageur au moment de la réservation. Ils peuvent contenir des données comme le numéro de carte bleue, le prix du billet, les références de passeport ou l’adresse à destination(1). Depuis le 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont exigé d’accéder à ces fichiers pour les comparer avec leurs propres listes de suspects, puis pour établir des évaluations de risques dites "profilages". L'Union a du s'y plier.
Le projet de PNR européen pourrait aboutir sous présidence française. Mais le texte soulève encore de nombreuses questions notamment sur la finalité de l’utilisation des données, ou sur les conditions de transfert et de stockage des fichiers. Dans la proposition actuelle, 27 guichets PIU (Passenger Information Unit) seraient créés, un pour chaque pays-membre. Un cauchemar technique.

(1) La circulation commerciale de ces données est encadrée par une directive du 24 octobre 1995 sur la protection des données individuelles. Celle-ci ne couvre pas les usages policiers et judiciaires (voir ci dessous).

Manon Aubel à Strasbourg

L'observatoire de Statewatch: tout sur le PNR américain  

 

Combien ça coûte? A quoi ça sert?

L’accord PNR américain a coûté cher à l’industrie aéronautique. «Plusieurs millions par an», estime Arnaud Camus directeur du groupe de réflexion sur ce dossier depuis 2002. Pour Amadeus, qui conçoit les systèmes de réservation en ligne, l’investissement s’est élevé à cinq millions d'euros l’année dernière. A la direction des affaires internationales d'Air France, Arnaud Camus consacre presque la moitié de son temps de travail au problème du transfert de données. C’est au nom de l’AEA (Association of European Airlines), un groupement de 31 compagnies européennes, qu’il instruit le dossier du PNR: «Les coûts de transmission vont doubler cette année. Conformément à l’accord de l’été dernier, nous passons du push system au pull system, c’est-à-dire que les Américains ne chercheront plus eux-mêmes les données des passagers depuis nos bases, nous les leur enverrons nous-mêmes en quatre exemplaires.»
A la Commission, la chef de secteur à la protection des données a fait son estimation: «Si un PNR européen entrait en vigueur sur le modèle de l’accord américain, le billet de chaque passager augmenterait d’environ 20 euros», affirme Cecilia Verkleij.
Mais les compagnies le chiffrent beaucoup plus haut. A la direction de l’AEA, Athar Husain Khan a lui-même envoyé une lettre à la Commission. Selon lui, les coûts pour l’industrie aérienne auraient été sous-estimés. Car le dispositif choisi pourrait bien aboutir à 27 protocoles différents. «Ce n’est pas à nous de payer. La protection des citoyens contre le terrorisme relève de la compétence de l’Etat, et non de celle des compagnies aériennes», insiste-t-il.

«Nous demandons des preuves»

Avant de pouvoir manier les données personnelles de millions de personnes, la députée néerlandaise Sophia In’d Veld rapporteur sur les questions PNR au sein de la Commission LIBE du Parlement européen, souhaiterait que la Commission fournisse un minimum de preuves sur l’efficacité du système. «Nous n’avons même pas fait de bilan du PNR américain, et on projette déjà la création d’un PNR européen», regrette-t-elle. La Commission, affirme que les preuves existent, mais que ces informations sont classifiées. «Un argument nettement insuffisant au regard des atteintes à la vie privée de ce nouveau projet de PNR , rétorque Pascale Raulin-Serrier en charge des Affaires européennes à la Commission nationale des libertés et de l’informatique (CNIL). Si les autorités de protection des données étaient mieux associées au processus décisionnel, elles pourraient évaluer la justification et les conditions d’application du projet PNR.»
Il appartient aux présidences slovène et française de décider du rythme d’adoption du texte. Avec les pouvoirs que lui donnerait le nouveau traité, le Parlement pourrait contraindre le Conseil à reconsidérer la nécessité d’un PNR européen.
M.A

Bras de fer autour de la protection des données

«Rien n'est encore joué», promet Sophia In’d Veld, députée au Parlement (ALDE, Pays-Bas): «les opinions publiques sont sensibles à la protection des données, il faut s’assurer qu’elles soient informées de ce qui est en train de se décider», explique-t-elle.
Discutée depuis le 4 octobre 2005, la décision cadre sur la protection des données personnelles s’appliquera aux échanges d'information entre services policiers et judiciaires à l’intérieur et hors de l’Union européenne et au futur PNR européen. Si cet accord est voté avant le 31 décembre 2008, date prévue pour l'entrée en vigueur du nouveau traité, il le sera à l’unanimité avec une simple consultation du Parlement. En revanche, après cette date, le texte réclamera une procédure de codécision: le Parlement aura le même poids que le Conseil. C’est ce dont a convenu le 17 décembre Jonathan Faull, directeur général à la Commission, devant les eurodéputés. Il a cependant estimé le texte actuel «satisfaisant».
Ce n’est pas l’avis du Parlement qui compte faire le nécessaire pour ralentir la procédure d’adoption. Les critiques se sont en effet multipliées contre un texte qui n’a cessé d’affaiblir les garanties de protection individuelle. «La protection de nos données est en train de tomber en miettes», déplore Sophia In’d Veld. Pour la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), ce projet a été vidé de ses ambitions de départ: «il est maintenant question d'un accord a minima reposant sur un arsenal législatif limité. Par exemple, la référence à la directive 95/46/CE relative à la protection des données ou encore à la Convention 108 du Conseil de l'Europe: la vocation de cette loi était au contraire d’élargir les dispositifs de protection des données actuels», observe Pascale Raulin-Serrier, chargée des Affaires européennes. Autre inquiétude, l’absence de référence aux autorités de protection des données, pourtant au cœur du processus de contrôle et de surveillance.
A la Commission, Cecilia Verkleij se montre plutôt confiante. La chef de secteur à la protection des données assure qu’il existe déjà un certain consensus politique: «L’adoption de cette décision devrait se faire rapidement, probablement autour du mois de mars.» Mais pour la députée néerlandaise Sophia In'd Veld, «le Parlement a ses méthodes» pour s'assurer que le Conseil et la Commission ne tentent pas de passer en force.
M.A.

 

Les demandeurs d'asile à la même enseigne en 2010

Etablir un régime d’asile européen commun d’ici 2010 constitue une « une priorité nationale et une ambition européenne » aux yeux de Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement. Lors d’une visite au centre de transit de Villeurbanne en septembre 2007, celui-ci a affirmé qu’une « politique responsable de l’asile implique également l’éloignement des demandeurs déboutés ». La présidence française de l’Union européenne compte accélérer la mise en place d’une procédure commune d’asile et d’un statut uniforme des réfugiés politiques dans les 27 Etats membres. Et se mettre d’accord avec les autres pays sur les procédures d’éloignement des étrangers de pays tiers en situation illégale.

Le fichier Eurodac

« A terme, nous voulons un office européen de l’asile -au lieu des 27 administrations actuelles », explique Thierry Mariani, vice-président de la délégation pour l’Union européenne de l’Assemblée nationale et spécialiste des questions d’immigration. « Nous sommes déjà d’accord sur les statuts, sur la convention de Genève et nous avons un instrument qui fonctionne bien avec Eurodac. » Depuis 2003, ce fichier Eurodac répertorie les empreintes digitales des demandeurs d’asile, ce qui permet aux autorités de repérer les dépôts de dossier en cascade dans différents Etats et de renvoyer les demandeurs vers le pays responsable du traitement de leur dossier.
L’harmonisation des règles nationales vise à inciter les demandeurs d’asile à rester dans le premier pays d’accueil qu’ils rencontrent sur la route de leur exil et à éviter leur afflux vers les Etats les plus attractifs, notamment en matière d’accès des demandeurs d’asile au marché du travail. Les Britanniques appellent ce phénomène « asylum shopping », une dénomination qui assimile la démarche des demandeurs d’asile à celle de consommateurs choisissant la législation nationale qui leur est la plus favorable. La présidence française s’appuiera sur les conclusions de juin 2007 de la consultation lancée par la Commission -livre vert sur l’asile- et la feuille de route que le commissaire Franco Frattini présentera en juillet 2008.

Expulser à l'européenne

Aujourd’hui les demandeurs d’asile déboutés font l’objet d’une obligation de quitter le territoire français. Soit ils acceptent une aide au retour volontaire, soit ils deviennent des immigrés illégaux susceptibles d’être expulsés. C’est pourquoi Brice Hortefeux inclut le retour forcé comme une partie logique d’une « politique responsable de l’asile ». Thierry Mariani admet que « nous avons intérêt à éloigner la prise de décision pour être moins en prise à des campagnes de presse. Il vaut mieux avoir un avion européen avec 200 Maliens, c’est moins négatif qu’un avion français ou allemand. » Entre janvier et septembre 2007, la France aurait ainsi participé, selon le ministère de l’Intérieur, à 19 vols groupés organisés à son initiative ou à celle d’autres pays de l’Union européenne.

Accords de réadmission contre des visas meilleur marché

Principal problème : pour expulser un étranger en situation illégale placé dans un centre de rétention, il faut obtenir assez rapidement de l’Etat tiers concerné une réponse aux demandes de réadmission. Au bout d’un certain délai et faute de réponse –32 jours pour la France, 40 pour l’Espagne et dix-huit mois en Allemagne, l’étranger doit être relâché. Un échec pour les autorités nationales. Une proposition de directive européenne sur le retour forcé des immigrés illégaux suggère d’étendre ce délai maximum à 18 mois en cas de manque de coopération du pays du ressortissant.
La Cimade, association d’aide aux étrangers migrants, met en garde les eurodéputés, qui doivent voter la directive fin janvier 2008 : « La généralisation d’une politique d’enfermement des personnes étrangères pourrait ainsi devenir le mode normal de gestion des populations étrangères. » Mais la position des associations françaises est assez marginale. « La France a la durée de rétention légale la plus courte d’Europe », explique Françoise Poujoulet, de la Cimade Strasbourg. « Contrairement à certains pays qui se sont retrouvés soudainement face à des flux migratoires et ont utilisé la détention pour gérer ces flux, la France a une longue tradition d’immigration et a développé un système différent, aujourd’hui menacé ».
D’autre part, l’Union européenne a récemment accéléré ses négociations d’accord de réadmission, spécialement dans la région des Balkans. Petite récompense pour les pays tiers se montrant coopératifs : les frais de visa pour l’Union européenne passent de 60 à 35 euros.

Louise Fessard

A chaque pays sa méthode de sélection

Les Etats membres n’ont pas attendu la Commission pour rouvrir, chacun de leur côté, leurs frontières aux travailleurs immigrés dans les secteurs économique où le main-d’œuvre nationale est rare. Chacun a sa formule pour attirer saisonniers, employés hautement qualifiés ou non qualifiés.

En France et en Espagne, un système de listes

Suite à la loi du 24 juillet 2006, Brice Hortefeux a proposé deux listes de métiers ouverts aux travailleurs migrants. La première répertorie, région par région, 30 professions pour les ressortissants de pays tiers. Il s'agit de métiers qualifiés, comme informaticien ou géomètre. L'autre liste, plus longue et nationale, concerne les 150 métiers ouverts aux ressortissants des pays nouvellement membres de l'UE -pour lesquels les Etats membres peuvent limiter jusqu’à 2011 l’accès à leur marché du travail. C’est un large éventail de métiers, de l’informaticien au laveur de vitres.
De l'autre côté des Pyrénées, juste après la régularisation de 700 000 sans-papiers entre février et avril 2005, le gouvernement Zapatero a établi une liste de métiers qui peinent à recruter -saisonniers et emplois non qualifiés. Cette liste, renouvelée tous les trois mois en concertation avec les chefs d’entreprise et les syndicats énonce, région par région, les postes de travail pour lesquels il n’existe pas ou peu de main-d’œuvre espagnole. Parmi les principaux secteurs : l’agriculture et l’hôtellerie-restauration.

Au Royaume-Uni, un système à points calqué sur le modèle australien

Mis en place à l’été 2007, il permet de sélectionner les postulants à l’immigration économique selon leur âge et leurs diplômes. Cinq catégories de candidats sont concernés, du plus faiblement au plus hautement qualifié. Pas besoin d’offre d’emploi pour venir travailler en Grande-Bretagne. Ce plan d’immigration à points ne concerne pas les ressortissants des nouveaux pays entrants de l’UE, sauf la Bulgarie et la Roumanie, pour lesquels le Royaume-Uni a pris des mesures transitoires limitant l’accès à son marché du travail.

En Allemagne, des quotas par métiers

En 2000, le gouvernement a institué une carte pour attirer les informaticiens, notamment Indiens et Pakistanais. Depuis janvier 2005, les travailleurs hautement qualifiés disposant d’une offre d’emploi peuvent bénéficier d’un droit de séjour illimité. Le recrutement de travailleurs peu qualifiés ou sans qualification reste soumis à des dérogations.

Julie Algré

Pour répondre au vieillissement de sa population et combler des pénuries de main-d’œuvre, l’Union européenne entend faire appel aux travailleurs immigrés. Mais pas n’importe lesquels : elle cherche en priorité des travailleurs qualifiés.

La course aux immigrés diplômés secoue l’UE. Sur le modèle de la carte verte américaine, l’Union a lancé en octobre 2007 un projet de carte bleue qui doit lui permettre de se placer dans la grande compétition mondiale pour attirer les travailleurs qualifiés. Avec 1,7% de travailleurs migrants qualifiés sur l’ensemble de sa population active occupée, l’Union se situe, en effet, loin derrière l’Australie (9,9%) et les Etats-Unis (3,2%). Elle entend renverser la tendance en ciblant des catégories précises de main-d’œuvre.
La directive carte bleue vise à combler des manques dans des secteurs comme la santé ou l’ingénierie. L’UE évalue entre 34 000 et 74 000 personnes, le nombre de travailleurs étrangers concernés par ce permis de séjour. Pour la Commission, la carte bleue est un instrument pour fixer des standards européens. Elle évitera aux 27 pays membres de se concurrencer entre eux pour capter cette précieuse main-d’œuvre immigrée.

Pas de liberté de circuler

A condition d’avoir trois ans d’expérience professionnelle et une offre d’emploi, un travailleur hors Union européenne pourra souscrire un permis de travail et de séjour européen, valable deux ans. Pour éviter le « dumping social », la Commission a choisi de fixer un niveau de rémunération au moins trois fois supérieur au salaire minimum du pays d’accueil. Le travailleur pourra aussi faire venir sa famille. Mais pas question pour lui de circuler librement dans toute l’Union. Chaque Etat restera maître du nombre d’immigrés accueillis. Ce n’est qu’après une période initiale de deux ans que le travailleur immigré pourra, à condition d’avoir une offre d’emploi, se rendre dans un autre pays de l’UE.

L'Allemagne résiste

Plusieurs pays s’opposent au projet de carte bleue. « Tous les Etats membres doivent d’abord regarder dans leur marché intérieur avant d’essayer d’attirer de la main-d’œuvre étrangère », explique un haut fonctionnaire allemand. Habituée à recruter ses ingénieurs en Asie, l’Allemagne se montre surtout hostile par principe à toute intrusion européenne dans sa politique d’immigration légale. Egalement opposés à cette carte bleue : la République Tchèque, l’Autriche et le Royaume-Uni. Ce dernier fera jouer sa clause d’exemption pour échapper à un dispositif jugé « décevant » : « Nous devons aller plus loin, la directive carte bleue décourage la venue des travailleurs très qualifiés en les obligeant à avoir, avant même leur arrivée, une offre d’emploi. »
Cette carte bleue n’est qu’un aspect de la stratégie d’immigration de l’Union européenne. Après les travailleurs très qualifiés, trois types d’immigrés sont concernés par des propositions de directive en cours : les travailleurs saisonniers, les stagiaires rémunérés (automne 2008) et les personnes transférées au sein de leur entreprise (2009). Ces directives entreront sans doute en vigueur après 2011, au moment où les anciens Etats de l’Union devront ouvrir totalement leur marché aux travailleurs des nouveaux Etats membres.

Louise Fessard
Julie Algré

Les think tanks s'y intéressent

CICERO FOUNDATION - fondé en 1992, à Maastricht. Le groupe se propose de fournir un forum de débat sur toutes les grandes thématiques de l’actualité européenne. Il soutient l’adhésion et l’intégration des pays de l’Europe centrale et de l’est à l’UE. Récemment, le think tank a eu des lectures sur les sujets : comment combattre la criminalité internationale dans une Union élargie ? Quel rôle pour Europol ? Quelles mesures devraient prendre les gouvernements ?
OBSERVATOIRE SOCIAL EUROPEEN - fondé en 1984, basé à Bruxelles. Ses principales missions consistent à suivre l’évolution des politiques communautaires, en particulier des politiques sociales, et à analyser les dynamiques et les acteurs. Il veut contribuer à une meilleure compréhension - et par là à une meilleure maîtrise - des implications sociales de la construction européenne.
FONDATION ROBERT SCHUMAN - fondée en 1992, sièges à Paris et Bruxelles. Accompagne et établit des liens étroits avec les nouveaux entrants, les futurs candidats à l’adhésion et les pays voisins de l’Union européenne. Elle organise des débats à Bruxelles en partenariat avec « Friends of Europe ».

Le changement est majeur : le Parlement européen et la Cour de justice ont voix à part entière en matière de justice, liberté et sécurité.

L’immigration légale, la coordination policière et judiciaire passent du vote à l’unanimité au vote à la majorité qualifiée. Cela va faciliter la prise de décision sur ces matières, surtout dans le grand espace commun sans frontières intérieures de Schengen. Les gouvernements des Etats membres devront en revanche composer avec un Parlement européen codécisionnaire et seront soumis au contrôle de la Cour de Justice.
La disparition du cloisonnement entre matières intergouvernementales et matières communautaires produit des effets administratifs et organisationnels. L’Union doit notamment créer un comité de sécurité intérieure répondant au doux nom de COSI, qui aura à répondre de ses actes devant le Parlement. Au-delà, tous les groupes et organismes mis en place par le Conseil dans ce domaine sont affectés.

Solidarité, mutualité

Le traité vise à terme une gestion commune de l’immigration légale et illégale, assortie d’un principe de solidarité financière qui répartit les coûts entre les Etats accueillant plus ou moins de réfugiés (article 80) (1). L’Union rappelle également l’objectif de reconnaissance des décisions judiciaires au pénal comme au civil : une décision de justice prise dans un Etat doit être reconnue dans tous les autres. Elle peut même établir des règles communes minimales pour lutter contre la grande criminalité transfrontalière (article 83).

Pas touche au droit de la famille

Quand aux parlements nationaux, qui délèguent leurs principales compétences à l’Union dans ce domaine, ils doivent être systématiquement informés des procédures communautaires en cours et peuvent faire échouer celles qui ne respectent pas le principe de subsidiarité (article 69). Ils sont également associés au Parlement européen pour contrôler les activités d’Europol (2) et d’Eurojust (3).
Le traité dresse quelques garde-fous contre des empiètements excessifs: pas touche au droit de la famille par exemple, ni au droit de chaque Etat à déterminer le nombre d’immigrants accueillis sur son territoire ou aux mesures de coercition qui «relèvent exclusivement des autorités nationales compétentes».
Toujours dans le même ordre d’idées, la décision d’autoriser l’intervention des forces de police et de justice sur le territoire d’un autre Etat membre reste du domaine de l’unanimité.
Mais il suffirait d’un consensus des Etats membres pour lever ces barrières. Tout comme pour l’éventuelle création d’un parquet européen visant à «combattre les infractions» portant atteinte aux intérêts financiers de l’UE” (article 86). Le traité laisse donc des portes ouvertes pour avancer dans la communautarisation.
Et si le consensus fait défaut, reste la coopération renforcée : neuf Etats - au moins - peuvent décider de mettre en commun davantage de compétences dans un domaine précis.

(1) Tous les articles mentionnés se rapportent au traité sur le fonctionnement de l’UE.
(2) L’office de police criminel intergouvernemental qui facilite l’échange de renseignements entre polices nationales.
(3) L’organe européen chargé de faciliter la coopération judiciaire pénale.

Louise Fessard

Feuille de route 2008

JANVIER : propositions de la Commission sur la décision cadre sur l’échange de casiers judicaires et le règlement des frontières Schengen.
1er semestre : bilan de la Commission sur l’agence européeenne de contrôles des frontières FRONTEX.
MARS : propositions du «paquet frontières» par la Commission.
30 MARS : les frontières aériennes des neuf nouveaux Etats membres entrent dans l’espace Schengen.
AVRIL : propositions de la Commission sur les réglements de l’Autorité du système d’information Schengen deuxième génération (SIS II) et de Visa, réglement Eurodac.
JUIN : propositions de la Commission sur le régime commun d’asile. Rapport d’Europol et d’Eurojust au Conseil sur leur système d’information.
7-8 JUILLET : Conseil informel JAI à Cannes.
JUILLET : propositions du «groupe du futur» sur la politique de sécurité intérieure de l’Union (2009-2013).
Automne : entrée de la Suisse dans l’espace Schengen.
20 et 21 OCTOBRE : conférence sur les migrations et le développement (Rabat II) à Paris.
NOVEMBRE : trois propositions de directives de la Commission sur les conditions d’entrée et de séjour des travailleurs saisonniers, des stagiaires remunérés, sur les réfugiés.
11-12 DECEMBRE : Conseil européen. La France veut y faire adopter un Pacte européen de l’immigration.
Fin DECEMBRE : mise en service du SIS II.

A partir de 2009

1er JANVIER : le Parlement accède à la codécision en matière d’immigration légale, et de coopération policière et judicaire, ce qui le conduit à réformer les compétences de ses commissions. Le contrôle de la Cour de Justice s’étend aux actes arrêtés sur ces nouvelles bases à partir de cette date.

«Pour le SIS, l’élargissement est un non événement»

Bernard Kirch l’assure, c’est la routine ce jeudi 20 décembre au Système Central d'information Schengen (C-SIS) de Strasbourg. Pourtant, demain, Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, y inaugurera le nouveau SisOne4ALL et l’entrée de neuf nouveaux membres -sans Chypre- dans l’espace Schengen.
Pour le chef du C-SIS, commissaire divisionnaire, «l’ouverture des frontières est un événement mais l’élargissement de notre système en lui-même est un non événement. Pour nous, au C-SIS, cela ne change rien».
Et pour cause. Cela fait des mois que Bernard Kirch et les 35 agents du ministère français de l’Intérieur préparent techniquement l’élargissement du système qui relie polices et douanes, ici au Stockfeld, à l’intérieur d’un bâtiment rose et blanc, ultra-sécurisé et classé sensible.
L’équipement, la mise aux normes et la connexion des pays entrants dans l’espace Schengen à un SIS II était une condition à cet élargissement. Or celui -ci prenait du retard. Il a fallu tout l’allant du Portugal pour convaincre ses partenaires d’adopter une solution intermédiaire, baptisée SISOne4ALL et de se tenir au calendrier.

«Les Portugais ont joué un rôle central»

Selon Bernard Kirch, “les Portugais ont joué un rôle central. Ils ont cloné leur propre système national pour pallier les retards, ils ont développé le logiciel, installé les clones sur place, formé et permis aux nouveaux entrants de valider les tests du groupe d’évaluation Schengen”.
Entouré de grilles et de systèmes de détections électroniques, le C-SIS est interdit au public. Il faut, pour y pénétrer, passer un double contrôle et laisser ses empreintes digitales.
C’est au sous-sol, dans la salle informatique enterrée, que se situe la clef du nouvel élargissement de l’espace Schengen. Ici plus de 22,45 millions de données sont stockées, mises à jour et diffusées vers les systèmes nationaux (N-SIS) des 27 membres de l’espace Schengen, dont l'Islande et la Norvège. Ces transferts de données sont l'épine dorsale d' une «meilleure coopération judiciaire et policière entre Etats membres, qui doit faciliter la gestion des flux migratoires et maintenir un niveau élevé de sécurité».
C’est grâce au C-SIS, notamment, que dès le premier jour les douaniers des nouvelles frontières extérieures de l’espace Schengen filtrent les entrants, en vérifiant que les divers composants de leurs documents de voyage ne déclenchent aucun «hit» suspect dans le système. 78 % des données qui y figurent concernent en effet des documents volés, 13 % des véhicules et 5 % des personnes recherchées.
En décembre 2008, sous présidence française, le SIS II devrait être opérationnel. Bernard Kirch supervise déjà ses essais . D’ici là, le système d’information Schengen devrait compter un nouveau membre: la Suisse.

Martin Pierre
à Strasbourg

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