«Il n’y a pas pire publicité pour l’Union européenne», nous glisse un membre du groupe parlementaire des Verts. Cinq mois après le scandale du Qatargate, Investigate Europe et Mediapart ont révélé une nouvelle affaire qui éclabousse l’institution européenne. Selon leurs données publiées le 3 mai dernier, 660 eurodéputés, actuels ou anciens, bénéficient d’un fonds de pension volontaire (FPV)... en plus de leur retraite de base ! En fonction de leurs années d’ancienneté, certains eurodéputés ont touché ou toucheront le jackpot. C’est le cas de Jean-Marie Le Pen, qui, avec 35 ans de mandat, touche une retraite cumulée de 13 674 euros par mois.
«Chacun vit avec sa conscience»
Ce fonds de pension volontaire a vu le jour en 1991. À l’époque, le but était de compléter les retraites de certains députés européens qui bénéficiaient d’une faible pension nationale. En 2009, un système commun de retraite a été créé, fermant le FPV aux nouveaux élus. Plusieurs centaines de bénéficiaires se sont retirés du fond, par principe, mais certains sont restés. Sur les 81 eurodéputés français qui ont souscrit à ce fonds de pension, 22 sont membres du groupe des socio-démocrates. «Je trouve ça totalement incongru, indique Eric Andrieu, eurodéputé du groupe. Après, chacun vit avec sa conscience, cela reste une question d’éthique, » veut-il relativiser, lui qui admet n’avoir pas été concerné directement par ce fonds, étant élu depuis 2012. Les autres eurodéputés du groupe interrogés rejettent chacun le principe de ce fonds de pension. Ce qui n’est pas le cas du groupe PPE. Une source proche des eurodéputés français du groupe majoritaire indique qu’aucune position ne ressort pour le moment. Brice Hortefeux, membre du PPE, est le seul eurodéputé français encore élu à toucher le FPV. Interrogé, l’ancien ministre de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy assume totalement : «Bien sûr que je toucherai ce fonds ! Même si pour l’heure, ce n’est pas le cas puisque je suis encore eurodéputé.» À propos des révélations sur le FPV, il considère que «ce n’est pas un sujet qui nous intéresse vraiment.»
Plusieurs centaines d’eurodéputés toucheront une retraite pouvant aller jusqu’à 13 700 euros par mois. Un généreux système permis par le fonds de pension volontaire mis en place en 1991 pour compléter des retraites à l’époque disparates.
Un vote politique ?
Au-delà de l’aspect budgétaire, valider les comptes de l’agence est aussi une manière de se positionner politiquement. C’est le cas de Jordan Bardella (ID, extrême droite), qui milite pour un renforcement strict des capacités de Frontex et qui déclarait la veille du vote : « pour protéger les peuples d’Europe je vous appelle à en protéger les frontières ». Une politisation du débat qui dérange une partie de l'hémicycle qui voudrait voir le vote comme une simple formalité. « C’est intéressant de voir qu’une procédure budgétaire est utilisée par certains groupes pour faire de la politique », ironise François-Xavier Bellamy (PPE, droite).
Malgré les progrès affichés par Frontex, les rares députés qui ont voté contre l’approbation du budget 2021 se montrent toujours critiques et ont souhaité s'exprimer à travers ce vote. « C’est hypocrite d’un côté de dénoncer les morts en Méditerranée, dire qu’on doit tout faire pour éviter ces refoulements illégaux, et de l’autre côté de ne pas utiliser les faibles leviers dont disposent le Parlement et approuver ce budget », dénonce toujours Saskia Bricmont. Pour elle, les scandales révélés l’année dernière se poursuivent : « il y a certes un nouveau directeur, mais les refoulements continuent ». Pour la suite, l’eurodéputé demande plus de transparence et un contrôle plus important. « Il faut bien plus que des auditions, il faut un contrôle des réformes en cours au sein de l’agence et que le conseil de surveillance ait un rôle officiel, c’est un groupe informel pour le moment », déplore-t-elle. L’augmentation sensible du budget dans les années à venir ne fera pas retomber les débats autour de Frontex. Au contraire, d’après une conseillère politique du groupe GUE/NGL (extrême gauche), « plus d’argent ça veut dire plus de devoir, notamment de transparence ».
Max Donzé et Thierry Weber
Des changements dans l’agence
Ce vote favorable intervient un an après les scandales sur Frontex, révélés par l’Office de lutte européen contre les fraudes (Olaf). Son rapport accablant pointait alors la politique de l’agence en lui reprochant des refoulements illégaux aux frontières, des cas de harcèlement en interne, et un manque de transparence sur ses pratiques. Dans ce contexte, le budget 2020 avait été retoqué par les députés européens, une façon de sanctionner l’agence. « C’était l’éclatement des scandales, les enquêtes en cours, on découvrait et on confirmait la participation de l’agence Frontex aux refoulements illégaux », se souvient Saskia Bricmont. Suite aux révélations, le directeur d’alors, le Français Fabrice Leggari a donné sa démission. Un nouveau directeur néerlandais, Hans Leijtens, a été nommé fin d’année dernière et des améliorations, notamment dans la gestion du personnel de l’agence, ont été soulignées par les eurodéputés. Aussi, un conseil de surveillance composé de quatorze eurodéputés a été mis en place « La nouvelle direction a fait un travail excellent », selon l’autrichienne Angelika Winzig (PPE, droite). « Nous ne pouvons garantir notre liberté en Europe qu’avec une agence comme Frontex », poursuit-elle.
Le vote a été sans appel ce mercredi 10 mai. À 498 voix pour et 82 contre, les eurodéputés ont approuvé l'utilisation du budget de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) en 2021. Une validation du budget qui pourrait sembler anecdotique, mais qui rend compte de « l'utilisation de l’argent public européen », confie l’eurodéputée Saskia Bricmont (Les Verts, écologistes) pour qui « cela relève donc d’une importance politique majeure ». L’année dernière, l’agence avait essuyé de vives critiques suite aux révélations sur un fonctionnement et des pratiques présumées illégales, à tel point que les parlementaires avaient retoqué son budget. Car Frontex n’est pas une agence comme les autres. L’organe qui a pour mission de surveiller les frontières de l'Union européenne est aujourd’hui la plus dotée financièrement et a vu son budget exploser ces dernières années. En dix ans, son budget est passé de 118 millions d’euros en 2011 à 544 millions en 2021. À l’horizon 2027, le budget annuel sera de 900 millions d’euros, preuve de l’importance prise par Frontex, notamment depuis les crises migratoires.
Le Parlement européen a majoritairement approuvé les comptes de l’agence Frontex pour l’année 2021. Une manière pour les eurodéputés de tourner la page de la controverse et du scandale qui avaient éclaboussé l’agence l’année dernière.