La plateforme de location a publié ses résultats financiers de l’année 2022. Outre des revenus en hausse de 40%, on apprend que l’entreprise américaine a généré un profit pour la première fois de son histoire.
Un chiffre d’affaires annuel de près de 77 milliards de dollars, 5 600 employés et des dizaines de milliers de logements mis en location aux quatre coins du globe. Airbnb, la célèbre plateforme de location touristique, a parcouru un chemin considérable depuis sa création en 2008. D’une startup fondée par deux étudiants californiens, elle est passée au statut de « licorne », ces entreprises du secteur numérique pesant plus d’un milliard de dollars, puis à celui d’entreprise en position de quasi-monopole sur son segment du marché de la location touristique.
L’année 2022 a été particulièrement faste pour l’entreprise. Comme l’indique un communiqué publié mardi, Airbnb a vu son chiffre d’affaires grimper de 40% en un an, grâce à la reprise du tourisme mondial, pour atteindre 8,4 milliards de dollars. Surtout, Airbnb a généré un profit de 1,9 milliard de dollars. C’est une première en quinze ans : jusqu’à présent, ce géant américain de la location fonctionnait à perte.
Mathilde Abel, doctorante en économie à la Sorbonne Nouvelle, spécialiste des enjeux numériques et de l'économie de plateformes, revient pour Cuej.Info sur le modèle économique si particulier d’Airbnb et des plateformes numériques.
Comment fonctionne Airbnb ?
Airbnb est une entreprise bien particulière : c’est une plateforme numérique qui se positionne sur un marché biface, c’est-à-dire qu’elle fait le lien entre deux catégories d’acteurs économiques. En l’occurrence, ceux qui cherchent à mettre à disposition un logement et ceux qui désirent en louer un.
À partir de là, plusieurs modèles économiques peuvent se former. Ça peut être la collecte d’une commission, comme c’est le cas de Airbnb, mais ça peut aussi être un abonnement, ou un modèle publicitaire, par exemple. Surtout, le numérique permet de croiser ces modèles : Airbnb propose par exemple des services de guide touristique.
Pourquoi est-ce que les investisseurs ont fait confiance à Airbnb pendant 15 ans alors que l’entreprise ne dégageait pas de profit ?
Il faut bien faire la différence entre les bénéfices générés par l’entreprise et les dividendes qu’elle verse aux actionnaires. Ce que recherchent les investisseurs, c’est moins la rente – les dividendes versés par l’entreprise – que son « pouvoir de marché », c’est-à-dire sa capacité à être concurrentielle et à s’imposer dans les usages. Dans le cas d’Airbnb, c’est son interface numérique qui séduit, du fait de sa capacité à mettre facilement les acteurs en relation.
Il faut aussi comprendre le rôle du contexte économique actuel. Jusqu’à très récemment, l’inflation était faible et les taux d’intérêt étaient pratiquement nuls : les investisseurs disposent d’un argent « bon marché », presque gratuit, qu’ils cherchent à placer, quitte à ne pas avoir de rentabilité à court terme.
Quel potentiel est-ce que les investisseurs ont vu dans Airbnb ?
Ils ont compris que le pouvoir de marché d’Airbnb lui permettra de former un monopole local, c’est-à-dire de contrôler une grande part du marché, et donc d’assurer une plus grande part du gâteau pour les investisseurs [Airbnb a notamment utilisé ses levées de fonds successives pour racheter des entreprises concurrentes, comme la plateforme allemande Accoleo en 2011, ou la plateforme britannique CrashPadde en 2012]. C’est à partir de là que le modèle devient viable. Avec la fin de la période Covid et la reprise du tourisme, on voit que tout concourt à ce qu’Airbnb génère finalement un profit.
Qu’est-ce que modèle dit de notre système économique ?
Quand on dit que le capitalisme ne produit que des choses rentables, c’est faux. Le capitalisme produit une quantité d’entreprises qui ne font pas de bénéfices avant des années, mais qui sont malgré tout soutenues par les investisseurs si le contexte économique est favorable. Les plateformes – Airbnb, mais aussi toutes les autres : Uber, Netflix, Amazon, etc. – se positionnent sur de nouveaux segments de marché et s’en emparent.
C’est potentiellement très rentable pour les actionnaires, mais ça a peut aussi avoir un grand nombre d’effets pervers pour la société. Pour Airbnb, on a notamment un renforcement des inégalités patrimoniales et une dégradation de la situation de l’emploi, puisque des gens achètent des appartements dans le seul but de les louer sur la plateforme, ce qui provoque une hausse des loyers.
Matei Danes
Edité par Corentin Chabot-Agnesina