La seule patronne du CAC 40 a été écartée du groupe énergétique. En cause, un management décrié et une orientation jugée trop « verte ».
En 2016, Isabelle Kocher a été élue à la direction générale d'Engie pour un mandat de quatre ans. Photo Jérémy Barande / CC BY- SA 2.0
Elle était reine parmi les rois du capitalisme français. Seule femme à la tête d’une entreprise du CAC 40, Isabelle Kocher, la directrice générale d’Engie, a désormais perdu sa couronne. Le conseil d’administration du géant de l’énergie a convoqué une réunion extraordinaire jeudi 6 février pour décider de son sort. Et l’issue n'a pas fait de surprise.
Depuis plusieurs mois, les administrateurs se montraient défavorables au renouvellement de son mandat et les bruits de couloir se multipliaient sur sa révocation. Pourtant, le parcours d’Isabelle Kocher, désignée comme la 13e femme la plus influente du monde en 2019 par Forbes, a tout d’une success story.
Une élève surdouée
Son histoire débute par une formation d’ingénieure à l’école des Mines, sous l’égide d’une famille exigeante. Un grand-père polytechnicien, un père directeur financier d’Alcatel et une mère théologienne composent le tableau. Ancienne scout, catholique pratiquante, Isabelle Kocher est une pure versaillaise. Elle fait de la nage en compétition et joue du piano avec talent. L’élève surdouée dépasse ses aïeux lorsqu’elle entre à Normale sup et devient major de l’agrégation de physique.
Son diplôme des Mines lui permet de quitter les bancs des grandes écoles pour les grands corps de l’État. Ses trente ans à peine fêtés, la jeune femme gère le budget de la Défense au ministère des Finances, puis arrive en 1999 au cabinet de Lionel Jospin, alors Premier ministre. C’est là qu’elle doit gérer des dossiers industriels épineux, comme celui de la catastrophe de l’usine AZF à Toulouse : un séisme, une explosion, et 31 morts.
À Matignon, Isabelle Kocher participe aussi à la création de grands groupes, comme Areva. La présidence du colosse nucléaire lui est d’ailleurs proposée en 2011. Mais elle décline, pour un poste tout neuf de n°2 à la direction de GDF Suez, l’ancien nom d’Engie.
L'entreprise Engie réalise actuellement 60 milliards d'euros de chiffres d'affaires et emploie 170 000 salariés. Photo Kees Torn / CC BY-SA 2.0
Redresseuse de dette à Engie
À l’époque, l’entreprise leadeuse du gaz et de l’électricité en France, détenue à un quart par l’État, est sur le point de s’enliser. Frappée par la crise de l’énergie en Europe, elle voit ses bénéfices s’effondrer et perd, en 2013, près de 10 milliards d’euros. La consommation en énergie recule, les tarifs aussi, et le cours du charbon s’effondre.
Pour Isabelle Kocher, qui accède à la direction générale d’Engie en 2016 avec un mandat de quatre ans, il faut désormais mettre un terme à l’ère des énergies fossiles, fortes émettrices de gaz à effet de serre. La nouvelle DG développe la transition énergétique du groupe et met les grands moyens. Elle se débarrasse des centrales à charbons, des puits de pétrole et de gaz, au profit d’investissements massifs dans l’éolien et le solaire. Elle redresse aussi la dette et sort Engie du déficit.
Des rumeurs d'éviction
Mais les investisseurs ne sont pas convaincus pour autant par ce virage écologique coûteux de l’entreprise, majoritairement bénéficiaire du gaz et du nucléaire. L’été dernier, un premier nuage est venu assombrir le paysage rempli de panneaux solaires de la directrice générale d’Engie.
Le conseil d’administration fait réaliser une évaluation du travail d’Isabelle Kocher, au résultat mitigé : sa stratégie économique est applaudie mais son management est pointé du doigt. Son écrémage d’une bonne partie des vieilles têtes d’opération du groupe et sa manière solitaire de travailler ne plaisent pas. La presse bruit de commentaires médisants et anonymes de confrères, et on s’étonne de ce qu’elle n’ait pas été nommée à la fois directrice générale et présidente d’Engie, comme la plupart des PDG du CAC 40.
Des soutiens qui embarrassent le gouvernement
Le président en poste, Jean-Pierre Clamadieu, serait d'ailleurs, d’après les sources, de plus en plus repoussé par la stratégie de défense d’Isabelle Kocher. Dénonçant une campagne médiatique malsaine à son encontre dans le JDD début février, elle reçoit le soutien, importun pour le gouvernement, d'opposants politiques comme l'écologiste Yannick Jadot ou la maire PS de Paris Anne Hidalgo, dans une tribune aux Échos. Une députée LREM, Aurore Bergé, compte même parmi les signataires.
Alors, jalousie mal placée ou réelle incompétence, comment expliquer l’éviction d’Isabelle Kocher ? Pendant son mandat, un article de L’Express avait fait part en 2017 des critiques déplacées qui se colportaient sur sa vie privée, laissant entrevoir une forme de sexisme. Mais c’est surtout la stratégie énergétique controversée de la directrice générale qui semble susciter le courroux des administrateurs d’Engie. Fervente défenseuse du solaire face à des ingénieurs qui restent encore très attachés au nucléaire, la seule femme du CAC 40 a payé le prix de sa révolution écologique.
Caroline Celle