L'audition jeudi soir par le Sénat américain de John Brennan, le "monsieur drone" pressenti pour prendre la tête de la CIA, crée la polémique aux Etats-Unis. Celle de l'usage intensif de drones pour éliminer les présumés terroristes d'Al-Qaïda.
Brennan a passé 25 ans au sein de la CIA. Il a notamment été chef de l'Agence en Arabie Saoudite / Capture d'écran AFP Vidéo
Septembre 2011. Un imam yéménite, Salem Ahmed ibn Ali Jaber, s'en prend violemment à Al-Qaïda lors d'un prêche. Trois responsables de l'organisation terroriste exigent alors de le rencontrer. Ali Jaber accepte, accompagné de son cousin policier venu pour le protéger. Les cinq hommes, assis sous des palmiers, sont alors pris pour cible par un drone américain lancé depuis une base saoudienne. Tous périront.
Une guerre de moins en moins secrète
L'histoire, racontée mercredi par le New York Times, a suscité l'émoi outre-Atlantique. D'autant plus que le quotidien a révélé avoir caché ces informations pendant plusieurs mois. Un silence ordonné par l'administration Obama, qui craignait que la diffusion de ces faits mette à mal les relations diplomatiques américano-saoudiennes.
En décembre 2012, le témoignage d'un ancien "pilote" de drone avait déjà ému l'Amérique. Brandon Bryant racontait son quotidien, assis chaque jour au Nouveau-Mexique, à guider des drones survolant les territoires où Al-Qaïda est implanté. Hanté par ce travail et par les dizaines de personnes qu'il a tuées, le soldat avait offert aux Américains un regard nouveau sur le programme d'assassinats ciblés du prix Nobel de la Paix 2009.
3000 éliminations sous l'ère Obama
La probable nomination de John O. Brennan à la tête de la CIA a redistribué les cartes. Jusqu'à présent conseiller de Barack Obama pour le contre-terrorisme, Brennan, 57 ans, est l'un des architectes de la "Kill List" : une liste de noire de responsables d'Al-Qaïda à abattre, au moyen de drones lancés par le Pentagone ou la CIA. Lancée en 2004, cette politique s'est intensifiée depuis l'arrivée au pouvoir d'Obama, quatre ans plus tard. Un rapport du think-thank indépendant Council on Foreign Affairs démontre ainsi que l'homme fort de la Maison Blanche a ordonné 350 missions de frappes ciblées. Bilan : 3000 personnes tuées. Parmi elles, des victimes "collatérales" comme l'imam yéménite Salem Ahmed ibn Ali Jaber.
Un lancer de drones dans le cadre d'un exercice de l'armée américaine. / Photo Flickr Official U.S. Navy Imagery
C'est sur cette guerre que John Brennan devait s'expliquer jeudi soir, devant la commission du Renseignement du Sénat américain. Et c'est en prévision de cette audition que le New York Times a décidé de révéler les informations qu'il possédait. Une audience perturbée par des opposants au militaire. "C'est un criminel de guerre, il ne doit pas être nommé à la tête de la CIA", s'est emporté une femme dans le public avant d'être évacuée. Sa nomination n'est cependant pas remise en cause.
Des opposants aux frappes de drones ont perturbé jeudi soir l'audition de John Brennan / AFP Vidéo
Raphaël Badache