Quelles conclusions peut-on tirer des quatre premières semaines du 45e président des Etats-Unis? Cuej.info a interrogé le politologue allemand Dr. Thomas Jäger, professeur à l'université de Cologne, spécialiste en politique internationale et extérieure.
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Cuej.info: Après un mois de présidence, Donald Trump a pris des mesures controversées, attaqué les médias et a dû faire face à de nombreuses manifestations. Que raconte ce début de prise de pouvoir sur les Etats-Unis d'aujourd'hui ?
Jäger : La polarisation s'est aggravée comparé à la période Obama. Depuis les années 2000, les partis de gauche et de droite se sont éloignés de plus en plus l'un de l'autre. Dorénavant, ils ne se parlent presque plus. Et normalement, un président élu essaie de réunir les partis, de faire une politique qui unit plusieurs positions. Mais Trump ne peut pas faire cela d'autant plus que cela n'est pas dans son intérêt. Lui veut tout d'abord persuader ses partisans qu'il tient ses promesses formulées lors de la campagne et il laisse complètement de coté l'autre moitié des électeurs qui s'y opposent.
Il est encore loin d'être un professionnel de la politique mais il sait en tirer parti.
Dr. Thomas Jäger, politologue
Est-ce qu'on peut conduire un pays en donnant le sentiment d'être encore en campagne électorale ?
Je ne suis pas étonné par le fait qu'il n'abandonne pas sa rhétorique : il doit maintenir l'enthousiasme de ses partisans. Cela a très bien marché pendant la campagne électorale. Cela explique son comportement, mais pas son orgueil. Qui a eu le plus de public lors de l'inverstiture? Qui a eu plus de électeurs pour le vote populaire? Tout ça est extrêmement important pour lui, quitte à ce qu'il devienne ridicule (en gonflant les chiffres en sa faveur, ndlr). Cela provoque un manque de compréhension du public. Trump se bat constamment pour se défendre. Mais normalement un président a une souveraineté incontestable. Reste que pour le moment, difficile de savoir si sa rhétorique actuelle le desservira à l'avenir.
Peut-il évoluer, changer d'attitude?
Le premier mois était d'abord pour lui un processus d'apprentissage. Et on constate qu'il endosse de plus en plus ce nouveau rôle de président. Il est encore loin d'être un professionnel de la politique mais il sait en tirer parti parce que ses électeurs voulaient quelqu'un de différent. Tout dépend de ce qu'il réussira à mettre en oeuvre. S'il accepte le processus politique, ses idées peuvent créer des emplois. Et c'est sur cela qu'il sera avant tout jugé.
La lutte frontale entre Trump et les médias peut-elle affaiblir la presse ou la renforcer ?
Aux Etats-Unis il n'y a pas "les médias", il y a ceux de droite et ceux de gauche. Les autres, plus au centre de l'échiquier, ne sont pas écoutés par le peuple. Cela renforce la polarisation. La crédibilité des médias aux Etats-Unis est très faible et leur réputation était déjà bien entamée. Trump n'a pas inventé cette défiance. Il a juste été le porte-voix des mécontents. La presse n'est pas en danger. Au contraire, tout ce qu'on lit et écrit sur Trump, est précisément une manifestation de la liberté de presse. Trump lutte contre les médias – mais les autres présidents l'ont aussi fait auparavant. Trump pousse ces critiques à l'extrême. Cela fait partie aussi de sa rhétorique belliqueuse.
Give the public a break - The FAKE NEWS media is trying to say that large scale immigration in Sweden is working out just beautifully. NOT!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 20 février 2017
Trump a nommé le général McMaster principal conseiller national de la sécurité, un homme connu pour défier les autorités. Cela vous étonne-t-il?
Trump continue à s'entourer de militaires. Plusieurs ont refusé, c'était même embarrassant pour lui. Le choix de McMaster n'est pas une surprise. Il a une très bonne réputation, contrairement à son prédécesseur Flynn (poussé à démissionner peu de temps après sa nomination pour des échanges avec la Russie avant l'intronisation de Trump, ndlr). Et vu son vécu, il connaît l'autorité. Il va lui falloir s'adapter à la vie politique. Reste qu'il est encore trop tôt pour savoir comment va se passer son entente avec Trump.
Just named General H.R. McMaster National Security Advisor.
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 20 février 2017
Le nouveau président américain est-il déjà en train de reculer sur certains dossiers, comme sur l'Europe ou l'Otan, signe qu'il devient plus réaliste?
Je suis persuadé qu'il continuera de jouer sur deux scènes : la scène publique et la scène politique. Sur la première, il ne changera pas. Il restera imprévisible, amusera son public. Sur la seconde, il a formulé au départ des pistes plus rigides que celles d'autres leaders républicains. Mais il est restreint par plusieurs institutions, dont le Congrès. Au final, ce qu'il annonce ne sera pas forcément ce qui sera mis en place. Il s'adapte donc peu à peu à ces contraintes.
Quelles conséquences attendre pour l'Europe?
Sa campagne "America first" est seulement un slogan pour la scène publique. Et si ce slogan signifie de placer les intérêts de son propre pays au premier rang, il n'y a rien de nouveau. C'est même une tradition des présidents américains. Ils n'ont jamais dit : "Europe first, America second". Renforcer l'Europe a toujours été dans l'intérêt des Etats-Unis. Trump n'est donc pas le premier à présenter les choses de cette manière, il est seulement plus drastique que les autres. Ce qui est dangereux, c'est qu'il déclenche une sorte de dynamisme nationaliste. Mais d'autres Etats, comme lui, utilisent la même réthorique populiste, unilatérale, et nationaliste. Et si des pays se coupent des Etats-Unis, cela nuira à l'économie américaine. Et il deviendra alors clair que Trump ne pourra atteindre son but. Quand la politique devient concrète, les simples phrases comme "America first" s'effondrent.
Simone Ahrweiler