Le gouvernement chinois a choisi une athlète ouïghoure comme dernière porteuse de la flamme olympique. Un geste contesté par ceux qui défendent cette minorité musulmane.
« La Chine est un pays totalitaire, donc les autorités arrivent à tout cacher ». Étudiantes et membres de l’organisation Strasbourg For Uyghurs, Melissa et Fairouz sont encore indignées après la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’Hiver de Pékin, qui s'est tenue le 4 février. Lors de celle-ci, une skieuse de fond Ouïghoure, Dinigeer Yilamujiang, a été choisie pour allumer la flamme olympique dans le stade du « Nid d’Oiseau » de Pékin. Les deux jeunes femmes dénoncent une mise en scène. « C’est Xi Jinping [Président Chinois, NDLR] qui nous rit au nez. Cette sportive est totalement assimilée à la culture chinoise, elle n’a aucune culture ouïghoure », analyse Fairouz.
Faire diversion de la crise humanitaire
Selon l’ONG World Uyghur Congress, cette minorité ethnique musulmane de la région du Xinjiang, en Chine, est persécutée par le gouvernement depuis 2017. Sous prétexte qu’ils représentent une menace terroriste, environ un million de Ouïghours sont détenus dans des camps d’internement, ou camps de « rééducation » selon les termes du Parti Communiste Chinois (PCC). Ceux qui en ressortent témoignent d'endoctrinement politique mais aussi de séparation forcée de leur famille, voire de torture. Résolue à détourner le regard du monde de cette situation régulièrement qualifiée de « génocide », la Chine a donc tenté de se défendre en mettant sa jeune athlète Ouïghoure sur les devants de la scène.
Pour les deux étudiantes, ce geste du PCC reste vide de sens. « C’est très facile de manipuler, souligne Melissa. Les femmes Ouïghoures ont une tenue vestimentaire spécifique. Pendant la cérémonie, ils ont montré la famille de Dinigeer sur un écran, mais pas une femme ne portait le foulard ». Le compte Instagram de l'athlète de 20 ans est, de plus, très soigné. En presque quatre ans, une quinzaine de publications ne montre que du ski et des drapeaux chinois.
Un manque de réaction
Le collectif Strasbourg for Uyghurs déplore la timidité de la réponse de la communauté internationale. « La persécution des Ouïghours se poursuit mais il y a peu d'actions concrètes contre la Chine parce que tout le monde craint des conséquences économiques », explique Fairouz. Une des seules décisions prises par les pays occidentaux face à la crise humanitaire : le boycott diplomatique des JO de Pékin. Une pression purement « symbolique » qu'Emmanuel Macron n’a pas voulu faire, au contraire des Etats-Unis, du Canada et du Royaume-Uni. « C’est que du vent, fustige encore Fairouz. Même si Macron l’avait fait, ça aurait été du vent. Parce que derrière, ils continuent à négocier des accords économiques. »
De son côté, le Comité international olympique (CIO) est resté neutre sur le sujet de la cérémonie. Son porte-parole, Mark Adams, a souligné que Dinigeer Yilamujiang « avait le droit d’être là d’où qu’elle vienne, quel que soit son origine. » Finalement, la Chine ne risque pas encore de sanction similaire à celle reçue par la Russie après son scandale de dopage, c'est-à-dire une exclusion des compétitions. Déception pour Fairouz et Melissa : « Le CIO devrait prendre position sur le sujet en amont du choix du pays ».
Emilio Cruzalegui