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Jean-Pierre Antoine, ancien syndicaliste CFDT chez Seb, revient sur la fermeture des usines 
vosgiennes du groupe. Restés sur le carreau, 
certains anciens employés vivent mal 
leur basculement dans la précarité.

La pauvreté a plusieurs visages. Et les chemins pour y arriver sont tout aussi variés. « Comment devient-on pauvre dans les Vosges ? Pour des raisons économiques évidentes, pas la peine d'aller chercher ailleurs », affirme Eric Deletang, directeur du centre communal d'action sociale (CCAS) de Neufchâteau. Le département a essuyé de nombreuses fermetures d'usines et autres licenciements ces dernières années, notamment dans le secteur du textile ou de la mécanique. Une industrie en partie mise à mal par son manque de diversité. « Regardez Vittel ou Contrex, par exemple, explique Eric Deletang. Ce sont des villes relativement riches, grâce à leur production d'eau minérale. Mais le jour où ces entreprises là tombent... Tout le monde tombera avec. La mono-industrie fragilise les territoires. »
Le taux de chômage des Vosges, en forte augmentation, confirme le recul de l'industrie : +3,7% depuis 2001, soit, cette année, 11,4% de chômage dans le département (contre 10% au niveau lorrain et 9,6% au niveau national). Un chômage qui touche directement des milliers de personnes, « victimes d'accidents économiques », selon les mots de Claude Marchal, président du Secours catholique des Vosges. Des anciens travailleurs qui peinent souvent à accepter ce déclassement et surtout, qui refusent de demander de l'aide, à l'image d'anciens employés du groupe Seb, dont les usines des communes de Vecoux et du Syndicat ont fermé en 2008.
Dans le même temps, le coût de la vie augmente régulièrement et implacablement. En dix ans, la part des dépenses contraintes a explosé, souligne Claude Marchal.
L'augmentation des prix touche aussi cruellement les agriculteurs, catégorie socio-professionnelle en recul et depuis longtemps très minoritaire. « Il y a quatre ou cinq ans, les prix des produits agricoles ne fluctuaient pas autant et pas aussi souvent, assure Philippe Chevron, de la Chambre d'agriculture des Vosges. Il faut s'adapter sans arrêt et beaucoup d'exploitations n'y arrivent pas. » « Surtout quand elles sont petites et non diversifiées », souligne son collègue Julien Munière.


« Aujourd’hui, beaucoup de personnes viennent nous voir pour des besoins élémentaires »
Dans la plaine vosgienne, les agriculteurs rencontrent en général moins de difficultés car leurs exploitations sont souvent plus vastes, et leurs productions plus variées. « On peut par exemple faire du lait et des céréales. Si la récolte céréalière est mauvaise une année, on peut se rattraper sur le lait, et vice versa », explique Julien Munière. Les agriculteurs, par essence, sont dans une situation précaire. Comme le souligne un rapport de 2009 de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) (1), agriculture rime souvent avec incertitude, du fait de la dépendance à la météo. Les agriculteurs ne sont, par ailleurs, jamais complètement à l'abri d'accidents handicapants, comme une maladie qui ravage un troupeau. Autant d'aléas qui les mettent dans une position instable. Et la précarité, bien souvent, est l'antichambre de la pauvreté. Un gros investissement fait au mauvais moment peut être fatal à une exploitation. Rares sont les agriculteurs à ne pas être endettés. Une partie d'entre eux se laisse parfois submerger par ces emprunts, souvent contractés à court terme, note Philippe Chevron.
L'endettement comme facteur de pauvreté n'est pas propre aux agriculteurs.  L’association Crésus Vosges, qui aide les particuliers, y est confrontée quotidiennement. Entre 2010 et 2011, le nombre de ses sollicitations a augmenté de 50%. « On voit de plus en plus de personnes envoyées par les assistantes sociales, précise Chantal Benoit, la directrice de Crésus Vosges. Mais le surendettement frappe tout le monde. C’est principalement lié aux accidents de la vie : chômage, divorces, veuvages. Le niveau de dette moyen chez les personnes qui viennent nous voir est de 45 000€. »
Des entrepreneurs peuvent aussi être touchés. Cinar, 47 ans, a été ouvrier dans une entreprise agroalimentaire pendant 15 ans. Après un accident du travail en 2004, il est licencié avec 4000 euros d'indemnités en poche. Quelques années plus tard, il se lance à son compte et investit plus de 12 000 euros dans l'ouverture d'un restaurant kébab, à Senones. « Je suis inquiet pour l'avenir, confie-t-il. Il n'y a pas beaucoup de clients : ce genre de fastfood attire surtout les jeunes. Ici, il y a beaucoup de personnes âgées. Les jeunes arrivent plutôt le soir. Mais là, c'est l'hiver, il n'y a personne. » Chaque fin de mois, les factures tombent. Et les siennes sont nombreuses : 330 euros pour la location de l'établissement, un emprunt mensuel de 600 euros pour la maison qu'il s'est achetée, une augmentation du prix de la viande, 450 euros rien que pour le gaz et l'électricité... Quand on lui demande le montant de ses revenus, Cinar reste très évasif : « Ça dépend. Mais là, ce n'est pas une bonne période. »

« Je savais depuis l'âge de dix ans que ma vie n'allait pas être rose »
Dans la rue de la République, entre les pancartes de magasins qui affichent « fermé » ou « à vendre », il est l'un des rares commerçants encore ouverts. « Le moteur économique local ralentit, confirme Eric Deletang. La population vosgienne vieillit et les personnes âgées consomment moins et moins localement.»
Or, comme le note un rapport de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) de 2008 (2), capter les revenus des habitants est devenu essentiel pour les territoires ruraux, d'où l'enjeu primordial du maintien des commerces et des services.
Facteur aggravant pour ce territoire rural : le faible niveau de formation, inférieur au reste de la France. Pourtant, une qualification est presque indispensable pour décrocher un emploi ou en retrouver un.
« Le taux de chômage des jeunes est de 25%. Ce que l’on sait moins, s’inquiète Claude Marchal, c’est que le taux de chômage des jeunes sans qualification est quasiment d’un sur deux. » C'est le cas de Yohann, 28 ans, qui habite à Epinal. Il en est à sa troisième tentative pour décrocher un CAP maçonnerie. Entre 2000 et 2003, il le prépare pour la première fois, mais il quitte l'école deux mois avant de passer son diplôme pour s'occuper de son père « âgé et gravement malade ». En 2007, il manque à nouveau son CAP à cause d'un accident du travail. Il est dans l'incapacité de poursuivre son stage, impératif pour valider sa formation. « J'ai fait une bêtise et je l'ai payée : deux mois dans le plâtre, au moment décisif », raconte-t-il. En juin 2012, cinq ans après sa formation incomplète, il décroche le stage qui pourrait lui permettre de valider son diplôme, par le biais de l'Association nationale pour la formation des adultes (AFPA). Mais les délais sont dépassés : ses acquis de 2007 ne sont plus valables. Il faut tout reprendre à zéro. Aujourd'hui sans diplôme, le jeune homme doit se contenter du RSA et de quelques missions d'intérim de temps à autre. Yohann n'a pas le permis, ce qui n'arrange rien à sa situation. Les employeurs l'exigent avant d'accorder un emploi, les services sociaux imposent une promesse d'embauche avant de le financer. Et le jeune homme n'a bien entendu pas les moyens d'en payer la totalité. « Je savais depuis l'âge de dix ans que ma vie n'allait pas être rose », confie-t-il. C'est à cette époque que Yohann est placé en foyer : « On m'a appris à lire et à écrire. Ça a été un vrai coup de pouce. Chez mes parents, ça n'aurait pas été possible. »


« Des parcours familiaux houleux »
Car au-delà des problèmes purement économiques, la pauvreté est avant tout une histoire personnelle. Parfois, elle se « transmet de génération en génération », précise Claude Marchal.  « Il n'y a pas que les fermetures d'usine, confirme Annie Osnowycz. Il y a aussi des parcours familiaux houleux qui peuvent faire basculer du jour au lendemain des personnes dans la pauvreté ». Une retraite après une carrière incomplète, un décès, un divorce,...
Pour Josie, 54 ans, la dégringolade a commencé au moment où elle demande le divorce, il y a dix ans. Elle renonce alors à un cadre de vie « bourgeois » mais ne regrettera jamais son choix. Son mari, qu'elle connaît depuis l'adolescence et avec lequel elle a deux enfants, la bat depuis plusieurs années. Seule, mais déterminée, elle quitte les Vosges pour reprendre un bar-tabac dans le Haut-Jura. Mais deux ans plus tard, à cause de l'augmentation du prix du tabac et de la concurrence suisse toute proche, elle ferme son commerce.
Elle connaît alors la période la plus dure de sa vie : à court de moyens et de logement, elle s'installe dans sa voiture, sans rien dire à personne. Au bout de six mois, un ami la découvre et lui propose de l'héberger. Depuis toujours, et encore plus depuis son divorce, Josie tient tout particulièrement à son indépendance. Mais elle accepte son offre et se met à la recherche d'un logement dans les Vosges, pour se rapprocher de sa famille. Elle habitera successivement dans différents studios et petits appartements avant de trouver celui dans lequel elle vit aujourd'hui, un HLM à Neufchâteau. Elle touche le RSA, soit 400€ par mois, mais se dit enfin heureuse et apaisée.
Dans un Essai de la géographie de la pauvreté (3), Laurent Davezies, titulaire de la chaire « Économie et développement des territoires » au Conservatoire national supérieur des arts et des métiers, pointe le rôle des problèmes de santé comme cause mais aussi conséquence de la pauvreté.
Philippe, 55 ans, en sait quelque chose. Une accumulation de problèmes l'a fait basculer dans la pauvreté. D'abord, un deuxième divorce, il y a deux ans et demi, qui lui coûte sa maison, ses deux filles de 9 et 10 ans, sa compagne, et le conduit à la dépression et l'alcool. Aujourd'hui sobre, il souffre de problèmes cardiaques et est très affaibli. Il a deux grandes filles d'un premier mariage qui habitent loin de chez lui et qu'il ne voit que rarement. Ses deux dernières vivent en famille d'accueil, à Neufchâteau. Philippe est autorisé à les voir une heure et demie par mois, chez lui, en présence d'un accompagnateur des services sociaux. Une situation qu'il vit très mal.
Il habite à Neufchâteau, dans un studio de 12 m2 qu'il loue depuis deux ans à Adali habitat, une association d'aide au logement pour les personnes en difficulté. « Il y a quelques années, jamais je n'aurais imaginé en arriver là », souffle Philippe.

Il y a quelques années, jamais je n'aurais imaginé en arriver là
Et pour cause, sa carrière professionnelle a été riche et variée. Il a travaillé pendant 16 ans dans l'Armée de l'air. Sa retraite militaire, dont il ne souhaite pas dévoiler le montant, est aujourd'hui sa seule source de revenus. Par la suite, Philippe a travaillé à Thomson Electronique, en Arabie saoudite. A l'apogée de sa carrière, dans les années 1990, il gagne 24 000 francs par mois (3660€). A son retour de l'étranger, il peine à retrouver un emploi et reste au chômage 14 mois. Il décroche ensuite différents emplois en intérim.
Finalement, en 2008, il retrouve un poste à responsabilité, plus stable, comme mécanicien, chargé d'un atelier de réparation de cars, à Neufchâteau. Son dernier emploi avant la dégringolade. Il sera « remercié » par ses employeurs quelques semaines après son divorce, alors qu'il est en pleine dépression. Aujourd'hui, les lettres s'accumulent sur son bureau. Il pourrait certainement percevoir d'autres allocations en tant qu'ancien combattant, mais ne se sent même plus la force de contacter l'organisme, comme beaucoup de personnes en difficulté.
Philippe souffre énormément de sa solitude. Il espère d'ailleurs que ses anciens amis le recontacteront grâce à ce témoignage. « Ce que je souhaite le plus, c'est retrouver une compagne », confie-t-il.
L'isolement est pointé par tous comme la conséquence la plus néfaste de la pauvreté. « Quand on demande aux gens dans la précarité ce qu'ils souhaiteraient que la Ville fasse pour eux, ils répondent en cœur "un lieu de rencontre", confirme Annie Osnowycz. La pauvreté, c'est avant tout l'isolement. » Attirés à la campagne dans l'espoir d'une vie meilleure et moins chère, des citadins rejoignent en nombre les villes rurales depuis une dizaine d'années. « La petite ville attire, note Annie Osnowycz, rassure, apporte des commodités. » Mais bien souvent, ces « néo-ruraux » n'ont pas conscience des difficultés qu'ils rencontreront sur place et viennent grossir les rangs des personnes dans une situation de précarité. « Le plus gros problème de la campagne, ce sont les transports », insiste l'adjointe à la mairie de Neufchâteau. Aller travailler, ne serait-ce qu'à quelques kilomètres de son logement, si l'on n'a pas de voiture, relève du défi. « Et il n'y a évidemment pas de travail pour tout le monde sur place. » Au début de son mandat, en 2008, elle découvre avec surprise que, même s'ils en ont la possibilité, les jeunes en situation de précarité ne se déplacent pas beaucoup. « Aller à Epinal ou à Nancy, c'est toute une expédition pour eux, s'étonne-t-elle. En un sens, l'isolement à un côté rassurant : on préfère rester enfermé chez soi, dans son cocon familial, si on a la chance d'en avoir un. » Même si, traditionnellement, la solidarité campagnarde est bien plus réelle qu'en milieu urbain, se replier sur soi permet parfois de passer inaperçu. « Ici, nous n'avons pas de clochard ou de gens qui dorment à la rue, ou alors très rarement, précise Annie Osnowycz. La pauvreté de chez nous est invisible. Beaucoup n'ont même pas conscience que leurs voisins sont dans cette situation. » Une pauvreté qui ne se voit pas, c'est une pauvreté qu'il est plus difficile d'aider.

Mélina Facchin,
avec Thibaut cordenier, Aude malaret,
David Métreau, Adama Sissoko

Sources :
(1) Pauvreté, précarité, solidarité en milieu rural, septembre 2009, Igas
(2) Prospective, les nouvelles ruralités en France à l’horizon 2030, juillet 2008, Inra
(3) Essai de la géographie de la pauvreté, Laurent Davezies, novembre 2001, Les Travaux de l’Observatoire,
Sirius-Université Paris-Val-de-Marne

Remerciements

Les étudiants et les enseignants du CUEJ remercient tout particulièrement :

Marianne Berthod-Wurmser, Philippe Cordazzo, Catherine Daudenhan, Etienne Guidat, Jean-Jacques Pierre, Damien Richet, Catherine Sélimanovski, Hervé Patry, Elisabeth Klipfel, Dominique Peduzzi et les élus de l’association des maires des Vosges

Le lieutenant-colonel Aguié et les pompiers du SDIS des Vosges, la Chambre de commerce et de l’industrie des Vosges, Léonard Aptel, l’AFPA de Remiremont, Les archives départementales des Vosges, les anciens salariés de la Cimest, l’union locale des syndicats CFDT de Remiremont, Jean-Pierre Antoine, la Banque alimentaire des Vosges, les Restos du cœur des Vosges, le Secours catholique
des Vosges, Gérard Balland, Mariam Colin, Virginie Rivot, Francine Girod, Etienne Pourcher, Simon Leclerc, Philippe Faivre, Yannick Dars, Jean-Christophe Noël, Yohann Tisserand, Josie, Christopher et Bénédicte, Philippe, Virginie, Jacques et Françoise, les Restos du cœur de Neufchâteau, Adali habitat de Neufchâteau, Annie Osnowycz, le CCAS de Neufchâteau, l’hôtel La Frézelle de Rouvre la-Chétive, Emmaüs Neufchâteau, Evelyne, Cinar, Monique Padoan, la DVIS de Senones, Stéphanie Masset et l’Office de tourisme de Senones, les Restos du cœur de Senones, le père François Jacquemin, le Club des anciens de Senones, Christelle Duhand, la Maison de l’entraide du Rabodeau, Marie-Josée Speeg, les sapeurs-pompiers de Raon-L’Etape

Réalisation

Guillaume Bardet, François Chevré, Thibaut Cordenier, Vincent di Grande, Mélina Facchin, Clément Lacaton, Alexandre Léchenet,
Aude Malaret, David Métreau, Stéphanie Peurière, Adama Sissoko, Eric Schings

Reportages

à Senones : François Chevré, Clément Lacaton, Adama Sissoko
à Neufchâteau : Mélina Facchin, David Métreau
à Plombières : Thibaut Cordenier, Vincent Di Grande, Aude Malaret

Encadrement

Alexandre Léchenet, Stéphanie Peurière, Eric Schings

Encadrement technique

Guillaume Bardet, Jean-Christophe Galen, Daniel Muller

Directrice de la publication

Nicole Gauthier

© CUEJ, 2012

 


Devant l’impossibilité d’accroître les investissements du département, les conseillers généraux reconnaissent leur impuissance face à la paupérisation. « Les moyens financiers sont limités, constate Philippe Faivre (UMP), conseiller général. L’heure est à la maîtrise des dépenses. Dans le budget 2013, il n’y aura pas de nouvelles opérations. Seules les actions de soutien seront poursuivies. »
Prenant le relais d’un département exsangue, la région Lorraine envisage de spécialiser les Vosges dans l’art de la table, le tourisme et la filière bois. Mais le contenu du projet de réindustrialisation n’est pas encore connu.
Malgré les déconvenues, la filière bois nourrit toujours certains espoirs. Le Pôle de compétitivité « fibres », basé à Epinal, doit permettre de structurer ce secteur, en favorisant l’innovation autour des fibres et matériaux de construction naturels. Le secteur peut en outre profiter de la présence de l’École nationale supérieure des technologies et industries du bois, à Epinal.
Gravement touchée, la filière textile bouge encore un peu. « Les entreprises textiles qui s’en sortent sont celles qui se positionnent sur des marchés de niche, avec de petites séries, des produits diversifiés et très spécifiques », commente Cyrille Thiery, de la chambre de commerce et d’industrie. En proposant des produits textiles innovants, à forte valeur ajoutée, certaines entreprises tirent leur épingle du jeu.
Les Vosges ont un autre atout. Une situation géographique propice au tourisme, été comme hiver. Sources hydrothermales, stations de ski, lieux historiques, la part du tourisme dans le département est la plus élevée de la région et le secteur emploie 12 000 personnes.  Enfin, l’arrivée depuis 2007 du TGV à Epinal ouvre de nouvelles perspectives de développement économique. La CCI a d’ailleurs inauguré, le 26 novembre dernier, son nouveau centre d’affaires, à deux pas de la gare.
Vincent di Grande, Aude Malaret

Les 26 centres des Restos du cœur dans les Vosges distribuent plus de 500 000 repas par an ; 12 points de distribution pour la Croix-rouge française et 780 000 repas distribués ; 16 permanences d’accueil, 11 vestiaires et deux boutiques solidaires pour le Secours catholique dont plus de la moitié des demandes concernent une aide alimentaire. Sans compter le Secours populaire, Emmaüs,  la Société Saint-Vincent de Paul ou  encore la Banque alimentaire, qui a récolté 16 tonnes de nourriture lors de sa dernière campagne et les redistribuera à une vingtaine de structures du département. Ici, comme ailleurs, les associations caritatives sont de plus en plus sollicitées.
L’exemple du Secours catholique révèle des situations où se conjuguent problèmes d’emploi, difficultés familiales et soucis monétaires.


De nouvelles familles concernées
Le placement est le dernier recours quand aucune autre solution ne peut être trouvée. Au quotidien, assistantes sociales et éducateurs interviennent auprès des familles avec leur accord ou suite à une décision du juge des enfants. L’aide éducative à domicile consiste en des mesures d’accompagnement aux familles en difficulté à cause de problèmes d’absentéisme scolaire, d’autorité parentale défaillante ou de conflits intrafamiliaux. « La précarité n’est pas synonyme de danger pour l’enfant. Quand il a de l’attention et que ses parents lui expliquent ce qui se passe, il peut le comprendre », rappelle Virginie Rivot, éducatrice au foyer de l’enfance de Golbey. « Les enfants passent en premier, les parents se privent », ajoute  Mariam Colin, également éducatrice.
Pourtant la situation devient parfois intenable. Un désarroi vécu aujourd’hui par une nouvelle partie de la population. Les travailleurs sociaux voient ainsi un nouveau public franchir la porte de leur bureau. « De plus en plus de familles viennent s’adresser aux services sociaux. Les demandes d’aide augmentent parmi la classe moyenne. C’est une partie de la population qui n’en demandait pas avant. Comme les ex-salariés licenciés quand ils ont épuisé leurs droits », explique Gérard Balland.  
Une impression confirmée par Mariam Colin : « On peut faire le lien avec la crise. On rencontre des familles qu’on ne connaissait pas. Elles ne savent pas où aller, ne maîtrisent pas le système des aides sociales. En plus, elles ont honte », note l’éducatrice.
Le basculement dans la précarité est un risque de plus en plus important pour ces familles sur le fil du rasoir. Le moindre accident dans les finances du foyer peut compromettre sa stabilité.        
Aude Malaret

Ils étaient 622 en 2004, ils sont plus de 1000 aujourd’hui. En quelques années, le nombre d’enfants placés a fortement augmenté. A tel point que le conseil général a prévu dans son budget complémentaire d’octobre 2012 de financer la création d’une centaine de places supplémentaires. Si le lien avec l’augmentation de la pauvreté n’est pas direct, les acteurs de la protection de l’enfance s’entendent pour constater que la crise économique et les difficultés qu’elle engendre sont un facteur aggravant de la situation des enfants.


Situations familiales dégradées
Perte d’emploi, faibles salaires, pouvoir d’achat en baisse, beaucoup de foyers s’en sortent de moins en moins bien. « La situation économique dégrade très fortement l’environnement des familles. Elles sont isolées et renfermées sur leurs difficultés », remarque Jean-Christophe Noël, directeur du service territorial éducatif de milieu ouvert (Stemo). Ce service de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) d’Epinal mène des enquêtes de terrain pour permettre au juge des enfants de prendre une décision en matière de protection de l’enfance et de mesures éducatives.
Francine Girod, vice-présidente du tribunal pour enfants d’Epinal, partage ce constat : « Comme un amplificateur, les problèmes économiques tirent les familles vers le bas. Les plus fragiles le deviennent davantage. Il y a vingt ans, ces familles accédaient à des emplois peu qualifiés. Aujourd’hui, les plus pauvres n’y ont pas accès. Ils vont moins bien et peuvent être de moins bons parents. »
L’activité des services du Stemo s’étend, en même temps que croît la précarité dans le département. « Notre intervention a toujours été importante dans les zones d’Epinal et de Saint Dié. Maintenant, nos équipes se déplacent de manière diffuse et éclatée dans les secteurs ruraux, raconte le directeur du Stemo. Le tissu économique et social est dégradé. La toxicomanie y est une problématique assez aiguë. Les gens essaient de combler le vide face au manque d’emploi », ajoute-t-il.

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Après une légère hausse entre 1998 et 2000, le nombre de salariés de l’industrie des Vosges a fortement baissé, jusqu’en 2007. La part de l’industrie dans le total des salariés du département a connu une constante diminution de 1998 à 2007. Elle suit la tendance générale nationale, mais reste au moins 13 points au dessus des chiffes français : 26,4% dans les Vosges contre 13,6% pour la France en 2007. « La proportion d’emplois industriels, rapportée à la population, fait figurer les Vosges en tête des départements français », soulignait l’Insee en février 2009. Depuis, l’Ain a dépassé les Vosges. Le département reste industriel mais en net déclin.

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