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Le groupe scolaire de la Meinau vu depuis la route de la Meinau © Kenza Lalouni

Un prix attractif, des espaces verts

Désormais installés dans le quartier, ces primo-accédants ont des motivations diverses. La première est économique. Le prix médian à la Canardière est de 2 300 euros le m², bien inférieur à la moyenne strasbourgeoise de 4 400 euros le m². Yasmine Kedreh, ancienne locataire de la Canardière devenue propriétaire en 2020 d’un appartement rue Schulmeister, raconte : “J’ai souscrit à un prêt à taux zéro, ce qui m’a permis, vu mes revenus, d’acheter mon logement." Sans intérêts et frais de dossier, ce type de crédit est attribué selon les revenus du futur propriétaire et lieu du futur logement. "Ayant bénéficié d’un prêt à taux zéro, j’ai maintenant l’obligation de faire de ce logement ma résidence principale, au moins pendant six années", précise Anne Cuvillier.

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Anne Cuvillier profite de sa terrasse aussi bien l'été que l'hiver. © Paul Ripert

 

D’après une étude de 2020 menée par l’Observatoire régional de l’intégration et de la ville (ORIV) et l’Eurométropole de Strasbourg (EMS), 61 % des nouveaux habitants du parc privé de la Meinau sont des propriétaires, dont 89 % des primo-accédants. Faciliter l’accès à la propriété et favoriser la mixité sociale au sein de la Canardière correspondaient aux objectifs du PRU. Selon cette étude, 34 % des nouveaux propriétaires sont d’anciens habitants de la Meinau tandis que 23 % proviennent de quartiers limitrophes à la Meinau. Seuls 9 % viennent de l’extérieur de l’Eurométropole.

L’image de la Canardière, souvent associée au trafic de drogue et à la violence, n’a pas découragé ces nouveaux habitants de sauter le pas. 

"Par rapport à l’environnement du quartier et les incivilités, on m’avait prévenue. Ça rend le tout un petit peu moins rose, c’est sûr, mais c’est loin d’être invivable", avoue Anne Cuvillier, qui a assisté à plusieurs démantèlements de points de deal au pied de son immeuble.

© Abel Berthomier

Aujourd’hui, plus de 1000 personnes reposent dans le cimetière public musulman. S’y faire enterrer est entré peu à peu dans les habitudes des fidèles bas-rhinois. Ils souhaitent que leurs familles puissent se recueillir sur leur tombe après leur décès. Habitant de la Meinau depuis plus de quarante ans, Azzedine Tabete, chargé de la surveillance du cimetière, ne se voit pas quitter le quartier où il a vécu, travaillé et élevé sa famille. “Je veux que quand mes enfants et mes petits-enfants viennent au foot, ils puissent penser à moi [le cimetière est situé à côté des terrains de foot de la Canardière NDLR]”, explique-t-il. Jalila Bekhouche, née en France, est catégorique : “Pour moi, mon pays, c’est la France, alors je veux me faire enterrer ici. ” Cette tendance à se tourner vers l’inhumation à Strasbourg  s’est amplifiée depuis la pandémie de la Covid-19. 

“Ça fait du bien à ceux qui restent”

Sur l’année 2020, 186 enterrements ont eu lieu au cimetière musulman, soit deux fois plus qu’en 2019. Parmi eux, certains ont dû le faire à contrecœur. Covid oblige, le rapatriement des corps est devenu impossible. ”On a été bloqué et même humilié !”, s’énerve Khadija en repensant à son père inhumé en France contre sa volonté. Comme beaucoup de musulmans, il avait cotisé à une assurance pour que son corps soit rapatrié en Algérie. Mais trois ans après, Khadija le reconnaît : “Ça fait du bien à ceux qui restent de pouvoir aller le voir ici”. Depuis la réouverture des frontières fin 2021, les musulmans peuvent à nouveau choisir leur lieu de funérailles. “Et toi, tu te feras enterrer près de papa ?”, lance-t-elle à sa mère. Élusive, cette dernière rétorque : “La terre, c’est le Dieu qui choisit !”. 

Un changement générationnel 

Le choix du lieu d’inhumation peut encore faire débat et provoquer des discordes au sein des familles. Aihmad, habitant de Strasbourg depuis sa naissance, accroche son vélo sur les arceaux gris devant le cimetière. Il vient déposer des fleurs sur la tombe de son père, décédé en septembre 2023. Lui et sa sœur ont décidé de garder leur parent près d’eux, “pour ne pas le laisser seul au Maroc”. Ce choix a créé des tensions avec sa mère, depuis apaisées. 

Si certaines personnes gardent la possibilité du rapatriement par la prévoyance, “la question ne se pose plus tant que ça parmi les fidèles que je côtoie”, estime Saliou Faye, imam de la Mosquée de la Fraternité. Les musulmans arrivés en France entre les années 1950 et 1960 pensaient qu’ils rentreraient dans leur pays après leur retraite. Beaucoup étaient réticents à l’idée d’enterrer leurs proches à Strasbourg. À cause de l’éloignement avec leurs familles restées au pays, ils redoutaient que leurs tombes soient abandonnées. Mais cette crainte se dissipe. Leurs enfants sont nés et ont fondé leurs familles en France. Cette présence rassure aussi quant à la pérennisation de la concession.  

Un manque de place ? 

Cette évolution des pratiques funéraires génère une nouvelle problématique : le manque d’espace. Deux extensions du cimetière ont déjà vu le jour depuis sa création en 2012, doublant quasiment le nombre d'emplacements. “On a passé toute notre vie ici, on aimerait vraiment avoir une place”, s’inquiète Azzedine Tabete. C’est une crainte que partage Lidia Bekhouche. Elle aurait voulu en “réserver” une. Sa mère éprouve le souhait d’être inhumée auprès de sa fille. Selon le gestionnaire du cimetière, il n’y a pas lieu d’être inquiet concernant un potentiel manque de places : “Il y en aura probablement pour au moins dix ans avec la nouvelle extension”, estime-t-il. Un chantier débutera dès 2024 sur le terrain vague accolé au cimetière public musulman pour l’agrandir.

Louise Pointin et Elsa Rancel

 

Avec le Projet de renouvellement urbain (PRU) lancé en 2006, le quartier de la Canardière cherche à faire peau neuve. Attirés par un prix avantageux, une proximité avec le centre-ville et les espaces verts, de nombreux primo-accédants sont séduits par ce secteur en pleine redynamisation. 

Depuis la terrasse de son logement route de la Meinau, Anne Cuvillier, enseignante d’allemand à l'École libre Sainte-Anne de Neudorf, profite des quelques éclaircies de ce mercredi après-midi de novembre pour étendre son linge. À l’intérieur de son appartement moderne et chaleureux, ses deux enfants jouent dans leurs chambres, bien contents de ne pas avoir école. La mère de famille contemple les immeubles qui entourent son logement, sécurisés par des portails métalliques et entourés de jardins aménagés. Comme elle, de nombreux primo-accédants sont venus s’installer dans le quartier ces dernières années : "La Canardière, ça a été une opportunité, car je ne pensais pas pouvoir acheter dans le neuf. Je suis arrivée au bon moment."

Après cinq années passées à Obernai, Anne Cuvillier a emménagé en 2018 dans un quatre-pièces neuf de 77 m², acheté sur plan pour 201 000 euros. Ces logements font partie du Projet de renouvellement urbain (PRU) de la Canardière. Lors de la première phase du plan (2006-2019), 600 logements sociaux ont été détruits, laissant la place à autant de nouveaux logements privés. Commencée en 2020, la seconde phase prévoit la construction de 400 logements privés qui devraient être livrés d’ici 2030. Autant de potentiels nouveaux accédants à la propriété.

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En plus des voitures et des trams, les cyclistes doivent rester vigilants aux passages piétons. © Élodie Niclass

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Avenue de Colmar, voitures et camions flirtent dangereusement avec la bande cyclable. © Élodie Niclass

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À cause de la pandémie et de la fermeture des frontières, le nombre d'enterrements au cimetière musulman a augmenté. © Louise Pointin

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