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« Les femmes sont capables de tout faire, il faut juste leur laisser une chance. »  C’est la conviction de Tahani Chatti, l’une des premières plombières de Jordanie. Et pour donner leur chance aux femmes, elle a fondé en 2014 la Coopérative des femmes plombières, une association qui les initie aux rudiments du métier. Cette vocation, elle l’a trouvée par hasard en 2011 alors qu’elle avait 27 ans. « Il y avait une formation dans mon quartier, j’y suis allée par curiosité, et j’ai adoré. »  Ce qui lui a plu par-dessus tout, c'est la nouvelle vie qui s'offrait à elle. 

Comme de nombreuses femmes jordaniennes, Tahani Chatti a été mariée contre son gré à 15 ans et était destinée à une vie de femme au foyer. Un carcan qui étouffait cette mère de quatre enfants. « Je devais toujours demander à un homme quand j’avais besoin de quelque chose et j’avais peur de m’éloigner à quelques kilomètres de chez moi » , se souvient-elle. 

Elle trouve néanmoins du soutien chez son mari et se lance dans une formation de plomberie. Un choix qui détonne et qui lui vaut des critiques de la part de certains membres de son entourage. Dans le milieu de la plomberie aussi, cet engagement a attisé les remarques sexistes : « Les femmes veulent mettre leur nez partout et nous voler notre travail » , raconte-t-elle. Certains plombiers allaient même jusqu’à lui demander : «  Comment tu vas retrouver les tournevis dans ton sac à main ? Tu es sûre que tu arriveras à porter ta boîte à outils ? » 

Parmi les premières plombières de Jordanie, Tahani Chatti a fondé la Coopérative des femmes plombières pour enseigner les rudiments de son métier aux femmes. Un engagement pour leur indépendance et pour lutter contre le manque d’eau dans le pays. 

Mais un regret demeure. Le public n’est pas là pour l’écouter. En ça, il jalouse les Libanais et leur humour « beaucoup plus libre » qui attire du monde. « En Jordanie, on peut rire de tout mais il y a des limites », assure l’humoriste, semblant presque passer à côté du paradoxe de la phrase. Les trois lignes rouges – la monarchie, la religion et le sexe – contraignent fortement l’expression dans le pays (à la 132e place sur 180 dans le classement Reporters sans frontières sur la liberté de la presse en 2024). L’humour s’en trouve aseptisé, vidé de son piquant par des interdits moraux et politiques.

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Chaque région du Moyen-Orient a sa propre recette de zaatar. © Azilis Briend

Si tout ce qui vient des États-Unis est vu comme un repoussoir, certaines marques américaines sont encore prisées. Dans le centre-ville d’Amman, les mégots de Marlboro et de Philip Morris s’empilent dans les cendriers des terrasses. Question clope, la fièvre du boycott a du mal à prendre en Jordanie, l’un des pays comptant le plus de fumeurs dans le monde. « Ah, c’est sûr, les gens boycottent, mais les cigarettes, c’est autre chose, tout le monde fume au Moyen-Orient », sourit Mahmoud, accoudé au comptoir du Global Café, dégainant son paquet de L&M red comme une provocation. Comme tous les lundis soirs, Mahmoud est venu partager un thé avec son ami Abou, gérant du Global Café sur l’Al-Hashemi Street, face au théâtre antique. « Dans mon magasin, j’ai viré tous les produits boycottés », assure Abou fièrement. À une exception près. Ici, on achète du Matrix avec un paquet de Winston.

Laura Beaudoin
Milan Derrien
avec Malak Khamees

La caricature pour défier la censure

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Le soir, dans le souk d'Amman © Azilis Briend

Au rayon snacks du supermarché Abu Odeh, une pancarte surmontée du drapeau jordanien et d’un poing levé incite à soutenir les marques locales. « Ça m’encourage à continuer le boycott et à chercher des alternatives. J’y arrive presque à 100 % mais il y a certains produits, notamment pour le soin de la peau, pour lesquels je ne trouve pas. Donc j’achète toujours de la crème Nivea », confie amèrement Lina, avant de passer en caisse. Le succès du boycott dépend des solutions existantes et surtout de leur qualité pour inverser durablement le rapport de force. La clef de survie pour Hussam Ayech : « Les produits locaux gagnent en qualité pour s’adapter à la demande. C’est indispensable pour fidéliser le client et devenir une marque de référence. »

Quoiqu’il y ait une exception : Hosne. Enfant d’une réfugiée de la Naksa (exode de quelque 300 000 Palestiniens après la guerre des Six Jours en 1967), il a grandi dans l’un des camps de Jordanie. Parler de lui, c’est parler de « tout ça ». « Pour moi, le retour de la guerre a tout changé dans ma vie, mais rien dans mon travail », raconte le comédien de 27 ans qui a toujours rit de son enfance et de ses origines. Ironie tragique : « Aujourd’hui, ça marche encore mieux avec l’actualité », dit-il.

Une aubaine pour les entreprises jordaniennes. Floqué sur une bouteille de jus de fruits ou un paquet de gâteaux, le drapeau jordanien est devenu un argument de vente féroce. Fastrin a remplacé la lessive Ariel tandis que Mr. Chips s’est substitué aux paquets Lay’s. Un site internet a même été lancé par la chambre d’industrie jordanienne, Urdoni (jordanien en arabe), qui recense une vaste liste de produits made in Jordan. Lancée en janvier 2024, Urdoni « permet au consommateur d’identifier les produits jordaniens dans tous les secteurs et les différents gouvernorats du Royaume », assure de son côté la chambre d’industrie. Le gouvernement surfe sur le phénomène pour promouvoir ce qui ressemble de plus en plus à du patriotisme économique. 

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