Capture d'écran Youtube
Au premier coup d'oeil, ces deux là n'ont pas la dégaine d'animaux politiques. Du haut de ses 73 ans, avec ses cheveux blancs comme neige et ses cravates rayées, Bernie Sanders tient plus du comptable à la retraite que du présidentiable. Quant à Jeremy Corbyn, il est raillé sans vergogne pour ses tenues ringardes et son côté hippie sur le retour, végétarien et fana de vélo. Pourtant, le premier double Hillary Clinton par la gauche dans les sondages pour la primaire démocrate, et le second est bien placé pour prendre la tête du Labour Party, samedi 12 septembre, avec 53% des intentions de vote. De part et d'autre de l'Atlantique, ils se posent comme l’aile résolument socialiste de partis politiques frileux qui s’échinent à séduire le centre. A priori, cette prise de position a des airs de bourde stratégique. Les analystes anglais imputent la défaite du Labour aux élections générales à une “gauchisation” de la ligne du parti sous la gouverne de l’ex-leader Ed Miliband. Aux Etats-Unis, le terme “socialiste”, éructé avec mépris par les anti-Obama, est presque un synonyme de “terroriste”. Un récent sondage mené par le site Gallup révèle d'ailleurs que les électeurs interrogés préfereraient encore voter pour un musulman, voire un athéiste (tabou extrême).
Illustration Gallup.com
S’ils sont sous le feu des médias depuis quelques mois, Sanders et Corbyn ont déjà un long passé politique et activiste. Maire de Burlington de 1981 à 1989, Bernie Sanders s'est ensuite installé à la chambre des représentants avant de devenir sénateur du Vermont en 2007. Celui qui a soutenu le mouvement Occupy Wall-Street milite également pour les droits LGBT depuis 40 ans. En 1991, il est l'un des rares élus à s'opposer à la guerre en Irak, ainsi qu'en 2002. Jeremy Corbyn, lui, est député d'Islington North, dans la banlieue de Londres, depuis 1983. En politique, l'un de ses coups d'éclat est d'avoir mené une grande campagne contre la décision de Tony Blair de prendre part à la guerre en Irak. En 2003, il a été l'unique député travailliste à voter contre le Premier ministre. Le parallèle avec Sanders est facile : tous deux sont des socialistes auto-désignés qui ont construit une carrière politique loin du devant de la scène. Aux Etats-Unis et en Angleterre, ils sont les candidats qui attirent et enthousiasment les foules, sans le soutien des grands médias et des leaders politiques, qui les dépeignent comme de vieux grincheux borderline.
Des projets économiques qui séduisent
Aujourd'hui, entre un Donald Trump tapageur et excessif, et une Hillary Clinton ralentie par ses casseroles, Bernie Sanders est un OVNI. Il refuse d’être financé par les Super Pacs, des groupes d’influence qui sponsorisent la politique américaine, et monte sa campagne au moyen de petits dons de particuliers : un montant qui s’élève à présent à une quinzaine de millions de dollars. Une campagne de terrain sans fracas, qui ne l’empêche pas d’être accueilli en véritable rock-star lors de ses meetings. Dans le discours, le candidat à la primaire démocrate s'ancre résolument à gauche : sa ligne directrice est de débarasser la politique de ses lobbies et de redonner le pouvoir aux citoyens. Ses chevaux de bataille sont nombreux. Entre autres, Bernie Sanders propose de taxer Wall-Street, alléger la dette étudiante, développer la couverture maladie. Chez les travaillistes, Jeremy Corbyn voudrait renationaliser les chemins de fer et instaurer un service national étudiant sur le modèle de la NHS, le système de santé publique britannique. Anti-austérité, anti-nucléaire, les candidats ont gagné la sympathie des militants à travers leurs programmes économiques.
Jeremy Corbyn présente sa candidature à la tête du Labour Party.
Les limites des candidats trop à gauche
Dans une tribune pour le magazine Forbes, l'écrivain et journaliste Tim Worstall expose la réelle différence, à ses yeux, entre les deux vétérans socialistes : si Corbyn est presque certain d'emporter sa bataille, Sanders, lui, sera finalement écrasé par la campagne-machine de sa rivale Hillary Clinton. C'est là un avis partagé même par les soutiens de Bernie, qui reconnaissent que sans les grandes sommes apportées par le financement des Super Pacs, leur candidat aura du mal à tenir la distance. Dans les deux pays, les politiques trop à gauche sont à la fois fédératrices et clivantes. Il manque à Bernie Sanders le charisme d'un Barack Obama. De plus, s'il a assisté au célèbre discours de Martin Luther King en 1963, il n'est pas particulièrement tourné vers les voix afro-américaines, qui représentent tout de même 20% de l'électorat démocrate. Au Royaume-Uni, Jeremy Corbyn enthousiasme les jeunes et les syndicalistes, mais rebute les classes moyennes dont le vote centriste fait souvent pencher la balance en faveur du Labour ou des conservateurs. Les têtes du parti, Tony Blair le premier, déplorent cette "Corbynmania" qu'ils comparent à l'engouement pour les partis radicaux populistes. Quant aux conservateurs, ils se réjouissent de cette candidature qui divise les travaillistes et les maintient, peut être, encore à l'écart du 10 Downing Street.