Viktor Orbán est dans le viseur de l’Union européenne pour ses manquements répétés à l’État de droit. Jeudi, les eurodéputés ont dénoncé la dérive autoritaire de son régime, après un décret obligeant les Hongroises à écouter battre le cœur de leur fœtus avant de pouvoir avorter.
La Hongrie s’éloigne encore de l’État de droit. Le gouvernement de Viktor Orbán empiète, pour la énième fois depuis l’arrivée au pouvoir du leader ultra-conservateur en 2010, sur les libertés fondamentales. Cette fois, ce sont celles des femmes qui sont visées : depuis jeudi 15 septembre, un décret force les Hongroises à « prendre conscience des fonctions vitales du fœtus », c’est-à-dire à écouter battre le cœur de l’être en gestation, avant d’être autorisées à avorter.
"Je peux comprendre que tu ne sois pas prête... mais laisse-moi venir au monde et donne-moi à des parents adoptifs" : avant de publier son décret, le gouvernement hongrois a tenté de mobiliser l'opinion publique. Visuel officiel du gouvernement hongrois
Signé de la main du ministre de l’Intérieur Sándor Pintér, qui a déclaré que « près des deux tiers des Hongrois associent le début de la vie d’un enfant au premier battement de cœur », ce décret traduit en termes juridiques l’idéologie réactionnaire de Viktor Orbán et de son parti, le Fidesz. Selon eux, toute liberté « contraire » aux valeurs traditionnelles, familiales ou chrétiennes doit être supprimée. Le droit à l’avortement, pourtant garanti par la Constitution hongroise (jusqu’à 12 semaines de grossesse), fait donc partie, à leurs yeux, de ces libertés indésirables et sur lesquelles il faut revenir.
État de droit en péril
Les condamnations n’ont pas tardé. En Hongrie, l’organisation féministe Patent a démenti les affirmations de Sándor Pintér, affirmant qu’au contraire « l’avortement est largement accepté dans la société. Statistiquement, deux tiers des Hongrois ne souhaitent pas voir de nouvelles restrictions à l’avortement ». Amnesty International a renchéri, soulignant qu’aucune consultation n’avait été menée par le gouvernement hongrois, et déclarant, par la bouche de son porte-parole Áron Demeter, que ce décret n’a comme objectif que de « rendre plus ardu l’accès à l’avortement » et « traumatisera davantage de femmes déjà en situation difficile ».
L’Union européenne n’est pas en reste. Depuis deux ans déjà, les Vingt-Sept observent avec inquiétude la dérive autoritaire à l’œuvre en Hongrie. En octobre 2021, le Parlement européen, excédé, avait saisi la Cour de justice de l’UE (CJUE) pour forcer la Commission européenne à réagir aux atteintes répétées à l’État de droit par ce pays-membre, comme nous l’avions rapporté sur Cuej.Info.
L'eurodéputée Gwendoline Delbos-Corfield est l'une des opposantes les plus déterminées aux régimes hongrois et polonais au sein de l'hémicycle. European Union 2022 - Source : EP
Le Parlement a récidivé ce jeudi en adoptant à une très large majorité un rapport présenté par l’eurodéputée Gwendoline Delbos-Corfield (EELV). Le texte dresse une liste de 12 domaines au sein desquels les libertés sont en recul en Hongrie. Dans le viseur des rapporteurs, on trouve notamment la liberté d’expression, l’indépendance de la justice, l’autonomie des universités et, comme l’a prouvé le gouvernement Orbán jeudi, les droits des femmes et des personnes LGBTQI+.
La Hongrie bientôt exclue du club des démocraties ?
En séance plénière, la rapporteuse du rapport n’a pas mâché ses mots pour qualifier la dérive hongroise. « Depuis des années maintenant, nous évitons de définir ce qui se passe en Hongrie, nous évitons de nommer précisément le régime du gouvernement hongrois », a-t-elle regretté. Refusant d’employer plus longtemps le terme de « démocratie illibérale » revendiqué par Viktor Orbán pour qualifier son régime – Gwendoline Delbos-Corfield estime qu’il s’agit d’un oxymore vide de sens – elle décrit désormais la Hongrie comme un « régime hybride d’autocratie électorale » et une « simili-démocratie ».
Le glissement sémantique n’est pas anodin : l’Union européenne n’est ouverte qu’aux seules démocraties. Si la Hongrie cessait d’être considérée comme telle (même « illibérale »), sa place parmi les Vingt-Sept serait remise en question. Au Parlement, les propos de Gwendoline Delbos-Corfield ont été accueillis par une salve d’applaudissements et par le silence hostile des eurodéputés conservateurs hongrois et polonais.
Matei Danes
Édité par Nils Hollenstein