Composé de 22 courts-métrages tournés par des Palestiniens dans la bande de Gaza, "From Ground Zero" donne la parole aux premiers concernés par le conflit sanglant avec Israël. Un documentaire déchirant mais nécessaire, qui sortira en salles le 12 février.
Dans ce court-métrage, Khaled, le protagoniste de "Jour de classe", part à la recherche de son école inexistante. Photo Ahmed Al Danaf
Vingt-deux courts-métrages, vingt-deux cartes postales envoyées de Gaza au reste du monde. From Ground Zero explore avec simplicité et brio la vie quotidienne des Palestiniens, sous les bombes depuis le 7 octobre 2023, et même avant. Présélectionné pour l'Oscar du meilleur film international, ce documentaire a été diffusé mardi 4 février en avant-première au cinéma Star Saint-Exupéry à Strasbourg, dans le cadre de l’Entre Deux du Festival du film palestinien (qui a lieu tous les deux ans). Il sortira en salles en France le 12 février.
Avec ce projet cinématographique collectif, l’objectif du réalisateur palestinien Rashid Masharawi est de rendre leur voix aux cinéastes gazaouis, en lutte permanente pour survivre. Les journalistes étrangers étant interdits sur place par Israël et ceux à Gaza se faisant tuer, les caméras se font rares. Divisé en deux parties de 55 minutes, From Ground Zero est le résultat du travail de réalisateurs, producteurs de films d’animation, artistes de théâtre, danseurs, vidéastes, spécialistes en multimédia, écrivains et journalistes.
Certains courts-métrages surprennent par leur brièveté, entre 3 et 7 minutes. Le documentaire expérimental Echo, de Mustafa Kolab, dure le temps d’un appel. Ambulances, appels à l’aide, bombes en fond sonore, le spectateur plonge dans la fuite constante et dans la nuit noire au bord de la mer de Gaza. Clap de fin. À chaque fois que l’on relâche son souffle pendant le générique, un autre film démarre aussitôt.
Dans le court-métrage "Peau Douce" de Khamis Masharawi, les enfants témoignent de leur traumatisme lié à la guerre grâce à un atelier créatif. Photo Khamis Masharawi
Dans leur propre rôle, les 22 cinéastes sont à la fois les narrateurs et les histoires. Si le décor change à chaque fois, le spectateur a l’impression de faire du surplace : camp de réfugiés, ruines, bord de mer et marchés. Tout comme le peuple palestinien, nous sommes coincés dans la bande de Gaza, sans aucun moyen d’échapper aux tirs.
24 heures d’Alaa Damo raconte comment Musab a survécu à trois bombardements dans la même journée. Il perd successivement son cousin, ses frères et sœurs, ses parents et d’autres membres de sa famille. Dans l’horreur, ne reste plus qu’à constater et à témoigner. "Le cinéma peut conserver la mémoire pour les générations futures, je veux que ces films soient de l'action sur la durée, pas simplement une réaction", explique Rashid Masharawi, pour qui le travail continue. D’après le réalisateur de 63 ans, dix longs métrages documentaires sont en train d’être tournés dans la bande de Gaza.
Guerre militaire et guerre de l’image
Avec des vidéos d’archives, des marionnettes, des dessins ou encore de la musique, les cinéastes livrent avec émotion des témoignages que chacun devrait écouter. Des témoignages parfois sans parole, car les images suffisent, comme dans Jour de classe d’Ahmed Al Danaf. Le protagoniste Khaled se faufile entre les tentes du camp, les décombres et les marchés, jusqu’à son école inexistante. Parce qu’il est bien question de ça : la privation. D’éducation, de nourriture, d’eau, d’innocence. "Nous serons en morceaux", lance une fillette avec une lucidité qui fait froid dans le dos. Les enfants, voix effacées du conflit et lourd tribut – plus de 14 500 tués depuis quinze mois selon l’Unicef –, sont les protagonistes de Peau Douce de Khamis Masharawi. La mère de cette petite fille a écrit son nom sur le bras de ses enfants, pour identifier leur corps s’ils se font bombarder.
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Dans cette guerre autant militaire que bataille d’images, From Ground Zero offre une bouffée d’air frais. Loin des clichés qui inondent les réseaux sociaux, les courts-métrages tournés avec les moyens du bord permettent d’humaniser les bilans qui nous parviennent en Occident. "Le but du film est de transformer ces chiffres en visages, en êtres humains, en personnes qui ont des vies et des projets", résume Rashid Masharawi. Les Palestiniens souffrent, mais gardent espoir aussi, comme Hana Eleiwa dans son documentaire Non : "Je rejette le désespoir, la frustration, la laideur. Non à tout ce qui nous détruit."
Lucie Campoy
Édité par Mélissa Le Roy