John Kerry fait ses premiers pas comme secrétaire d'Etat américain. Le sénateur démocrate a prêté serment vendredi soir, et a pris ses fonctions lundi. Il parle couramment le français et a passé près de trente ans au Sénat, dont ses quatre dernières années à la tête de la Commission des Affaires étrangères. Aucun doute. Il a « la diplomatie dans les gênes », comme il l'affirme haut et fort. Le fils de diplomate semble très différent de l'ancienne vice-présidente, Hillary Clinton, préférée par Barack Obama en 2008. Dès lors, faut-il s'attendre à un revirement de la diplomatie américaine ?
Eléments de réponse avec Raymond Bach, directeur de l'université de Syracuse, à Strasbourg.
La nomination de John Kerry au poste de secrétaire d'Etat va-t-elle entraîner un changement sensible dans la diplomatie américaine ?
À priori non. On ne change pas de président, donc on devrait avoir une continuité de la politique menée par Barack Obama. Ce n'est même pas un changement de philosophie puisque les deux hommes partagent les mêmes valeurs.
Pour autant, on va sûrement observer un changement dans le style : John Kerry n'a pas les mêmes intérêts qu'Hillary Clinton. Il a une longue expérience internationale, il a lui même vécu la guerre du Vietnam, il n'a pas le même rapport à la guerre. Il va par exemple plus hésiter avant d'envoyer des troupes sur place. En fait, il se situe plus du côté des soldats. John Kerry a bien compris que le recours à la force avait des limites, sa priorité est de comprendre ses adversaires.
John Kerry sera-t-il à même d'imposer ses idées ?
C'est le président qui dirige. Il est le responsable de la politique étrangère. Le secrétaire d'Etat suit les instructions. En tant que tel, il ne pourra pas vraiment s'imposer, puisqu'il suit la politique du président.
Pour autant, le nouveau secrétaire d'Etat John Kerry aura peut-être davantage de liberté. Il entretient une relation particulière avec Barack Obama, qui n'était pas celle d'Hillary Clinton. D'une part, parce que ce n'est pas un ancien rival. Au début, entre Hillary Clinton et Barack Obama, il y avait un climat de méfiance après le combat des Primaires. D'autre part, Kerry ressemble au président : ils privilégient tous les deux « l'engagement », c'est-à-dire le dialogue. Mais les deux hommes vont quand même garder une ligne dure face à la Corée du Nord et à l'Iran. Il y a des pressions républicaines qui s'exercent sur eux : il ne faut pas se montrer « faible ».
John Kerry a passé ses vacances en France, dans la maison familiale, à Saint-Briac en Bretagne, lorsqu'il était enfant. Il est francophone, mais aussi francophile. Sa nomination est-elle une bonne nouvelle pour la France ?
En fait, on espère voir plus d'intérêt de la part des Etats-Unis, non pas forcément pour la France, mais pour l'Europe dans son ensemble. John Kerry et Barack Obama aiment tous les deux l'Europe. Le vice-président va peut-être se montrer davantage intéressé par ce qu'il se passe ici.
Pourtant, je doute que la politique menée par Obama depuis quatre ans change du tout au tout. La politique étrangère est tournée vers l'Asie, la Chine. Mais pour le moment, l'Europe n'intéresse pas les Etats-Unis. John Kerry a déjà un agenda extrêmement chargé et l'Europe paraît tellement stable... Premièrement, il doit faire face à la menace de la Corée du Nord. Puis, il doit essayer de régler les différends entre la Chine et le Japon. L'année sera aussi cruciale sur le dossier iranien. Enfin, il doit tenter de pacifier les relations israélo-palestiniennes.
Le seul intérêt de l'Europe est économique : l'économie américaine dépend en partie de l'économie européenne. Si la croissance baisse en Europe, c'est un danger pour les Etats-Unis. John Kerry ne s'y intéressera que s'il représente une menace pour son pays, ou si la crise de la zone euro revient de façon violente.
Propos recueillis par Mathilde Dondeyne