Kim Jong-un n'est au pouvoir que depuis décembre 2011 mais il a déjà montré qu'il était le digne héritier de son père. Nucléaire, provocations, diabolisation de la Corée du sud et des Etats-Unis. À quoi joue-t-il ? Éléments de réponse avec Claude Helper, politologue et essayiste spécialiste de l'Asie du Nord-Est.
Kim Jong-Un le 7 mars 2013, sur une île au coeur d'une confrontation meurtrière entre les deux Corées en 2010. / Vidéo-AFP. Source : KCTV
La Corée du Nord vient d'annoncer qu'elle abrogeait « tous les accords de non-agression entre le Nord et le Sud ». Qu'est-ce que cache une telle provocation ?
C'est difficile de savoir ce que la Corée du Nord souhaite réellement. La situation est complexe. D'une part, le régime veut certainement tester la Corée du Sud. Sa présidente Park Geun-hye - la fille de l'ancien dictateur militaire sud-coréen Park Chung-hee en place de 1961 à 1979 - n'est au pouvoir que depuis deux semaines. Pyongyang veut savoir quelle sera l'attitude de Séoul. Les relations avec l'ancien président, très buté, étaient difficiles et tendues. D'autre part, Kim Jong-un veut tester les nouveaux princes rouges chinois (les apparatchiks du parti communiste chinois) qui vont forcément devoir réagir.
Justement, la Chine a voté en faveur de la résolution de l'ONU renforçant les sanctions contre la Corée du Nord. Comment interpréter ce changement de position d'un allier traditionnel du pays ?
Il y a un durcissement de la position chinoise face aux provocations répétées de la Corée du Nord. Il ne faut pas oublier que la Chine avait déjà soutenu une résolution de l'ONU, lorsque la Corée du Nord avait procédé, en décembre 2012, à un tir de missile balistique déguisé en mise en orbite d'un satellite par une fusée. Ce fameux satellite ne fonctionnerait pas totalement. La résolution votée jeudi a également été soutenue par la Chine. Le texte permettra notamment de fouiller les navires qui se rendent en Corée du Nord ou quittent un de ses ports.
De manière générale, certaines voix chinoises non officielles font entendre leur sentiment d'exaspération face aux provocations nord-coréennes. Dans la presse, certains articles très virulent à l'égard de Pyongyang n'ont pas été censurés. Mais il ne faut pas oublier que la Corée du Nord n'a jamais été soumise à la Chine. L'image de la fraternité est souvent utilisée pour évoquer les relations entre les deux pays. Mais le grand frère chinois ne parvient pas toujours à assoir son autorité sur la Corée du Nord.
La Corée du Nord a menacé Washington d'une « frappe nucléaire préventive » en début de semaine. A quel point ces menaces doivent-elles êtres prises au sérieux ?
La Corée du Nord n'a pas été très précise sur la cible qu'elle pourrait viser. Il pourrait s'agir de Séoul où se trouve le commandement des troupes américaines basées en Corée du Sud. La cible pourrait aussi être le Japon ou de l'île de Guam (rattachée aux Etats-Unis) mais cela me semble moins probable. Il y a de grandes incertitudes sur les capacités du régime de Pyongyang à envoyer une bombe nucléaire à l'aide d'un missile. Même si lors de son dernier essai nucléaire, la Corée du Nord avait déclaré qu'elle progressait dans la miniaturisation de sa bombe, rien n'indique que le pays soit capable de l'attacher à un missile.
Le pays dispose d'un grand nombre de missiles SCUD et RODANG, de courte et moyenne portée, capables de toucher la Corée du Sud. En revanche, les Nord-Coréens n'ont pas pu tester de bouclier thermique sur la fusée longue portée, indispensable pour qu'une bombe nucléaire n'explose pas en plein vol.
Mais le voile demeure sur la personnalité de Kim Jong-un. Est-il capable d'une folie ou pas ? Ce n'est pas la première fois que la Corée du Nord menace la Corée du Sud. Dans les années 1990, Pyongyang avait déjà promis de transformer Séoul en une « mer de feu ».
Mais les relations diplomatiques entre les pays se sont un peu plus tendues ?
Concernant le fameux téléphone rouge mis en place en 1971, ce n'est pas première fois que la liaison est coupée. En 2009, la ligne avait été coupée pendant une dizaine de mois. Et puis le pacte de non-agression abrogé hier par la Corée du Nord n'a jamais été intégralement mis en place par les deux parties.
Y-a-t'il une raison de croire à la réunification des deux Corées ?
Je ne pense pas que quelqu'un soit pressé de voir les deux pays réunifiés. Pour la Corée du Sud, une réunification coûterait bien trop cher et il faudrait gérer un flux de réfugiés énorme. Le Japon n'y est pas favorable. On dit souvent que le Japon aime tellement la Corée qu'il préfère qu'elle soit coupée en deux. Autrement, elle deviendrait un concurrent commercial sérieux. Pour les Etats-Unis, la situation actuelle permet de maintenir des troupes à Séoul dans le cadre d'une politique de « containment » de la Chine. Mais elle arrange aussi Pékin car les soldats américains se focalisent sur la protection de la Corée du Sud et le Japon et restent loin de Taïwan.
Propos recueillis par Maxime Coltier