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La terrasse du Barco Latino un jeudi d’octobre, en début de soirée. © Blandine D'alena

Une offre inadaptée

Malgré cette modernisation menée par la Ville, le quartier manque d’une offre de loisirs, et ceux existants ne répondent pas aux attentes des riverains. Les trois aires de jeux, le terrain multisports et la proximité du jardin des Deux-Rives ne séduisent pas les familles qui préféreraient « un club de foot », une piscine « comme à Kehl », ou « un skate-park ». L’école de cirque et le centre équestre, seules associations sportives et culturelles implantées dans la zone, n’ont pour adhérents que des personnes extérieures. Des partenariats avec le CSC et l’école du Rhin existent pour faire découvrir ces activités, mais le coût onéreux de ces dernières dissuade les parents d’y inscrire leurs enfants.

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1934 permis de pêche ont été délivrés à Strasbourg en 2017. Cette carte annuelle est obligatoire. Des tarifs Découverte sont attribués aux femmes et aux mineurs. © Louise Claereboudt

Camille Wong et Cédric Pueyo

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 Benjamin Balbinot pratique le "streetfishing", la pêche de rue. © Charlène Personnaz

A ceux qui déplorent le manque de commerces, Philippe Bies répond qu’un local est réservé pour la création d’un commerce de proximité. Mais l’investisseur n’est pas encore connu et encore moins la date d’ouverture.

En attendant, aux Deux-Rives, la clinique médicale Rhéna a ouvert ses portes en février dernier. Elle draine des patients de tout le Bas-Rhin. Par ailleurs, un centre socio-culturel pour les associations du quartier devrait ouvrir courant 2019.

Selon Anne-Véronique Auzet, « les changements dans le quartier sont appréciés par les habitants ». Des initiatives associatives voient le jour. Le Club senior et le petit déjeuner mensuel des habitants du quartier font partie des événements organisés par l'association Au-delà des Ponts. 

« Le Port-du-Rhin prend un nouvel élan, j’ai envie d’être utile au quartier », déclare Michel Makani, tout juste retraité et locataire d’un des nouveaux logements sociaux. Content de voir le quartier aller de l’avant, il envisage d’investir dans l’achat de son appartement.  

« Tout le monde voudra venir à Port-du-Rhin », conclut-il.

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Dominique a appris à pêcher grâce aux livres et aux tutoriels proposés sur internet. © Thibaut Chereau 

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Les mercredis après-midi, de nombreux enfants empruntent des livres à la médiathèque. © Marine Chaize

Il est dix heures, le centre commercial Rivetoile ouvre ses portes. Les usagers commencent à errer et à se diriger vers les magasins encore vides. Un homme chétif aux cheveux hirsutes d’une cinquantaine d’années emprunte les escalators pour se rendre au niveau – 1. Il se dirige en boitant vers le bureau d’information. Il présente sa carte de fidélité à l’hôtesse d’accueil qui lui tend le journal. Gilbert est un habitué des lieux. Il vient tous les jours depuis l’ouverture de la galerie marchande en 2008 lire son exemplaire des Dernières Nouvelles d’Alsace. « Je lis ici, je fais tout ici depuis neuf ans, je connais tout le personnel et personne ne m’embête», précise-t-il confortablement assis sur les fauteuils rouges près des escalators. Gilbert est un ancien travailleur du bâtiment aujourd’hui sans-abri. Passionné de rockabilly, il passe ses journées entre Rivetoile et la médiathèque André-Malraux voisine, pour regarder des films et écouter ses morceaux préférés.

A l’extérieur, un jeune homme assis sur les marches qui mènent à l’eau sort des bouts de pain de son sac en plastique. Il les tend à une tribu de ragondins voraces sortis de l’eau. Ata, étudiant en première année de droit âgé de 18 ans, a quitté sa Turquie natale et sa ville d’Izmir il y a deux mois. Il a découvert ces rongeurs hier. « C’est génial ! Vous avez la vie sauvage dans le centre-ville en France, on n’a pas ça en Turquie. Là-bas il n’y a que des chiens sales errants, sourit-il. C’est très reposant pour moi, je pense que je vais revenir mais j’espère que j’ai le droit de les nourrir. »

Sortie familiale

De l’autre côté de la rive, autour de l’aire de jeux, l’ambiance est plus bruyante. Fatiha Baraka observe ses trois enfants qui s’amusent au tourniquet situé à quelques mètres de la porte Univers noir du centre commercial. Aujourd’hui, sa famille est venue spécialement de Hoenheim pour passer l’après-midi à jouer sans rien acheter. « On vient lorsqu’on a envie de changer d’air, de quitter notre quartier », dit la mère en observant ses enfants, âgés de 2, 6 et 10 ans. « C’est toujours moi qui demande de venir ici », précise fièrement Mouaadh, l’aîné.

Passer le temps en bande

Devant la porte d’entrée principale de Rivetoile, se trouve un autre espace de jeu improvisé. En fin d’après-midi, un groupe de cinq adolescents se retrouvent pour skater. Leur terrain d’entraînement, ce sont les blocs de béton placés de façon linéaire, quelques marches qui mènent au conservatoire, et le sol lisse. Delson et Oualid, âgés de 19 et 18 ans, ont fait de cet espace leur « maison ». « Ici, c’est l’endroit où on a le plus progressé, on connait les obstacles par cœur », affirment-ils.  Vêtu d’un t-shirt du groupe de punk rock The Ramones, d’un jean noir et d’une casquette plate, Oualid enchaîne « kickflips », « boardslides » et « ollies ». Autour d’eux, une cinquantaine de personnes circulent et jettent un coup d’œil. « Les passants sont des spectateurs et nous sommes les clowns », s’amuse Oualid. « Des fois on nous traite comme des criminels, mais les dangers de ce sport sont personnels. Quand les gens passent, on s’arrête », complète Delson.

A l’opposé du skate-park improvisé, entre le KFC et l’aire de jeu qui mène au cinéma, six jeunes hommes discutent dans un petit no man’s land. Installés sur un bloc de béton, ils commencent une partie de cartes, la version albanaise du jeu russe durak. Au fil des heures, certains partent, d’autres arrivent, le jeu continue, ponctué par des jets de cartes, des discussions et des rigolades. Agés entre 16 et 27 ans, Xhkek, Ardit, Mullan, Karaxha, Redison et Vilsan échangent dans leur langue natale. Ils sont ici sept jours sur sept mais sont incapables d’expliquer pourquoi. De tous les lieux de Strasbourg, ils ont choisi Rivetoile : « On est venus là, on reste là. »

Sonia Boujamaa, Martin Greenacre

« CETTE PENICHE, ON L’A VUE ARRIVER SANS AUCUNE CONCERTATION »

Alain Kossak, président de l’association des résidents Etoile-Malraux, déplore l’attitude de la ville quant à l’installation de la péniche du Barco Latino au pied de la médiathèque André-Malraux. A l’origine installé quai des Bateliers, le navire a amarré à Rivetoile sans que les riverains n’aient été mis au courant préalablement.

Le riverain s’indigne : « Le quartier n’avait pas vocation à devenir un quartier de boîtes de nuit, on a été surpris de voir débarquer le Barco en avril ». Avant son arrivée, la vie nocturne tardive était inexistante. Si l’association n’est pas fermement opposée à l’ouverture de ce type d’établissement, elle entend « préserver la tranquillité du quartier ». Alain Kossak explique que le problème ne vient pas du Barco Latino en lui-même mais des gens qui fument sur la terrasse et font beaucoup de bruit.

« On entend des gueulards à 4h du matin. Ca ne nous dérange pas que ce soit ouvert tard si les gens sont raisonnables », explique-t-il. Afin de régler ce problème, Franck Meunier, le directeur du Barco Latino, a engagé des vigiles pour canaliser les plus bruyants. Si les relations qu’entretient l’association avec ce dernier sont cordiales, les riverains restent méfiants à l’égard de la ville. L’absence de concertation leur a fortement déplu. « Aujourd’hui, les élus rament pour regagner la confiance des habitants », conclut Alain Kossak.

Florian Bouhot et Blandine D'alena

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