La vérité sur le meurtre du demi-frère du dictateur nord-coréen Kim Jong-un n'a pas encore éclaté, mais l'influence des classiques occidentaux de l'espionnage ne fait aucun doute. Pyongyang lorgne en secret sur Hollywood.
Un assassinat au poison réalisé en quelques secondes dans un aéroport international: le scénario est digne d'un James Bond. Les images glaçantes du meurtre de Kim Jong-un, le demi-frère en exil du dictateur de Corée du Nord empoisonné dimanche 13 février à l'aéroport de Kuala Lumpur, ne laissent plus planer de doutes sur le degré de préparation qui révèle une organisation méticuleuse que seuls des services secrets peuvent orchestrer. Douze suspects sont actuellement entendus ou recherchés par la police malaisienne qui mène l'enquête.
Kim Jong-nam déambulait dans la galerie marchande de l'aéroport, en attendant son vol pour Macao où il vit en exil depuis 2003, quand il a été abordé par une première femme. Une diversion pendant qu'une seconde femme arrivant dans son dos ne lui enserre le visage d'une écharpe humectée de poison mortel. Le demi-frère du généralissime mourra dans l'heure, lors de son transfert à l'hôpital. La mort de Nam est digne d'une opération du Mossad ou de la CIA. Mais l'influence occidentale va au-delà de ces basses œuvres.
L'assassinat de Kim Jong-nam dimanche 13 février à l'aéroport international de Kuala Lumpur (Malaisie). Crédit vidéo : ABC
Plus réaliste, et pour cause, qu'une scène de Mission Impossible, la mort de Kim Jong-nam est teintée de culture hollywoodienne et démontre la passion secrète pour l'occident du dictateur nord-coréen. Comment ne pas penser, en voyant les images, à l'ultime scène de L'armée des 12 singes (attention spoiler), où le méchant diffuse un gaz mortel dans un aéroport. La culture américaine se retrouve jusque dans le style vestimentaire des tueuses dont l'une aborde un t-shirt imprimé "LOL". Sans doute un dernier clin d'oeil de Kim Jong-un à son demi-frère. Le premier secrétaire du parti des travailleurs de Corée du Nord est en effet considéré par Séoul comme le commanditaire de l'assassinat. Selon des officiels sud-coréens, Kim Jong-nam était depuis 5 ans sur une kill list. Il avait déjà échappé à une tentative d'assassinat en 2012.
There's cold, there's ice-cold, and then there's assassinating someone while wearing a shirt that says LOL. pic.twitter.com/BA2t7w41iB
— shauna (@goldengateblond) 15 février 2017
L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
La mort filmée de Kim Jong-nam est l'épilogue d'un destin extraordinaire marqué par une rivalité avec son demi-frère. Fils de Kim Jong-il, le dictateur mort en 2011 et enterré dans une mise en scène étrangement similaire à une scène des hommes du président, Kim Jong-nam aurait dû devenir le leader du pays, "la montagne à tête blanche" pour reprendre l'expression du régime. Il n'a pas suivi la voie qui lui été toute tracée et n'a pas supporté le poids héréditaire de sa famille de dictateur. En quelques années, il est devenu la brebis galeuse du régime, plus connu pour son alcoolisme, ses frasques sexuelles et ses penchants occidentaux. En 2001, il s'est fait repérer au Japon alors qu'il voulait se rendre dans un temple de l'impérialisme et de la culture mainstream américaine : le Disneyland de Tokyo ! Arrêté par les Japonais car il voyage avec un faux passeport dominicain, Kim Jong-nam, grillé, est expulsé vers la Corée.
Il échappe de peu à la mort. Quitter la Corée du Nord sans accord officiel est considéré comme un acte de trahison. Kim Jong-il ne l'envoie ni mourir à petit feu dans un camp de travail, ni dans un de ses sanatoriums. Mais le raye simplement de sa liste des successeurs. Nam décide alors de s'exiler en Chine et commence à critiquer le régime. Il critique le "Juche", un concept 100 % nord-coréen comme l'est le Haïku au Japon ou la corruption en Chine. L'idéologie du "Juche" créée la seule forme de communisme qui peut perdurer, car il est théocratique et permet aux Kim de se succéder.
Comble de la trahison, Kim Jong-nam publie un livre racontant les coulisses de la dictature. Dans ce ramassis de ragots, il déclare que le règne de son demi-frère finirait par un échec et balance que le monde entier se moque de l'inertie nord-coréenne. Il prône même, dans une interview donnée à un journaliste japonais en 2012, l'instauration d'une économie de marché à la chinoise et il explicite son souhait de réformes, sans doute influencé par le modèle démocratique européen, lui qui a fait ses études en Suisse.
Kim Jong-un a lui aussi étudié en Suisse, à l'international business school de Berne. Un acte résolument contre-révolutionnaire, digne d'un social-traître. Secrètement, tout le monde sait qu'il aurait préféré être suisse. Sa passion pour les banques et l'emmental le prouve. La famille a planqué 4 milliards de dollars au Luxembourg et Kim Jong-un est un fondu du fromage suisse. Il aurait même essayé d'envoyer des experts à Besançon, à l'Ecole nationale de l'industrie laitière, avec pour mission de reproduire le goût et la qualité du fromage à trou. Une nouvelle preuve de sa passion secrète pour l'occident.
Kim Jong-nam à l'aéroport de Pékin en 2007. Crédit : AFP
L'exécution comme marque de fabrique
Rien ne prouve pour l'instant que la Corée du Nord est à l'origine de l'action de Kuala Lumpur. Les autorités nord coréennes, sorties de leur silence mercredi 22 février, accusent la Malaisie d'être responsable du décès et de comploter avec la Corée du Sud. Mais les soupçons qui pèsent sur Kim Jong-un sont légitimes tant le personnage s'épanouit dans les assassinats. En 2013, il fait condamner à mort son régent d'oncle, Jang Song-thaek. Accusé de vouloir s'emparer du pouvoir, il est jugé et jeté en pâture à 120 chiens. Une copie conforme de la scène de Vikings avec Kirk Douglas, autre icône d'Hollywood. Sa tante, Kim Kyong-hui est également exécutée.
La même année, il fait fusiller sa maîtresse Hyon Song-wol avec dix autres danseuses de sa troupe. Une sextape serait à l'origine du courroux du dictateur. Les familles des victimes qui ont dû assister aux exécutions ont ensuite été déportées dans des camps comme le veut le principe en vigueur dans le pays de culpabilité par association.
Le ministre de la défense, qui se serait assoupi durant des défilés militaires, est lui éliminé en 2015 par un canon aérien. Les Occidentaux ont inventé de nombreuses techniques de mises à mort comme la guillotine, mais personne n'avait encore pensé à ça. Purges et assassinats sont monnaie courante sous Kim Jong-un.
Emanant directement de Corée du Nord, ces informations sont à prendre avec des pincettes. Le régime est coutumier de la propagande et a sans doute romancé les exécutions afin de marquer les esprits.
La crise diplomatique avec la Malaisie
Les deux pays entretiennent historiquement des relations cordiales. Cette période semble révolue depuis le 13 février. L'enquête menée par la police malaisienne et son chef Khalid Abu Barak déplaît fortement à Pyongyang qui critique les autopsies opérées, les qualifiant par la voie de l'agence officielle KCNA "d'immorales et d'illégales". Le bras de fer entre les deux pays est engagé depuis 15 jours. Kuala Lumpur a rappelé son ambassadeur en Corée du Nord. Les autorités malaisiennes ont même révélé une tentative d'effraction à la morgue où est conservé le corps de Kim Jong-nam. Le chef de la police malaisienne a déclaré que le deuxième secrétaire de l'ambassade nord-coréenne en Malaisie, Hyon Kwang-song, serait le responsable du complot visant à l'élimination de Nam. Il est accusé d'abriter des suspects du commando et s'est vu refuser l'entrée à la morgue. La collaboration est au point mort.
WATCH: @SumishaCNA recaps what N Korean ambassador Kang Chol said regarding Malaysia's post-mortem on #KimJongNam https://t.co/8mIBNBZE8p pic.twitter.com/2ZeHEPTSBb
— Channel NewsAsia (@ChannelNewsAsia) 18 février 2017
Le poison utilisé dans l'attaque vient d'être révélé, vendredi 24 février, par la police malaisienne. Il s'agit de l'agent neurotoxique VX, une version plus mortelle du gaz sarin, considéré comme une arme chimique de déstruction massive par l'ONU. C'est un des agents chimiques les plus mortels jamais créés. Il s'attaque au système nerveux et musculaire et peut tuer un adulte de 70 kilos avec cinq milligrammes sur la peau, idéal pour un assassinat. Illégal en Malaisie, le VX est peut être entré dans le pays via une valise diplomatique, non soumise aux contrôles douaniers. On le retrouve en revanche dans la série Archer et le jeu vidéo Splinter Cell qui campent tous deux un agent secret. Le gaz n'est pas très coûteux à élaborer et la Corée du Nord dispose de laboratoires suffisamment perfectionnés pour créer de tels produits. Le pays est un des plus importants producteurs de méthamphétamine. Une drogue surpuissante appelée "crystal meth" et... star de la série américaine Breaking Bad.
Les premières explications fournies par les deux femmes considérées comme les tueuses corroborent la thèse de l'empoisonnement par un liquide très dangereux. Elles affirment penser participer à une caméra cachée dont le but était d'asperger le visage de Kim Jong-nam avec un liquide inoffensif. Des explications qui ne tiennent pas la route car les images de vidéosurveillance de l'aéroport de Kuala Lumpur montrent la suspecte qui tenait l'écharpe se diriger en vitesse vers les toilettes pour se laver les mains. Les rebondissements et la crise diplomatique ne sont pas finis dans cette affaire qui n'a rien à envier à un épisode de la série 24h chrono.
Guillaume Reuge