Bernard Sainz lors du documentaire de Cash Investigation "Dopage : ça roule toujours"
Bernard Sainz, alias Docteur Mabuse, a été condamné ce mardi par le tribunal correctionnel de Caen pour incitation au dopage dans le monde du cyclisme amateur et semi-professionnel, dans une affaire où étaient poursuivies onze personnes. Il a écopé d'une peine de neuf mois de prison ferme et de 20 000 euros d'amende. Le sulfureux conseiller a plané comme une ombre sur le monde du cyclisme pendant des décennies et alimenté un important système de dopage.
Né à Rennes en 1943, il commence sa carrière comme coureur amateur. Il devient directeur adjoint de l'équipe de Raymond Poulidor en 1972. Dans son livre, Les révélations du Dr. Mabuse, publié en 2000, il écrit être à l'origine de l'éternel deuxième de la Grande Boucle, qui a prolongé sa carrière jusqu'à 41 ans. « Cette longévité, il la doit à mon humble personne », se vante-t-il dans une interview accordée à Cash Investigation, diffusée en juin 2016. Ce fait d'armes lui ouvre les portes du monde très fermé du cyclisme professionnel. Mais très vite, ses méthodes dérangent. Il est mêlé à une affaire d'amphétamine en 1977. Il aurait donné à un cycliste prometteur, Jean-Pierre Peyrebesse, la substance, sous forme de comprimés, à son insu, alors qu'elle est strictement interdite. Le coureur, en passe de devenir professionnel, est contrôlé positif et écope d'une suspension d'un an. Sa carrière s'arrêtera avant même d'avoir commencé.
Titulaire d'un diplôme d'homéopathie, d'ostéopathie et d'acupuncture, il aurait appris des techniques ancestrales « en Asie, en Afrique, en Inde… » Il se définit comme « coach, mentor, psy matrimonial », pratiquant une médecine naturelle. Les conseils qu'il prodigue à prix d'or sont pour le moins originaux. Plusieurs de ses clients racontent qu'il les tâtait au niveau du ventre pour évaluer leur niveau de graisse. Ses méthodes, contestées, seraient « différentes ». Il recommande à un sportif équipée d'une caméra caché, toujours pour Cash Investigation, de « dormir sans pyjama avec un tee-shirt long, à poil », pour améliorer ses performances. A ses précieux conseils, il ajoute des phrases philosophiques telles que « l'esprit c'est comme le parachute, il fonctionne mieux quand il est ouvert. »
A la fin des années 1990, les affaires de dopages se succèdent et suscitent l'émoi dans l'opinion publique. L'ancien coureur Jérôme Chiotti (1994-2003), champion de France de cyclo-cross en 1995 et conseillé par Bernard Sainz, lui décernerait volontiers « la palme d'or des corticoïdes », le produit dopant en vogue à l'époque. Son influence sur les courses de vélo était telle, selon lui, qu'il pouvait « décider qui il allait faire gagner ». Comment ? « En bloquant certains coureurs, c'est-à-dire en leur administrant des substances qui réduisent les capacités physiques ». Ces affirmations sont cependant impossibles à vérifier.
Après de nombreux passages devant les tribunaux (lire ci-dessous), le conseiller s'est relativement mis en retrait du monde du sport. Selon Cash Investigation, il donne à l'occasion des conseils juridiques aux sportifs contrôlés positifs et communique avec une soixantaine de sportifs tels que le rugbyman Sylvain Nicolas ou la joueuse de tennis Aravane Rezaï.
Alors médecin, coach, psy, naturopathe? Ou plutôt marabout, escroc, charlatan ? « J'ai cette caricature diabolique de dopeur. Mais qu'est-ce qu'il y a de concret ? Rien », se défend-il à l'issue de sa condamnation déclarée ce mardi.
De nombreux déboires judiciaires
1999 : Bernard Sainz est mis en examen pour exercice illégal de la médecine. Il est reconnu coupable d'aide et d'incitation à l'usage de produit dopant et d'exercice illégal de la médecine. Mais la décision est cassée partiellement par la Cour de cassation en juin 2011 et renvoyée devant la Cour d'appel de Paris. Elle le condamne en 2014 à deux ans de prison, dont 20 mois avec sursis, notamment pour incitation au dopage et exercice illégal de la médecine.
2000 : Il publie Les stupéfiantes révélations du Docteur Mabuse, dans lequel il se défend des accusations portées contre lui.
2002 : Il est arrêté lors d'un excès de vitesse en Belgique. Des produits homéopathique sont retrouvés dans son coffre. Il avoue être allé chez le coureur cycliste belge Frank Vandenbroucke, un de ses poulains, chez qui la police découvrira plusieurs substances interdites, dont de l'EPO, de la morphine et du clenbuterol.
2005 : Il est à nouveau mis en examen dans une enquête sur un éventuel dopage de chevaux de course. Mais il bénéficiera de trois non-lieux.
2013 : La cour d'appel de Caen le condamne à 3.000 euros d'amende pour exercice illégal de la médecine et travail dissimulé dans une affaire liée à des pratiques de dopage de chevaux.
2016 : L'émission Cash investigation (France 2) lui consacre un numéro, intitulé Dopage : ça roule toujours. Le reportage révèle l'existence d'un enregistrement dans lequel Bernard Sainz donne des conseils pour l'utilisation des corticoïdes et de l'EPO.
2017 : Il est condamné à six mois de prison ferme et 20.000 euros d'amende pour incitation au dopage par le tribunal correctionnel de Caen. Il été reconnu coupable d'incitation au dopage dans le monde du cyclisme amateur et semi-professionnel, dans une affaire où étaient poursuivies 11 personnes. Il a écopé d'une peine de neuf mois de prison ferme et de 20.000 euros d'amende. Les dix autres prévenus ont également été reconnus coupables et condamnés à des peines allant de trois mois de prison avec sursis à huit mois de prison avec sursis et 2.000 euros d’amende.
Parallèlement, une information judiciaire est ouverte depuis plus d’un an à la suite des révélations du Monde et de Cash investigation sur les pratiques de Bernard Sainz. L’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique est chargé de l’enquête et a déjà entendu plusieurs clients présumés du naturopathe.
Thomas Porcheron