Hier, les Russes étaient appelés aux urnes à l'occasion d'élections locales dans tout le pays. A Moscou, le parti au pouvoir a perdu environ un tiers de ses sièges, au profit notamment des communistes.
Seulement 17,2 % des Moscovites ont voté aux élections locales, véritable test pour Vladimir Poutine./ Photo CC BY DonSimon.
Après les manifestations prodémocratie sévèrement réprimées cet été, le scrutin était suivi de près. Dans la capitale, la formation pro-Poutine s'est vue retirer de nombreux sièges à l’assemblée de la ville, à l’issue des élections qui se tenaient hier. Soutenus par le régime, les candidats du parti au pouvoir ne détiennent désormais que 25 sièges contre 38 jusqu’ici. Alors que des désaccords assumés à la politique du Kremlin se propagent chez les Moscovites, les résultats du suffrage tourmentent encore les autorités.
Une stratégie fomentée par le leader de l’opposition
Le tumulte autour de ces élections locales était de plus en plus bruyant ces dernières semaines. 2 700 manifestants qui s’opposaient au rejet de 57 candidatures, dont celles d’opposants sérieux, avaient été arrêtés à Moscou cet été. Parmi les candidats évincés, Alexeï Navalny s’affiche depuis des années comme l’un des principaux leaders anti-Poutine. A la tête du parti “Russie du futur”, l’avocat et blogueur n’avait pas renoncé pour autant à peser sur les résultats des urnes. Il a lancé une stratégie, celle du “vote intelligent”. Plutôt que de boycotter, les citoyens ont été appelés à faire élire tout candidat le mieux placé pour battre le représentant du Kremlin.
Et le pari semble avoir porté ses fruits : les communistes sortent en grands gagnants du scrutin dans la capitale, avec 13 sièges remportés contre 5 jusqu’alors. L’un des échecs les plus retentissants du pouvoir s'avère être la non-réélection du chef de la branche moscovite de “Russie Unie”, ’Andreï Metelsky. Ce dernier a été moqué par Alexeï Navalny sur Twitter :
“Le chef de la branche moscovite de Russie unie a reconnu sa défaite aux élections à la Douma de Moscou. Andrei Metelsky estime que l'enquête du chef de l'opposition, Alexey Navalny, a pu affecter les résultats du vote - Interfax.” # vote intelligent
- "A pu“. Ahahaha,
peut-on lire.
Paradoxalement, les partis gagnants ne se positionnent pas toujours en ennemis politiques du Kremlin. Sur le plan national, les communistes se montrent plutôt loyaux, et restent plus intégrés dans le système poutinien que le parti de Navalny. Mais sur le plan régional, la défaite subie par le Kremlin à l’issue de ces élections à Moscou est lourde. Eclipser les opposants les plus virulents n'aura pas éteint l'incendie, voire l'aura attisé.
Les candidats pro-Kremlin ont-ils caché leur étiquette ?
L’impact de ces élections pourtant locales apparaît d’ordre national. Elles constituent un test décisif pour capter la côte de Vladimir Poutine, après les récentes défections liées notamment à la récente hausse de l’âge de départ à la retraite. En réaction à cette baisse de popularité, le parti “Russie unie” n’aurait pas systématiquement envoyé ses propres candidats sous la marque du parti, mais en tant que candidats labellisés “indépendants”. Pour "Prof Preobrajenskii”, un compte russe antisystème retweeté par Navalny, “Russie Unie a supprimé les candidats indésirables, caché le nom du parti dans les bulletins de vote, utilisé les ressources administratives et falsifié les résultats. Et a quand même perdu.”
Valeria Kassamara est l’une des grandes figures « indépendantes » pointées du doigt par l’opposition. Proche du maire de Moscou – lui-même sympathisant de Vladimir Poutine -, elle a bénéficié de ressources administratives et financières du pouvoir. Son portrait placardé partout dans la ville s’est vu apposé un autocollant “Attention, voici un candidat de Russie Unie”. Elle a finalement été battue par Magomet Yandiev du parti “Russie juste”, toléré par le Kremlin et soutenu par les adeptes du « vote intelligent », et a imputé sa défaite à la diaspora musulmane. Paul Gogo, journaliste freelance basé à Moscou, est revenu sur la réaction des partisans d'Alexeï Navalny face à l'événement. Evgeny Feldman, un photographe russe proche du blogueur, s'est moqué de Kassamara en surnommant l'opposant "Al-Navalny".
Une défaite relative
L’impact de la stratégie du “vote intelligent” est difficile à estimer. Moscou apparaît de plus en plus comme un foyer de protestation politique avec une frange critique des dérives autoritaires du pouvoir. Pourtant, le revers essuyé par le Kremlin est à nuancer, les députés qui lui sont fidèles contrôlent encore l’assemblée de la ville.
Et si les yeux étaient rivés sur la capitale après les manifestations, "Russie Unie" a rencontré un certain succès dans le reste du territoire russe. A Saint-Pétersbourg, le gouverneur soutenu par le Kremlin Alexandre Beglov s'est fait réélire dès le premier tour. Ailleurs, la majorité des gouverneurs du parti au pouvoir ont également été réélus. Le secrétaire du Conseil général de “Russie Unie”, Andrey Turchak, a déclaré qu’il considérait les élections tenues dans les régions comme une victoire pour le parti, y compris dans la capitale. "Russie Unie" est la base et le fondement de toute la structure politique", a-t-il réagi, faisant fi des fissures apparentes dans une société russe de moins en moins docile face à l'appareil d'Etat.
Marine Godelier