Le réseau social américain est jugé aujourd'hui par la justice française pour avoir désactivé le compte d'un enseignant en 2011. Cet utilisateur avait publié une reproduction du tableau L'Origine du monde de Gustave Courbet dans lequel est représenté de façon réaliste un sexe féminin. Facebook nie toute censure.
« Vous ne publierez pas de contenu incitant à la haine ou à la violence, pornographique, ou contenant de la nudité ou de la violence gratuite. » C'est à partir de cet extrait des conditions d'utilisation du réseau social que ses modérateurs auraient désactivé en février 2011 le compte de Frédéric Durand-Baïssas « sans préavis ni justificatif ». Ce dernier avait publié une reproduction de la plus célèbre œuvre d'art de Gustave Courbet, L'Origine du monde. L'auteur de cette publication assigne Facebook en justice au nom de la liberté d'expression sur les réseaux sociaux. Sept ans plus tard, Facebook comparait devant les juridictions françaises pour répondre à ces accusations de censure, rejetées en bloc par le géant américain. « Nous n'avons commis aucune faute, occasionné aucun préjudice », plaide Me Caroline Lyannaz, l'une des avocats de Facebook.
La bataille judiciaire entre le réseau social et Frédéric Durand-Baïssas a duré cinq ans. Epuisant tous les recours possibles pour échapper à la justice française, Facebook n'a pas pu contourner la décision de la Cour d'appel de Paris en 2016. L'instance a estimé que le réseau social avait des comptes à rendre à la justice française. Le siège social du réseau étant basé en Californie, ses conditions d'utilisation renvoyaient jusqu'alors aux juridictions californiennes et non françaises. Les deux avocates de Facebook ont plaidé la nullité de la procédure.
Une censure régulière
L'enjeu du procès repose sur la confusion entre contenu pornographique et expression artistique exposant des corps dénudés. Aujourd'hui, « les photos de peintures, sculptures et autres œuvres d’art illustrant des personnages nus » sont autorisées sur Facebook, ce qui n'était pas le cas en 2011 selon la défense du plaignant. Le réseau social censure régulièrement des illustrations montrant de la nudité. Cette censure soulève un autre questionnement : Facebook peut-il imposer sa vision de la liberté d'expression en France ?
Ce n'est pas la première fois que l'avocat défendant Frédéric Durand-Baïssas, l'enseignant censuré, est saisi pour censure sur Facebook. Il lance aujourd'hui un appel aux utilisateurs du réseau social à publier le tableau pour promouvoir l'art et désobéir aux clauses du réseau social interdisant la nudité. Ironie de cette polémique : des photographies de l'oeuvre et l'oeuvre elle-même ont pu être largement diffusés sur Facebook par des utilisateurs et les médias pour illustrer et dénoncer l'affaire le jour du jugement.
Me Cottineau avait notamment indiqué dans les colonnes du journal Le Figaro attendre de cet arrêt qu'il oblige « Facebook et toutes les autres sociétés du e-commerce étrangères qui disposent de ce type de clause à modifier leur contrat ».
Procès #FaceBook. Parole aux avocats de l'utilisateur « Censuré » : « confondre la pornographie et l’oeuvre de #Courbet, c’est un manque de culture de l’histoire de l’art »
— michaël zoltobroda (@MichaelZolto) February 1, 2018
Une oeuvre scandaleuse du début à la fin
Peint en 1866, L'Origine du monde avait à l'époque choqué la société bourgeoise. L'oeuvre polémique n'a été exposée au public pour la première qu'en 1988 à New York. Puis en 1992 à Ornans, ville natale de Gustave Courbet. En 1995, l'oeuvre est accrochée au Musée d'Orsay, une note figure en dessous de celle-ci : « Courbet s'autorise une audace et une franchise qui donnent au tableau son pouvoir de fascination. Mais grâce à la grande virtuosité de Courbet, au raffinement d'une gamme colorée ambrée, L'Origine du monde échappe au statut d'image pornographique ».
Diane Sprimont