Alors que des personnalités politiques s'essayent sur la plateforme de diffusion en direct Twitch, l'implantation de cette thématique dans le temple du jeu vidéo s'accompagne de multiples questionnements. Analyse.
Twitcheuses, Twitchers, je vous ai compris. Toujours à l'affut lorsqu'il s'agit de déployer de nouveaux canaux de communication, Jean-Luc Mélenchon s'est affiché sur la plateforme de diffusion en direct d'Amazon à l'occasion du lancement de son émission de discussion « Twitchons » le 29 mai.
Logique, étant donné les chiffres du site, qui a enregistré un véritable boom pendant le confinement (+ 45% entre mars et avril 2020 selon The Verge, site américain d'actualité technologique). L'occasion de s'interroger sur l'avenir de la politique sur la plateforme, sanctuaire du jeu vidéo. Outre-Atlantique, la représentante démocrate de New-York, Alexandria Ocasio-Cortez, a été la première personnalité politique à faire son apparition sur la plateforme, en janvier 2019. Depuis, Bernie Sanders mais surtout Donald Trump ont ouvert leur propre chaîne.
Loin des médias traditionnels
En France, le phénomène est minime et le leader de La France insoumise est encore bien seul à tenter ce pari. Quelques essais sporadiques de candidats anonymes aux élections européennes et municipales ont eu lieu, mais c'est l'hypothétique arrivée des ténors nationaux qui questionne. Car c'est un exercice d'équilibriste qui s'annonce pour ceux qui envisagent l'expérience : la communauté de Twitch est précisément celle qui a délaissé une télévision qui continue de véhiculer les clichés sur les gamers.
Les acteurs de la culture web sont sensibles à l'arrivée de profanes dans leur milieu, surtout lorsqu'ils sont implantés dans le paysage médiatique. Le « Grand Débathon » organisé autour de dix ministres le 19 février 2019 durant la crise des « Gilets jaunes », n'aurait probablement pas connu tel succès (7 500 spectateurs en moyenne pendant 11 heures) si des personnalités du milieu n'avaient pas été aux commandes. Ce sont en effet Jean Massiet de la chaîne Accropolis (par ailleurs ex-collaborateur de l'ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine) et Hugo Travers de la chaîne HugoDécrypte qui ont animé l'émission.
Casser les codes
Premier impératif pour percer donc, s'affranchir des codes de la politique traditionnelle et s'approprier ceux du streaming, notamment l'interactivité avec un public plus jeune (55 % des viewers étaient âgés de 18 à 34 ans en 2017 selon la plateforme). Le chat fait partie intégrante du stream car l'essence de Twitch est de rompre la verticalité, de se rapprocher de son audience. C'est aussi ce qui explique que les YouTubers (Squeezie, Antoine Daniel) et les sportifs (Antoine Griezmann, Gaël Monfils) se soient lancés sur la plateforme. L'exercice est plutôt réussi par Jean-Luc Mélenchon qui s'était déjà familiarisé à ce public sur sa chaîne YouTube. La plus value éditoriale semble être une seconde condition de la réussite d'une émission politique. La chaîne Twitch de JLM existait déjà sans faire d'émules, servant de réceptacle à la rediffusion de ses interventions publiques. Le format de questions/réponses adopté pour « Twitchons », s'il est simple, reste singulier et différent des pratiques habituelles. Les nébuleuses séances de questions au gouvernement diffusées par Accropolis ne trouvent un public que parce qu'elles sont vulgarisées et rendues intelligibles par Jean Massiet.
Audience à mettre en perspectives
Reste que si le « Twitch game » se diversifie, difficile de dire si les audiences de ces différents programmes se croisent et si le défi d'intéresser un nouveau public est vraiment réussi. D'autant que le nombre d'abonnés de différentes chaînes politiques invite à relativiser l'ampleur du phénomène. Les 68 000 abonnés que compte la chaîne de Jean-Luc Mélenchon sont certes honorables à côté des 135 000 de celle de Donald Trump. Mais ils sont encore bien loin des 2,5 millions d'abonnés de Gotaga, premier streamer français.
Lucas Jacque