Jusqu’où un employeur peut-il aller dans la surveillance de ses salariés ? La Cour européenne des droits de l’homme a tranché ce matin et c'est une victoire pour les salariés des 47 Etats membres du Conseil de l'Europe.
#Surveillance électronique des salariés: la #CEDH reconnaît une violation du droit au respect de la vie privée ➡️https://t.co/O2HpHmvDGM pic.twitter.com/dhrhWshcWO
— Conseil de l'Europe (@CoE_fr) 5 septembre 2017
La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), basée à Strasbourg, a estimé que la Roumanie n'avait pas suffisamment préservé les droits de Bogdan Mihai Bărbulescu, un ingénieur de Bucarest. Ce dernier avait été licencié pour avoir utilisé sa messagerie professionnelle pour des échanges privés et avait épuisé les voies de recours en Roumanie. La Grande chambre de la CEDH est allée à l'encontre de l'arrêt rendu en première instance. Elle a conclu à la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, relatif au droit au respect de la vie privée et de la correspondance.
45 pages de courriels privés
Le 13 juillet 2007, Bogdan Mihai Bărbulescu est convoqué par son employeur. Celui-ci lui met sous le nez 45 pages de correspondances privées effectuées avec son adresse email professionnelle, dont des échanges à caractère intime avec sa fiancée. Le règlement intérieur de l'entreprise interdit l'usage privé des outils professionnels. L'ingénieur est licencié dans les semaines qui suivent.
Les tribunaux roumains, saisi par Bogdan Bărbulescu, ont estimé que la surveillance des communications avait été le seul moyen de constater l'infraction au règlement. Une position validée par la CEDH, en première instance, début 2016. La Cour avait estimé que la « surveillance avait été raisonnable dans le cadre d'une procédure disciplinaire ».
Pas d'avertissement préalable
Faux, répond la Grande chambre en appel. Selon les 17 juges qui ont rendu cet arrêt, « les mesures restrictives de l'employeur ne peuvent réduire à néant l'exercice de la vie privée sociale sur le lieu de travail ».
Le fait que les autorités roumaines aient admis le licenciement les place en faute, selon Strasbourg, au regard de leurs « obligations positives ». Les autorités nationales doivent, selon la Cour, mettre les intérêts concurrents – la vie privée et la bonne marche de l'entreprise – en balance. Ce que n'ont pas fait les tribunaux roumains.
La CEDH relève que l'ingénieur n'avait pas été averti préalablement que ses communications étaient surveillées, alors que les normes internationales et européennes le requièrent. Les juges ont également pointé du doigt le degré d'intrusion particulièrement important de la surveillance, effectuée en continu durant une semaine et l'absence de but légitime justifiant cette intrusion dans la vie privée de l'ingénieur.
Une surveillance à encadrer
Cet arrêt de la CEDH ne signifie pas que les courriels personnels ne peuvent pas être surveillés et qu'un salarié ne peut pas être licencié pour avoir utilisé Internet à des fins personnelles au travail. Les juges considèrent que les États doivent encadrer ces pratiques, pour protéger les salariés contre les abus. Le paragraphe 121 de l'arrêt mentionne explicitement les critères que doivent apprécier les autorités nationales pour cela. Outre l'avertissement préalable, le degré d'intrusion et la légitimité, il s'agit de l'existence ou non d'autres moyens de surveillance moins intrusifs et des garanties donnés à l'employé sur la protection de sa correspondance privée. Cet arrêt a vocation à faire jurisprudence dans les 47 États ayant ratifié la Convention européenne des droits de l'homme.
Laurent Rigaux
L'arrêt dans son intégralité :
Affaire Barbulescu c. Roumanie by Laurent Rigaux on Scribd