Le conseil des ministres allemands examinait mercredi 6 février un projet de loi autorisant les médecins de mentionner sur leurs sites qu'ils pratiquent l'avortement. Un petit pas pour briser l'omerta qui entoure le sujet outre-Rhin.
«Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C'est toujours un drame, et cela restera toujours un drame», martelait Simone Veil à l'Assemblée nationale, en 1974. Pas assez fort faut-il croire, pour que ses homologues allemands lui emboîtent le pas.
Outre-Rhin, l'avortement n'est en effet pas autorisé mais dépénalisé, nuance essentielle. La loi allemande prévoit trois conditions à la pratique de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) : ne pas dépasser les douze semaines de grossesse — comme en France — consulter un centre agréé, et attendre un délai de trois jours de réflexion entre la prise de rendez-vous et l'acte lui-même. Un délai similaire de sept jours existait dans l'Hexagone jusqu'en 2016, et a depuis été supprimé. Autre obstacle : l'avortement n'est remboursé que dans de très rares cas. Les Allemandes désirant interrompre une grossesse doivent alors payer entre 350 et 460 euros.
Les médecins qui pratiquent l'IVG sont aussi plus rares qu'en France. Résultat : des déserts médicaux pour ce type d'acte et des femmes obligées de parcourir des dizaines, voire des centaines de kilomètres pour pouvoir avorter. Seules Hambourg et Berlin recensent les praticiens chez qui il est possible d'avoir recourt à l'IVG.
Une législation qui remonte au nazisme
Alors qu'en France, c'est le délit d'entrave à l'IVG qui est, depuis 2017, puni par la loi de deux ans de prison et 30 000 euros, c'est la situation contraire en Allemagne. Il est interdit pour les médecins de faire la « publicité » de l'avortement, c'est-à-dire mentionner qu'ils le pratiquent ou même donner des informations sur la procédure. Ce délit, prévu au paragraphe 219a du Code pénal allemand, date du nazisme. Un projet de loi devait être examiné mercredi visant à assouplir ces mesures.
Ce paragraphe 219a fait de l'avortement un sujet encore très tabou en Allemagne et soumet les femmes et les professionnels de santé à une véritable omerta. Aucun des quinze gynécologues que nous avons contactés n'a accepté de répondre à nos questions, avançant qu'ils devaient «suivre des directives du corps médical qui interdit d'en parler.»
Kristina Hänel, gynécologue de 61 ans à Giessen, au nord de Frankfort, a ainsi été condamnée à 6 000 euros d'amende pour avoir précisé sur son site qu'elle pratiquait l'IVG. Elle est devenue un symbole de la lutte pour un meilleur accès à l'interruption volontaire de grossesse en Allemagne.
Si c'est un petit progrès pour les femmes, la doctoresse n'est pourtant pas satisfaite de la modification de la loi, encore trop superficielle. «Ce nouveau compromis n’est pas un compromis ! Il nous autorise certes à mentionner sur nos sites internet si nous pratiquons ou non l’avortement. Mais rien de plus. Pas un mot sur les méthodes, c’est toujours interdit. Mon site (…) reste hors-la-loi», avait-elle confié mercredi au micro de France Inter.
Mais si la législation au pays des droits de l'Homme est plus souple qu'en Allemagne, le droit à l’avortement est toujours fréquemment remis en question. Conservateurs, religieux, formations d'extrême droite et autres «marcheurs pour la vie»... nombreux sont ceux qui souhaiteraient voir le pays rebrousser chemin sur le droit des femmes.
En septembre, Bertrand De Rochambeau, président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France, avait comparé l'IVG à un homicide, en déclarant «nous ne sommes pas là pour retirer des vies.» Près d'un demi siècle après la légalisation de l'avortement, sa légitimité est continuellement attaquée.
Clémentine Rigot