Interrogé par la commission des affaires intérieures du Bundestag, le chef des services de sécurité de l'Etat, Hans Georg Maassen, s'est expliqué mercredi 12 septembre après avoir mis en doute l'existence de chasse aux étrangers, lors des événements de Chemnitz.
Ce n'est pas la première fois qu'on lui reproche des liens avec l'extrême droite. Cet été déjà, une ancienne militante du parti d'extrême droite xénophobe Alternative für Deutschland (AfD) révélait dans son livre, Inside AfD, que le patron des services de renseignement allemand avait rencontré, en toute discrétion, Frauke Petry, ancienne chef de l'AfD. Si cette nouvelle a fait jaser, ce n'est rien en comparaison avec le scandale actuel, dans lequel le président de l'Office fédéral de protection de la constitution (BfV) se retrouve empêtré.
En effet, à la suite des violents événements de Chemnitz fin août, où des manifestations anti-migrants ont éclaté, Hans Georg Maassen a mis en doute la véracité des chasses à l'homme qui ont eu lieu. Malgré les nombreuses vidéos amateur reprises par les médias nationaux, le chef du renseignement a affirmé lors d'un entretien pour le tabloïd Bild, paru le vendredi 7 septembre : « Il n'existe pas de preuve que la vidéo qui circule sur internet soit authentique. » Avant d'ajouter qu'il s'agit probablement « d'une désinformation intentionnelle pour détourner l'attention du public du meurtre commis à Chemnitz ».
Maassen vivement critiqué
Rapidement, les propos de Hans Georg Maassen ont fait scandale. Outre le hashtag #Maassenmussweg (Maassen doit démissionner) qui a fleuri sur les réseaux sociaux, nombreuses sont les figures politiques à avoir ouvertement critiqué celui qui dirige depuis maintenant six ans les services de renseignement. C'est le cas par exemple de la député des Verts Katrin Göring-Eckardt, qui, dans un tweet, accuse Hans Georg Maassen d'utiliser les mêmes méthodes que l'extrême droite : « L'AfD agit de la même manière. Tout d'abord lâcher une info, avant de revenir sur ses propos. FakeNews. Propagande. Cet homme ne défend pas la Constitution. C'est un danger pour la Sécurité intérieure, lorsque l'on relativise des exactions aussi flagrantes #Chemnitz ».
Par après, plusieurs dirigeants politiques allemands ont réclamé la démission de Hans Georg Maassen. C'est le cas par exemple de la présidente du SPD Andrea Nahles et du chef des Verts Robert Habeck, qui a notamment réclamé une « restructuration profonde des services de renseignement et de sécurité ».
Le patron du BfV revient sur ses paroles
Face à un tel tollé, Hans Georg Maassen a dû remettre un rapport au ministre de l'Intérieur, Horst Seehofer. Si son contenu n'a pas encore été révélé par le gouvernement, le magasine Spiegel et le quotidien Sueddeutsche Zeitung en ont dévoilé lundi quelques extraits – extraits qui ressemblent fortement à un rétropédalage de la part du chef de la BfV, puisqu'il revient sur ses propos, reconnaissant l'authenticité des vidéos, mais critiquant l'interprétation que les médias en ont fait.
Avant que le rapport lui ait été remis, Horst Seehofer soutenait déjà Hans Georg Maassen, assurant que ce dernier devait avoir de bonnes raisons pour avoir tenu de tels propos dans Bild. Ce soutien de la part du ministre de l'Intérieur n'est pas étonnant selon le quotidien Sueddeutsche Zeitung. Leur proximité idéologique est connu de tous. Aucun des deux n'a caché sa désapprobation face à la politique d'accueil des réfugiés, décidée par Angela Merkel en 2015.
Un interrogatoire qui s'annonce difficile
Si Horst Seehofer a accordé son soutien à M. Maassen, convaincre la commission des affaires intérieures, qui interroge l'intéressé ce mercredi 12 septembre, ne sera pas aussi simple. Car outre son poste, c'est aussi la crédibilité des services de renseignement qui est ici mis en jeu. C'est du moins ce que soutient la Sueddeutsche Zeitung dans son éditorial du mardi 11 septembre : « Aujourd'hui plus que jamais, les services de renseignement et de sécurité doivent montrer qu'ils mettent tout en œuvre pour lutter contre l'extrême droite et son populisme latent. Or, en outrepassant ainsi ses fonctions, Hans Georg Maassen laisse entendre que le problème n'est pas aussi urgent ». Selon la Sueddeutsche Zeitung, le soutien de Horst Seehofer au patron du BfD est problématique, car en plus de discréditer les services de renseignement, c'est l'ensemble du ministère de l'Intérieur qui est mis en cause.
La situation est donc tendue au sein des services de sécurité de l'Etat. D'autant plus qu'il y a quelques semaine de cela une enquête a été ouverte par le parquet de Dresde contre des policiers de Saxe, qui auraient fait fuiter sur les réseaux sociaux des documents confidentiels à l'extrême droite –en l'occurence, deux mandats d'arrêt à l'encontre de demandeurs d'asile.
Après la police, c'est donc au tour du chef des renseignements allemands d'être accusé de collusion avec l'extrême droite. Dans un pays qui s'est construit sur le concept du « Nie wieder » (Plus jamais [sous entendu] de fascisme), de tels événements ne sont pas anodins.
Lucie Duboua-Lorsch