Arrivé dimanche en tête du premier tour de l'élection présidentielle, cet humoriste profite de l’exaspération populaire. En cause, les accusations de corruption qui ont poussé le président Otto Perez Molina à la démission.
Depuis quinze ans, il est connu des Guatémaltèques pour ses pitreries télévisées dans l'émission Moralejas, où il campe une série de personnages plus ou moins crétins, dont Neto, un cow-boy qui devient président par accident. L'humoriste se présente comme un homme aux multiples casquettes : acteur, écrivain, réalisateur et producteur. A contrario, son expérience politique tient en quelques lignes à peine et c'est, paradoxalement, son atout majeur dans les urnes.
Dimanche 6 septembre, Jimmy Morales, 46 ans, arrive en tête du premier tour de l'élection présidentielle au Guatemala, au terme d'une semaine rocambolesque qui a vu la démission et le placement en garde à vue du président Otto Perez Molina, suspecté d'être la tête pensante d'un réseau de corruption permettant à des proches du pouvoir d'éviter de payer les droits de douane à renforts de pots-de-vin. Avec près de 27 % des voix sur 81,52 % des suffrages, il devance Manuel Baldizon (17,84 %), homme d'affaires de centre-droit, et Sandra Torres (16,84 %), ex-femme d'Alvarro Colom, président de 2008 à 2011. Morales s'est lancé dans le grand bain politique en 2013, comme secrétaire général du parti conservateur et nationaliste Frente de Convergencia Nacional (FCN Nacion). Sans casseroles encombrantes, le candidat "anti-politique" veut s'imposer comme le candidat du renouveau auprès d'un électorat exaspéré par la corruption politique.
La montée en puissance d'un entertainer
Puisant dans sa longue expérience télévisuelle, qui confère à ses meetings des allures de grand show, Jimmy Morales a connu une ascension fulgurante au cours des derniers mois. Misant sur sa célébrité locale et le caractère inattendu de sa candidature, il n'hésite pas à verser dans un certain populisme. Si les analystes, comme Manuel Conde dans El Pais, soulignent l'absence de programme concret dans ses discours, il a fait recette en axant sa campagne sur trois points majeurs : l'éducation, la santé, et la facilitation d'implantation d'entreprises génératrices d'emploi. En entertainer aguerri, il sait ce que les gens veulent entendre en cette période de défiance extrême vis-à vis des politiques. Sur son site de campagne, des références sont mises en exergue : "Soyons le changement que nous souhaitons voir dans le monde", la célèbre citation de Gandhi, et un discours de Ronald Reagan, qui promettait un retour en puissance à une Amérique déçue, appelant à gouverner à l'unisson pour éradiquer les problèmes d'Etat. Le parallèle est douteux mais le message est clair : toute la campagne de Morales tourne autour de son incarnation du changement soit-disant salutaire.
Un vote de protestation plus qu'un vote d'adhésion
Avec pour slogan "Ni corrupto, ni ladron" (ni corrompu, ni voleur), Morales promet à ses électeurs un gouvernement honnête, loin de l'influence militaire et de l'argent des cartels, qui redonnera aux Guatémaltèques la foi dans leurs institutions. A l'inverse de ses concurrents qui ont investi des sommes exorbitantes pour se faire connaître, il ne dit devoir son ascension qu'à son sérieux, avec un budget raisonnable. Devant son auditoire, celui qui se décrit comme un travailleur acharné issu d'une famille humble martèle : "Je suis un homme d'honneur, mes parents me l'ont appris, et je ne promets rien que je ne puisse accomplir."
Pour autant, remporte-t-il réellement l'adhésion de ses électeurs ? Interrogé par TV5 Monde, Sandino Asturia, analyste du Centre d'études du Guatemala, parle d'un vote punitif, visant surtout à exprimer la désapprobation de la "classe politique normale". Pour l'analyste, le phénomène Morales est "une coquille vide, sans structure de parti solide". Inapte à gouverner selon certains, aussi pourri que les autres pour des électeurs désabusés, ou visage avenant et familier, Jimmy Morales poursuit sa campagne en attendant le second tour de l'élection, qui aura lieu le 25 octobre.
Nina Moreno