Olivier Dabène, président de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (OPALC), revient sur l’élection présidentielle brésilienne à quatre semaines du premier tour prévu le 7 octobre. Dernière péripétie de cette campagne incertaine : la nomination de Fernando Haddad comme candidat du Parti des travailleurs (PT) à la place de Lula.
Dernier rebondissement en date de la campagne présidentielle brésilienne imprévisible Fernando Haddad a été désigné candidat du Parti des travailleurs (PT) en lieu et place de Lula. L’avait-il anticipé ?
J’avais longuement discuté avec lui début juillet, et il me disait qu’il était convaincu que Lula (ex-président du Brésil, de 2003 à 2011,NDLR) allait choisir Jacques Wagner (chef de cabinet sous le dernier gouvernement PT de Dilma Rousseff, destituée en 2016 pour maquillage de comptes publics, NDLR ). Il ne s’y attendait pas du tout, c’était une surprise pour lui, jusqu’à ce qu’il soit nommé colistier de l’ancien président début août.
Comment vous décririez Fernando Haddad ?
C’est un universitaire, quelqu’un qui a un profil intellectuel, de Sao Paulo, très éloigné de celui de Lula. Il a d’ailleurs été maire de Sao Paulo. Un bon édile selon les analystes car il a mis en place une politique de transports moderne (pistes cyclables, couloirs pour les bus) dans cette ville chaotique. Mais il s’est en même temps mis à dos plusieurs catégories de la population, dont les dizaines de milliers de chauffeurs de taxi (Fernando Haddad, aux antipodes de Lula). Son problème majeur, c’est surtout qu’en dehors de la ville, au Brésil, les gens ne le connaissent pas ! Mais c’est malgré tout quelqu’un qui sait faire de la politique et qui va au contact des gens. Pas grand-chose à voir avec Dilma Rousseff qui était froide et distante.
Il entre dans l’arène dans un contexte un peu différent tout de même...
Ca n’a rien à voir oui. Ca ne va pas marcher comme avec Rousseff en 2010 (elle était candidate du PT car Lula ne pouvait pas se représenter, NDLR), car Lula n’a pas du tout la même capacité de transfert de voix qu’à l’époque. Il terminait sa présidence avec un taux stratosphérique de popularité (87 % d’opinions favorables, NDLR), une économie en pleine croissance, rien ne pouvait lui arriver. Et puis il s’était donné du temps, Rousseff l’avait suivi pendant un an pour se faire connaître. Là c’est très différent, l’image de Lula est écornée, beaucoup de Brésiliens le détestent, l’économie est en berne, et les gens ont compris que le PT avait lui aussi magouillé. Malgré tout, le statut de victime qu’il a mis en avant a quand même fonctionné, auprès de sa base notamment (il culminait à 38 % d’intentions de vote dans les sondages avant d’abandonner, NDLR).
A quatre semaines du premier tour, le défi est-il surmontable ?
Fernando Haddad doit d’abord passer président sur le papier, il était vice-président jusqu’ici. Il ne lui reste que quelques jours pour le faire. Mais il n’est pas du tout exclu que le PT frappe un grand coup. C’est une machine de guerre qui a des réseaux partout dans le pays, Haddad doit réussir à mettre de l’huile dans les rouages de la machine pour la mettre en marche. Il doit surtout défendre les bastions du parti, cela peut suffire à l’emmener au second tour. Il a d’ailleurs déjà commencé, en passant du temps dans le Nordeste (Nord-est, région la plus pauvre du pays, NDLR), le principal réservoir de voix du PT.
Pour lui, l’enjeu c’est de se faire connaître ?
Oui, et il doit convaincre, car il n’est pas considéré comme étant des leurs. Sa stratégie n’est pas la même que Lula : il ne va pas faire de grands meetings avec beaucoup de monde. Il doit plutôt s’assurer que tous les opérateurs politiques (maires, dirigeants des fédérations locales du PT) font leur travail, rassemblent, car ils peuvent ramener des dizaines de milliers de voix.
L’idée au sein du parti selon laquelle voter pour Haddad, c’est comme voter pour Lula n’est donc pas acquise dans la population ?
Non. L’enjeu pour lui c’est de convaincre les gens d’aller voter pour le PT, car il y a le risque qu’ils boycottent l’élection en raison de l’absence de leur icône. Au Brésil le vote est obligatoire, mais dans le secteur informel, c’est à dire une part non négligeable de la population, les gens qui ne voteront pas ne paieront pas l’amende à laquelle ils s’exposent, et on n’ira pas les arrêter pour ça.
Et la probabilité qu’une partie de l’électorat de Lula se tourne vers d’autres candidats ?
Des déçus du PT iront en effet voir ailleurs. Dans les favelas ils risquent d’aller vers Jaïr Bolsonaro, le candidat d’extrême droite. D’autres vers Ciro Gomes, de centre gauche, ou Marina Silva, l’écologiste évangéliste.
C’est peut-être Marina Silva, justement, la plus à même de capter des voix du PT ?
Peut-être. C’est une ancienne du parti, qu’elle a quitté afin de défendre ses convictions écologistes, alors que le PT avait choisi la voie de l’agrobusiness. Elle est conservatrice sur les questions sociales en raison de sa foi évangéliste affichée, mais elle se dit féministe – son électorat est majoritairement féminin -, à l’inverse de Jaïr Bolsonaro, le candidat soutenu officiellement par l’Église évangélique, qui lui est un misogyne assumé.
Et qui depuis le coup de couteau qu’il a reçu le 6 septembre, est plus que jamais en tête dans les sondages…
Il a même pris deux points dans les sondages depuis l’agression. Ca peut paraître insensé de dire ça, mais c’est presque mieux pour lui. Car à l’image de Trump il fait beaucoup de politique sur Twitter. Il n’a pas arrêté de tweeter depuis son lit d’hôpital. Il a été tellement mauvais lors des deux premiers débats télévisés, que s’il peut les éviter ça l’arrange ! Son fils a d’ailleurs dit « vous venez d’élire votre nouveau président » à la suite de l’agression.
Comment expliquer son succès ?
Son principal facteur de réussite, c’est la ras-le-bol de la corruption généralisée dans le pays. Il a l’image d’un dirigeant fort, militaire, qui va taper du poing sur la table une fois au pouvoir ! Ses propos racistes, homophobes, sexistes, ou sur les questions de sécurité passent au second plan. Marina Silva mord aussi sur cette ligne de la lutte anti-corruption, mais les autres candidats ne le peuvent pas, leurs partis ayant été englué dans des affaires.
Qui sont les autres candidats ?
Il y a Ciro Gomes (Ministre de l’intégration sous Lula entre 2003 et 2006, NDLR) , de centre-gauche, un social-démocrate issu du courant du travaillisme des années 50 de Getulio Vargas. Il compte bien récupérer des voix du PT lui aussi. De l’autre côté il y a Geraldo Alckmin, qui n’est pas nouveau, de la droite traditionnelle. Tous les candidats sont proches dans les sondages (NDLR, en dessous de 15%), à part Bolsonaro qui pointe désormais à 24 %. La configuration est telle que l’on peut passer au second tour avec 12 % ! Et il est très peu probable qu’ensuite le candidat d’extrême droite l’emporte au second tour.
Augustin Campos