Alors qu'une force panafricaine de 8 700 soldats doit intervenir au Nigeria contre la secte islamiste, les frontières opaques de sa zone d'influence laissent planer de nombreux doutes sur sa puissance réelle.
Le lundi 16 février, des troupes de l'armée camerounaise patrouillent près du village de Mabass, au nord du pays à la frontière avec le Nigeria. Photo : AFP / REINNIER KAZE
« Vous envoyez 7 000 soldats. Pourquoi vous n'en envoyez pas 70 millions ? Ce n'est pas beaucoup. Seulement 7 000? Par Allah, c'est peu. Nous allons les capturer un à un. » Dans sa dernière vidéo en ligne datée du 9 février, Abubakar Shekau, le leader de Boko Haram, raillait la force d'intervention qui doit se déployer au Nigeria. Le groupe djihadiste ne semble pas sur le point de reculer.
Samedi, une centaine de ses combattants ont envahi la ville de Gombe, dans le nord-ouest du pays, pour y distribuer des tracts appelant au boycott des élections générales prévues pour la fin mars. Ils en sont repartis quelques heures plus tard sans rencontrer d'opposition de l'armée. La veille, des hors-bords venant de Baga, la ville du nord-est du Nigeria sur les rives du lac Tchad, prise par Boko Haram le 3 janvier après un massacre à grande échelle, lançaient un assaut simultané contre un village et un camp militaire tchadiens à Ngouboua, tuant quatre civils et un militaire. Un pied de nez au président tchadien Idriss Déby dont 2 500 soldats combattent la secte à la frontière camerounaise depuis début février.
En réaction aux attaques très violentes de ces deux derniers mois, plusieurs dirigeants et chefs de délégations des pays membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale se sont réunis lundi à Yaoundé pour tenter d'élaborer une stratégie commune afin « d'éradiquer » le groupe djihadiste. Ils se sont entendus pour accorder un fonds d'urgence de 50 milliards de francs CFA (75 millions d'euros) au Cameroun et au Tchad, en première ligne dans la lutte contre Boko Haram. Quelques semaines plus tôt, le Cameroun, le Tchad, le Niger, le Nigeria et le Bénin s'étaient mis d'accord pour mobiliser une force panafricaine de 8 700 soldats au Nigeria, alors que l'insurrection et sa répression ont fait plus de 13 000 morts et 1,5 million de déplacés depuis 2009.
Quant à l'armée nigériane, fustigée pour son immobilisme, elle a commencé sa contre-offensive. Lundi, ses soldats ont libéré Monguno, à 140 kilomètres de Maiduguri. Le président Goodluck Jonathan espère « nettoyer » les Etats de Borno, Yobe and Adamawa, les plus touchés par les attaques islamistes, avant la prochaine élection présidentielle, opportunément repoussée au 29 mars. Il prédit pouvoir libérer « 70 % du territoire » avant ce rendez-vous électoral. Un espoir peu réaliste selon l'opposition, qui accuse le président sortant de profiter de la situation pour rester au pouvoir.
La mobilisation des Etats africains suffira-t-elle à stopper l'expansion du «califat» d'Abubakar Shekau ? De nombreuses interrogations subsistent quant à la puissance réelle de Boko Haram et sur les origines de son financement.
Un soldat camerounais posté près de la ville de Mabass, au nord du Cameroun, le lundi 16 février. Les collines de cette région frontalière du Nigeria freinent les opérations armées contre Boko Haram. Photo : AFP / REINNIER KAZE
Les difficiles réalités du terrain
L'armée tchadienne, l'une des mieux entraînées et équipées du continent, rodée aux combats de guérilla contre les djihadistes suite à son action aux côtés de l'armée françaises au Mali en 2013, progresse lentement dans l’État de Borno, dans le nord-est du Nigeria, en grande partie aux mains de Boko Haram. Les réalités du terrain et le fait que les combattants islamistes soient retranchés dans des agglomérations, comme à Gamboru, à la frontière camerounaise, ou dissimulés parmi les populations civiles rendent les opérations militaires particulièrement délicates. La frontière entre le Cameroun et le Nigeria, longue de 400 km, accidentée et montagneuse, empêche les opérations militaires d'envergure et facilite les missions de commandos suicides caractéristiques de Boko Haram.
Une armée de l'ombre
Il est à l'heure actuelle impossible de connaître le nombre de combattants du groupe djihadiste, entré dans la clandestinité en 2009 à la mort de son fondateur Mohammed Youssouf. Des rapports parlent cependant d'une force allant de 10 000 à 30 000 combattants. Plus faibles en nombre et en équipement que les troupes gouvernementales qu'ils combattent, ils multiplient les escarmouches et les actions éclair contre les civils, avec des massacres de masse comme ceux de Baga au Nigeria ou Fotokol au Cameroun, des attentats à la bombe ou des bombardements à l'aveugle.
Les méthodes de recrutement de Boko Haram sont également floues, mais il est probable que les classes les plus pauvres du pays soient visées, principalement au sein de la zone d'influence de la secte. Cette opacité explique aussi la difficulté de lutter contre les éléments infiltrés dans les villes encore contrôlées par le gouvernement nigérian, comme dans la capitale de l’État de Borno, Maiduguri. Au Niger, dont le sud-est frontalier avec le Nigeria est le théâtre d'affrontements depuis début février, le gouvernement redoute l'existence de cellules dormantes sur son territoire. Lundi, plus de 160 personnes soupçonnées d'être liées à Boko Haram ont ainsi été arrêtées par la police nigérienne dans la région de Diffa.
Des sources de financement floues
Installé dans une région pauvre en ressources naturelles, Boko Haram ne dispose pas d'un financement semblable à celui de Daech en Irak et en Syrie, qui disposerait de revenus quotidiens de trois millions de dollars selon les services de renseignements américains. Mais la secte nigériane peut se targuer de revenus stables. Elle prélève des taxes dans les territoires sous son contrôle, et gère de nombreux trafics, dont celui des êtres humains. Les kidnappings, comme celui de 276 lycéennes à Chibok (nord du Nigeria) le 14 avril 2014, alimentent les filières de prostitution nigérianes, et les rançons réclamées à chaque prise d'otage remplissent largement les caisses du groupe. Enfin, les pillages de banques et des casernes militaires tombées sous la domination de Boko Haram lui ont permis, en même temps qu'il s'enrichissait, de se doter d'un important arsenal militaire.
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Rémi Carlier