Une pétition, qui a recueilli plus de 340000 signatures, milite pour que la Birmane soit privée de sa récompense en raison de sa passivité face à l'ethnocide dont sont victimes les Rohingyas. Mais il n’existe aucun précédent en la matière.
Peut-on vraiment destituer la lauréate du Nobel de la paix 1991 ? Aung San Sur Kyi, ministre des affaires étrangères de Myanmar, est accusée de garder un silence coupable face à la répression du régime birman contre la minorité musulmane rohingya. Mais dans les statuts du Prix Nobel de la Paix, rien ne prévoit une telle sanction pour un(e) lauréat(e) qui s'avèrerait "indigne" du prix. Il y avait déjà eu des attributions controversées, comme celle d'Henry Kissinger et de Duc Tho en 1973 pour l'accord de paix au Vietnam, ou encore celles de Yasser Arafat, Shimon Peres et Yitzhak Rabin, en 1994, pour les accords d'Oslo. Plus récemment, le Nobel décerné en 2009 à Barack Obama avait lui aussi créé la polémique, en raison du recours systématique à des drones, autorisé par le locataire de la Maison Blanche sur les multiples terrains d’intervention de l’armée américaine.
Il y a donc peu d'espoir pour que la pétition de l'Indonésien Emerson Yuntho sur le portail change.org puisse aboutir. Lancée il y a un an, elle totalise à présent plus de 340 000 signatures. À ses débuts, la répression de la minorité musulmane en Birmanie était plutôt vue comme une affaire régionale ; mais aujourd'hui, le drame des Rohingyas est devenu un sujet international. Notamment après la publication des rapports des ONG de défense des droits de l’Homme Amnesty International et de Human Rights, qui n’ont pas hésité à évoquer une situation comparable à un ethnocide.
Avec le nouvel exode forcé de plus de 125 000 Rohingyas vers le Bangladesh entamé il y a deux semaines, les appels se sont multipliés. Malala Yousafzai, lauréate du Prix Nobel en 2014, a interpellé Aung San Suu Kyi sur Twitter à propos de son silence face aux violences contre les Rohingyas.
My statement on the #Rohingya crisis in Myanmar: pic.twitter.com/1Pj5U3VdDK
— Malala (@Malala) 3 septembre 2017
Mais l’ex-championne des droits de l’Homme préfère se taire ou démentir les violences commises par l'armée birmane contre les Rohingyas. Elle n’a pas hésité, à l’issue d’un entretien avec le président turc Recep Tayyep Erdogan, à qualifier les témoignages de "fausses informations". Une complaisance par rapport au régime très loin de la résilience et de la force qui lui avaient valu son prix Nobel. À l’époque, Aung San Suu Kyi, à la tête de l'opposition en Birmanie et placée en résidence surveillée par la junte militaire, avait été récompensée pour son engagement déterminé et non-violente face à la junte. L’activiste et femme politique bénéficiait alors d’une aura internationale et d'un soutien planétaire indéfectible.
Malgré la fin de la junte en 2011, l'influence et l’empreinte de l'armée sont restées omniprésentes dans le pays. Certes, la position de ministre des Affaires étrangères et de conseillère du président d'Aung San Suu Kyi limite ses responsabilités pour les activités de l'armée dans la province Arkane, où habitaient la plupart des Rohingyas. Mais, en optant pour la défense du régime, elle a perdu son image idéalisée. Les indignations se multiplient contre son refus d'agir ou de critiquer les violations des droits de l'Homme. Quels que soient les griefs, Aung San Suu Kyi reste et restera lauréate d'un Prix Nobel de la paix. Comme le précise Gunnar Stalsett, ancien membre du comité du Prix Nobel en 1991, au quotidien New York Times : "Nous suivons un principe dans la décision, nous ne désignons pas un saint. Une fois la décision prise et le prix attribué, le comité n'a plus de responsabilité."
Franziska Gromann