L’archipel prévoit de construire 22 nouvelles centrales à charbon. Un rétropédalage qui contredit ses ambitions climatiques. À quelques mois des JO de Tokyo, la décision ne passe pas inaperçue.
Le Japon souffle le chaud et le froid. En juin 2019, l’archipel brandissait un objectif ambitieux : la neutralité carbone après 2050. Trop ambitieux, peut-être. Car voilà que le pays annonce la construction de 22 centrales à charbon, principale source d’émission de gaz à effet de serre, dans les cinq années à venir. Ces nouvelles infrastructures émettront autant de dioxyde de carbone (CO2) que l’ensemble des voitures vendues chaque année aux États-Unis. Un chantier qui détonne avec les engagements climatiques pris par le pays, signataire de l’accord de Paris.
Le contrecoup de Fukushima
Il faut dire que l’île a dû faire face à un imprévu de taille. En mars 2011, la catastrophe de Fukushima l’a contrainte à fermer l’ensemble de ses 48 réacteurs nucléaires. Pour continuer à tourner, le pays s’est alors tourné vers les énergies fossiles. « Le Japon a dû agir rapidement. Une pénurie d’électricité massive aurait été malvenue pour la 3e économie mondiale », explique à CUEJ.info Francis Perrin, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
Résultat, le triptyque pétrole, gaz, charbon pèse désormais 89 % du mix électrique japonais, contre à peine 62 % avant la catastrophe. « Les centrales nucléaires redémarrent, mais très progressivement. Les normes de sécurité post-Fukushima sont plus exigeantes et extrêmement coûteuses », poursuit l’expert. Aujourd’hui, seuls 9 des 48 réacteurs ont repris du service.
Banque mondiale (IEA Statistics)
Dépendance énergétique
Fukushima se solde donc par un désastre écologique, doublé d’un revers pour l’économie nippone. À défaut de pouvoir satisfaire ses besoins en énergie, l’archipel accroît sa dépendance aux importations de carburants. Neuf dixième de son pétrole provient du Moyen-Orient, et plus des deux tiers du charbon est acheminé depuis l’Australie. Et pour brûler ces combustibles, il faut bien des centrales thermiques. D’où la construction de ces 22 nouveaux sites. Selon Greenpeace, Tokyo a investi plus de 15 milliards d’euros dans le charbon depuis 2013.
Mauvais élève
Pour l’archipel, c’est un camouflet sur la scène internationale. La plupart des pays du G20 ont déjà planifié leur sortie définitive du charbon - 2022 pour la France, 2025 au Royaume-Uni, 2038 en Allemagne. En comparaison, la politique environnementale japonaise fait tâche. Lors du sommet sur le climat de New York, en septembre 2019, l’ONU avait privé le premier ministre Shinzo Abe de tribune. « Ce sommet est celui de l’action concrète », avait asséné le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, en réponse au manque d’ambition climatique de Tokyo.
It's absurd: #Japan plans #coal phase-in! Yes, phase-IN! What a backwards decision for a developed country & also hypocritical given Japan wants its @Tokyo2020 @Olympics to be green. The @AbeShinzo gov actively promotes anti-#climateaction https://t.co/Z5XxcxO7WG
— Energy Watch Group (@EWGnetwork) February 5, 2020
« Sayonara charbon »
Encore traumatisée par l’accident nucléaire de 2011, et bien consciente des orientations prises par son gouvernement, la population hausse le ton. « La majorité des Japonais exigent une transition vers les énergies renouvelables. Cependant, le gouvernement cherche à redémarrer les réacteurs nucléaires tout en augmentant considérablement le nombre de centrales au charbon, ce qui entraîne un changement climatique extrême », déplore Kazue Suzuki, responsable de la campagne énergie pour Greenpeace Japon.
En décembre dernier, des militants écologistes avaient même fait le déplacement à Madrid pour la COP25, clamant des « sayonara charbon ! » à l’intention de leurs dirigeants.
Des JO pas si verts
À six mois des Jeux Olympiques de Tokyo, tous les projecteurs se braquent vers l’archipel nippon, qui promet des infrastructures vertes. « L'environnement est la troisième dimension de l'Olympisme, avec le sport et la culture », a proclamé le directeur général de Tokyo 2020, Masato Mizuno. Mais derrière les déclarations, il y a les faits. Le Japon a récemment acté le déplacement du marathon olympique vers le nord de l’île, afin d’épargner aux athlètes les chaleurs intenables de Tokyo.
Julia Toussaint