Dix États membres ont bloqué l’intégration de la définition du viol dans la directive sur les violences faites aux femmes. Malgré l'ambition du texte, certains pays comme la France ont jugé que l’UE n’était pas compétente sur cette disposition.
Lors de la plénière parlementaire à Strasbourg en février 2024, l'UE a trouvé un accord pour lutter contre les violences faites aux femmes. La France et neuf autres États se sont opposés à une définition européenne commune du viol. © pixabay/Leonardo1982
« Le travail n'est pas achevé. Mais ça en dit long à l'égard du viol et du consentement. Nous pensons déjà à la révision de cette directive. » Ce sont les mots des deux co-rapporteures qui illustrent une avancée teintée de déception en cette fin de journée du mardi 6 février. Les différentes institutions législatives et exécutives de l’Union européenne se sont accordées sur une nouvelle directive contre les violences faites aux femmes. Cet accord protège les femmes des mutilations génitales, du mariage forcé ou encore des cyberagressions.
Les parlementaires rapporteurs du texte ont salué un « pas dans la bonne direction ». Tous ont cependant martelé leur inquiétude vis-à-vis de certains pays membres, dont la France, qui ont bloqué l’article 5 : l’inscription de la définition du viol par l’absence de consentement.
Un risque de rejet par la Cour de justice de l’Union européenne
Les directives européennes, comme c’est le cas ici, contraignent juridiquement les États membres à les appliquer dans leur législation interne. Mais l’UE est compétente en ce sens sur certains sujets seulement, majoritairement économiques, en vertu du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). C’est l’argument de l’incompétence qui a été brandi par la France et neuf autres États pour s’opposer à l’article 5 de l’accord.
Selon eux, le risque que cette mesure soit retoquée par la Cour de justice de l’Union européenne — qui veille à l’application du droit européen au sein de l’Union et à la manière dont ce dernier doit être interprété par les juges nationaux — était plus que probable. « Il y a un risque de glissement vers une contractualisation des relations sexuelles, a déclaré ce mardi Éric Dupont-Moretti, le garde des Sceaux français. Il y a également un risque que l’on fasse peser la preuve du consentement sur la victime. » Sur ce dernier point, Audrey Darsonville, maîtresse de conférence en droit pénal, a rétorqué au micro de France Culture que c’était pourtant déjà le cas lors des auditions.
La France jugée incohérente
La lutte contre les violences faites aux femmes était pourtant affichée comme « une grande cause nationale » par Emmanuel Macron, confirmant l’engagement du pays en la matière après la signature du traité d’Istanbul. Ainsi, même le parti présidentiel a critiqué la position de la France, jugée incohérente. En décembre dernier, des membres de Renaissance, dont le désormais ministre de l’Europe Stéphane Séjourné, avaient signé une tribune de soutien à une définition européenne du viol. « [Nous] appelons le gouvernement à permettre de finaliser les négociations avec une définition européenne du viol en phase avec les aspirations de notre temps. »
Aux critiques issues de différents partis politiques s'ajoutent celles d'ONG telles que Amnesty International et Human Rights Watch. Tous accusent la France et les autres pays opposés à l’inscription de la définition du viol de se baser sur une interprétation orthodoxe des compétences de l’UE. Nombreux sont les défenseurs de la mesure qui ont pris exemple sur la Suède. Le pays qui a inscrit en 2018 cette caractérisation du viol noir sur blanc dans sa législation, a vu le nombre de condamnations pour viol augmenter de 75 % deux ans après.
Zoé Dert-Chopin
Édité par Adélie Aubaret