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Le jeu des chaises musicales va bientôt prendre fin au 36e étage de l'Eurotower. Ce jeudi 8 décembre, à Francfort, la Banque centrale européenne a rendu un avis favorable quant à la candidature de Benoît Coeuré, directeur adjoint du Trésor Français, à son directoire. Celui-ci devrait remplacer l'Italien Lorenzo Bini Smaghi, après des mois de tractations entre Rome et Paris. Avec l'arrivée de Mario Draghi à la place de Jean-Claude Trichet en novembre, Nicolas Sarkozy avait exigé le départ du second membre italien pour rétablir « l'équilibre ». Victoire du politique sur l'indépendance de l'institution européenne, Smaghi quittera son siège au directoire le 1er janvier pour rejoindre l'université d'Harvard, alors que son mandat courait jusqu'en 2013.
Le début de l'année est aussi marqué par l'arrivée de Jörg Asmussen, secrétaire d''État au ministère des Finances allemand. Il prendra le siège de son compatriote Jürgen Stark, qui occupe actuellement la fonction informelle de « chef économiste » convoitée par les Français. Opposé à l'achat par la BCE d'obligations émises par des pays de la périphérie de la zone euro, ce dernier a claqué la porte début septembre.
Pressions politiques et divergences de point de vue, la crise exacerbe sans aucun doute les difficultés de fonctionnement d'une BCE dont les décisions sont prises à la majorité simple. Théoriquement, pour éviter que les sensibilités nationales ne parasitent ses décisions, les positions de chaque membre ne sont jamais divulguées. De la salle du conseil des Gouverneurs, ne sort au grand jour qu'une seule et même déclaration, diffusée en conférence de presse, dans la foulée.
Benjamin Lemoine est post-doctorant au centre de sociologie des organisations (CSO - Sciences Po Paris) et à l’IFRIS. Après avoir réalisé sa thèse sur la gestion du problème de la dette publique française à l’École des Mines de Paris, au centre de sociologie de l’Innovation (« Les valeurs de la dette. L'État à l’épreuve de la dette publique »), il travaille désormais sur les liens entre notation financière et risque souverain.
Quelle a été l’évolution de la gestion de la dette française ?
En l'espace de soixante ans après la seconde guerre mondiale, on est passé d'une dette dont les prix étaient entièrement sous contrôle de l'Etat à une dette mise sur les marchés financiers. La stratégie, depuis le milieu des années 1980 vise à rendre notre dette attractive et compétitve pour les investisseurs. Mais, en 1946, l'Etat, à travers la direction du Trésor, fonctionnait comme un banquier. Il collectait ses ressources via ce qu'on appelait le « circuit du Trésor ». C'était un système de crédit et de collecte de l'épargne largement contrôlé par l'administration. L'Etat fixait, par exemple, lui même le « prix » de sa dette et contraignait le système bancaire à en acquérir une part conséquente. L'objectif économique de l'époque était de retrouver le plein-emploi et de reconstruire le pays. Mais on a accusé d'être une source de l'inflation. La mise sur le marché de la dette s'est donc présentée contre ce mal de l'époque qu'était l'inflation. Du coup, l'Etat s'est obligé à aller chercher ses ressources à l'extérieur. En France, cela s'effectue le long des années 70 et, plus particulièrement, au milieu des années 1980, avec ce qu'on a appelé le " big bang de la libéralisation des marchés des capitaux. La vente de la dette s'est alors effectuée à l'échelle industrielle, avec des produits sophistiqués qui s'adressent à un monde internationalisé de professionnels de la finance et non plus de rentiers amateurs. Dans ce nouveau monde global, l'Etat a dû faire de la satisfaction des investisseurs une priorité, puisqu'il lui fallait se financer de façon compétitive.
Est-ce qu’aujourd’hui les dettes des Etats sont trop dépendantes des marchés ?
Le problème aujourd'hui est que la « valeur » financière, morale, économique et politique des Etats est dépendante du fonctionnement des marchés financiers obligataires. Les Etats, pour se financer s'exposent aux marchés: ils doivent s'ajuster aux attentes du marchés et faire en sorte de ne pas être dépréciés par ceux-ci. Il leur faut donc surveiller, ne pas être « trop dépensiers », veiller à conserver leurs triple a, etc. En cela, on peut effectivement dire que l'Etat est très largement exposé aux marchés. Mais cette exposition dépasse le cadre des marchés financiers. Elle circule aussi sur un ensemble d'espaces, médiatiques et politques, sans que l'on discute collectivement de la légitimité de ce financement par les marchés et ce qu'il implique pour les choix démocratiques.
Pourtant, depuis le début de la crise, le débat public s'est intéressé à la question de la dette des Etats?
On peut distinguer deux phases dans le débat public autour de la dette. A partir de 2005, notamment à travers la publication du rapport Pébereau, le débat public s'est intéressé au problème de la dette publique. Sauf que ce débat s'est focalisé sur la question budgétaire. Le problème de la dette était à l'époque essentiellement perçu à travers l'idée d'un Etat qui, en mauvais gestionnaire, s'est trop endetté en dépensant l'excès. La crise de la Grèce puis de l'ensemble des dettes souveraines européennes a commencé à changer la donne. Certains journalistes et hommes politques ont commencé à s'interroger sur les causes proprement financières de la dette : comment est-elle émise? Qui la détient et l'achète? Comment évalue-t-on sa « qualité »? Quelles autres modalités de financement sont possibles? Cette nouvelle manière d'aborder le problème tend à remettre en cause la façon dont le système financiers est organisé. Elle permet de s'interroger sur la manière dont l'Etat se finance sur les marchés et la légitimité démocratique de ce financement.
Propos recueillis par Benjamin Edgard
Baisse des dépenses publiques et augmentation des prélèvements obligatoires sont les incontournables des plans de rigueur en Europe. Dans les trois pays qui bénéficient d’un plan de sauvetage – Grèce, Irlande et Portugal -, les inspecteurs de la Troïka (BCE, Commission européenne et FMI) examinent à la loupe les budgets. Tous les trois mois, le verdict tombe sous la forme d’un rapport. Le document contrôle l'application des engagements contractés et détaille les mesures fiscales et les coupes budgétaires supplémentaires auxquelles doivent se plier les parlements nationaux.
Ces « ajustements budgétaires », les pays sous perfusion n’ont d’autres choix que de les appliquer. Sans cela, les prêts consentis via les plans de sauvetage ne sont pas débloqués, et les gouvernements sont condamnés à cesser leurs paiements et à faire défaut face aux créanciers qui détiennent leur dette publiques.
PIB en baisse
Administrées dans un contexte de crise économique, ces mesures d’austérité particulièrement restrictives mènent invariablement à la récession, puis à la baisse du PIB. C’est ce que détaille un dossier de l’Insee sur les effets des « resserrements budgétaires » en Europe. D’un côté, l’augmentation des taxes, des impôts conjugués à la baisse des transferts sociaux plombent la consommation des ménages. De l’autre, le relèvement de la fiscalité des entreprises combiné à la baisse de leurs subventions les rend moins compétitives. Entre 2008 et 2010, le PIB de l’Irlande a chuté de 15,4 % et celui de la Grèce de 2,5 %. Pour 2011, Athènes devrait encore perdre 6 % de son PIB. Seul celui du Portugal a enregistré une très faible croissance de seulement 0,5 %, mais serait entré en récession en 2011.
François Régnier
Ensuite, le travail des experts de Finance Watch est le même que celui des lobbies bancaires.« Nous participons à des auditions, allons à la rencontre des membres de la Commission, des députés, du Conseil pour présenter nos positions sur les législations en cours. Mais on ne se contente pas de positions générales : nous allons les voir avec des détails complexes pour parler le même langage que les régulateurs et nos homologues des lobbies financiers », racontent deux experts de l'organisation. Il est important de maitriser ce langage financier, car les effets de la régulation se cachent dans des pages et des pages de formules mathématiques. Ainsi, des changements qui peuvent paraître minimes ont souvent un impact conséquent sur l'économie réelle.
« David contre Goliath »
Pour Finance Watch, il ne s'agit pas de combattre le modèle capitaliste. « Le but, c'est de faire en sorte que quoi qu'il se passe sur les marchés financiers, il n’y ait plus à l’avenir d’impact négatif sur l’économie réelle », affirme Greg Ford. Ce travail de contre-expertise relève du challenge car l'environnement macroéconomique évolue très rapidement. «Beaucoup de médias ont titré David contre Goliath à notre sujet , glisse Greg Ford en souriant. Pourtant nous avons un avantage, les décideurs politiques veulent entendre notre voix et pour nous la porte est grande ouverte. »
Tout le monde n'est pas convaincu par ce chevalier blanc du lobbying. « Je leur souhaite bien du plaisir avec leurs membres, car ils n'ont pas un groupe facile. Attac, ce sont des extrémistes qui grimpent au rideau à n'importe quelle occasion », estime Florence Rançon, chargée de communication de la fédération européenne des banques, un des plus grands lobbies financiers.
A l'opposé, Corporate Europe, un observatoire qui se bat contre la toute puissance des lobbies, ne participe pas à Finance Watch, alors qu'ils avaient pris part à sa fondation. Yiorgos Vassalos, membre de Corporate Europe explique cette décision : « il faut payer pour participer, alors que c'est justement parce que les ONG n'avaient pas assez d'argent pour avoir des experts en finance qu'on avait lancé Finance Watch. Il nous semble également étrange que le contre-lobby veuille être indépendant des ONG, alors qu'elle reste très proche des institutions. »
Elsa Sabado et Jessica Trochet à Bruxelles
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Alors que la crise est à son paroxysme, le débat et les actes publics se concentrent autour de possibles mesures, coercitives et concertées, de réduction de la dette publique. Le volet bancaire est laissé dans l'ombre. Voilà pourtant plus de quatre ans que l'Europe traverse une crise bancaire systémique, souligne l'économiste Nicolas Veron, membre du think-tank Bruegel. Selon lui, c'est à celle-ci qu'il faut s'attaquer. Pour cela il convient de rompre les liens incestueux entre gouvernements et banques nationales, qui sont les vecteurs du mouvement de contagion actuel.
Nicolas Veron préconise un «fédéralisme bancaire» pour l'Eurozone. Ce système reposerait sur quatre piliers: la création d'une garantie européenne unique des dépôts, le renforcement de l'autorité de supervision bancaire européenne, l'abandon d'une part de leur souveraineté par les Etats et la création d'une société fiduciaire européenne.
Pour commencer, il s'agirait de placer tous les systèmes nationaux d'assurance des dépôts sous la garantie du Fond européen de stabilité financière (FESF) afin de réduire le risque de paniques bancaires dans les pays en difficulté.
Parallèlement, les pouvoirs de supervision de la nouvelle autorité bancaire européenne (EBA) devraient être renforcés. Elle exercerait ainsi une autorité directe sur les grandes banques et délèguerait aux superviseurs nationaux la surveillance des établissements locaux et des opérations locales des établissements paneuropéens.
De leur côté, les gouvernements devront consentir à l'abandon d'une part de leur ressources politiques afin qu'une véritable intégration régionale puisse émerger. Aujourd'hui, la plupart des grands États d'Europe occidentale empêchent les fusions bancaires transfrontalières et contribuent au renflouement des établissements nationaux, en les contraignant en échange à racheter leurs dettes souveraines. Il n'en serait plus question.
Pour accompagner ces changements structurels, les 17 pourraient aussi décider de créer une société fiduciaire à l'échelle de la zone euro pour un temps limité. En lien avec l'EBA, celle-ci serait chargée de prendre le contrôle des banques en mal de refinancement, de réorganiser leurs opérations et de les revendre dès que les conditions du marché le permettraient.
Floriane Leclerc
Son nouveau fonctionnement
Marion Garreau
« Je te tiens, tu me tiens par la barbichette ». Les liens entre l’Agence France Trésor (AFT), gestionnaire de la dette et les banques sont très étroits. D’un côté, l’Etat a besoin d’argent pour se financer. Mais pas à n’importe quel prix. L’AFT a alors besoin des SVT (spécialistes en valeur du Trésor). Ce club très fermé, qui compte aujourd'hui 20 membres, est un réseau d’établissements bancaires partenaires (Crédit Agricole, BNP, Société Générale, Goldman Sachs, etc) chargé de vendre et d'acheter de la dette française.
De l’autre, ces banques ont besoin du « label SVT ». Un gage de reconnaissance. De prestige. Et de vitrine sur les marchés. « En étant SVT, on a des relations privilégiées avec d’autres institutions, d’autres administrations. Cela nous donne plus de visibilité sur les marchés », explique Raoul Salomon, SVT chez Barclays. En clair, c’est un accès privilégié et direct à l’Etat.
Mais ce « donnant-donnant » est un bras de fer constant. Personne ne veut perdre la main dans ce jeu. « L’Etat doit gérer une tension entre l’intérêt de l’Etat pour un réseau performant et concurrentiel des banques dédiées et l’intérêt propre de ces banques à l’adhésion de ce club », analyse Benjamin Lemoine, chercheur à l’Ecole des Mines sur la gestion de la dette.
Une concurrence exarcerbée
Du coup, le système de vente de l’AFT est volontairement très concurrentiel. Elle propose un lot de dettes aux SVT. Ces derniers misent dessus, sans connaître les enchères des autres grossistes. Les SVT ont alors tendance à offrir des prix très élevés, car elles veulent absolument remporter la "loterie". Une enchère coûteuse. Et souvent à perte. « Ce métier ne rapporte presque rien », précise Raoul Salomon, SVT chez Barclays.
Ces vingt banques se livrent une compétition acharnée. Car leur activité est scrutée de près par l’AFT et soumise à une charte détaillée. Tous les ans, la direction du ministère des Finances publie un classement, sous forme de bons points attribués aux meilleurs élèves. Une notation basée sur deux critères principaux: « le premier est quantitatif : présence aux enchères, volume de dettes achetées, diversité des produits. Le second est qualitatif : innovation vis-à-vis du Trésor, participation des banques aux réunions », explique un SVT.
Des positions risquées
Dans cette période de crise, cette dépendance n’a pas toujours servi les intérêts français. Certes le trésor a continué à emprunter à des taux historiquement bas: 2,44% en moyenne au quatrième trimestre 2011, selon le bulletin de l'AFT. Le « made in France » de la dette constitue en effet toujours une valeur refuge dans la zone euro. Les tensions sont pourtant palpables. « Au mois de novembre, on avait du mal à trouver des acheteurs. C’était délicat. L’écart des taux avec l’Allemagne sur les émissions de dette a inquiété les marchés », précise Régis Barre, SVT à la Commerzbank. Face à l'éclaircissement des rangs des acheteurs, ces derniers mois, quelques SVT ont parié à la baisse sur la dette française. « Certains SVT ont même proposé des ristournes avant d’aller aux enchères », déplore M. Salomon.
D’autres ont « shorté » la dette. Une pratique courante. Ce mécanisme consiste à posséder un titre sans l’avoir acheté. « Je vais devoir livrer un bon à un acheteur. C’est mon métier. Mais j’emprunte seulement la valeur de ce bon. Si mes anticipations sont justes, je débloque le short, je récupère la valeur de mon titre, et j’en achète un moins cher. », raconte M. Barre. Sauf que cela revient une nouvelle fois à parier à la baisse sur les titres français. Plusieurs banques souhaiteraient aujourd'hui modifier le mode d’enchère. Un moyen de prendre moins de risque. Tout en conservant des avantages significatifs.
Benjamin Edgard À paris