Mathieu Anheim, neurologue au CHU de Strasbourg, a conçu un algorithme capable d'aider les médecins à diagnostiquer certaines maladies. Dans le cadre du Forum Européen de Bioéthique de Strasbourg, il a répondu aux questions de CUEJ.info sur l'intelligence artificielle.
Une classe de première, des têtes grises, des intellos. Ce jeudi 8 février, 14h, Place Kléber, la Grande salle de l’Aubette est comble. Et pour cause, le sujet de la 14e édition du Forum Européen de Bioéthique de Strasbourg rassemble autour de l’intelligence artificielle. Pour la première conférence de l’après-midi, on parle « Cerveaux connectés ». Parmi les invités, Mathieu Anheim, professeur de neurologie au CHU de Strasbourg et responsable du Centre de Référence des maladies neurogénétiques. En 2018, ce gros cerveau crée un algorithme capable de diagnostiquer des maladies génétiques rares. S’il manipule l’IA et les implants cérébraux dans son quotidien de neurologue, Mathieu Anheim ne reste pas moins critique des ambitions science-fictives d’Elon Musk. Entretien.
Aujourd’hui, l’intelligence artificielle est-elle déjà utilisée dans le milieu médical ?
Au-delà de la recherche, ça fait des années que l’IA s’est intégrée dans les pratiques médicales. Face à un patient, le raisonnement qui permet d’aboutir à un diagnostic peut facilement être assisté par « machine learning » - on envoie des millions et millions de données à une machine qui, au fur et à mesure, apprend à reconnaître telle ou telle maladie. C’est très utilisé en radiographie par exemple. Si on observe une tache aux poumons, l’ordinateur va pouvoir identifier si c’est une tumeur ou non grâce aux données qu’il a analysées. Même chose en dermatologie, on montre un bouton, ou un grain de beauté et on sait ce que c’est.
Vous avez vous-même conçu un algorithme capable d’aider les médecins à diagnostiquer certaines maladies, peut-on parler d’IA ?
L’outil que j’ai développé permet effectivement de faciliter le diagnostic de maladies génétiques rares. L’idée, c’était de créer les cartes d’identité de 65 pathologies connues et de les comparer à des symptômes. Il suffit alors d’entrer l’historique et l’examen du patient pour que l’algorithme affiche un score de compatibilité pour chacune des maladies enregistrées. Plus le score est élevé, plus il y a de chances que la maladie soit en cause. Certains diraient que c’est de l’intelligence artificielle « soft », mais je ne l’ai pas vendu comme ça. Je considère qu’il y a IA quand il y a une capacité à apprendre. Ici, c'est moi qui ai alimenté l’ordinateur grâce à mes propres recherches.
Peut-on imaginer que les machines remplacent les médecins ?
Pour mon algorithme, il n’y a pas vraiment de risque. Il a été créé par un un être humain et il ne peut être utilisé qu’avec des informations récupérées par un être humain. Les résultats sont ensuite interprétés par un être humain et communiqués à un autre être humain. Même si l’IA est très efficace, c’est quand on utilise les deux, l’homme et la machine, que l’on arrive à un très bon niveau de diagnostic. Et la relation médecin-malade reste à mon sens vraiment nécessaire.
Fin janvier, Neuralink, la startup de neurotechnologies créée par Elon Musk, annonçait le succès de sa première implantation cérébrale réalisée sur un patient. Voyez-vous d’un bon œil le développement d’implants intelligents ?
Il faut comprendre que l’implant cérébral n’est pas nouveau. Moi c’est mon quotidien. Lorsqu’un patient consentant entre dans les critères éthiques nécessaires, on peut lui mettre une prothèse dans le cerveau. C’est ce qui se fait pour les malades de Parkinson ou du Syndrome de Gilles de la Tourette. On envoie des stimulateurs cérébraux qui bloquent certains symptômes. Donc moi, en tant que médecin, je suis là pour aider les malades.
« Il y a déjà des IA capables de savoir de quoi l'on rêve (...) cela risque de faire disparaître ce qu'il nous reste de libre arbitre »
Avec Neuralink, Elon Musk veut améliorer la mémoire de l’homme, il veut faire de la télépathie, ça dépasse largement le cadre médical. En tant que médecin, je ne suis pas là pour augmenter l’homme. Et je pense que c’est très difficile d’améliorer les capacités du cerveau. On est sans doute plus proche de déplacer toute une population sur Mars que de se parler par télépathie.
Ces projets d'implantation cérébrale vous inquiètent-ils ?
Lorsque l’on dépasse le cadre de la neuro-réparation, c’est toujours un peu inquiétant. Ma crainte principale est la transparence absolue. Il y a déjà des IA capables de savoir à quoi l’on rêve, la frontière avec ce que l’on pense n’est pas si éloignée. Pouvoir lire à livre ouvert dans l’esprit de chacun risque de faire disparaître ce qu’il nous reste encore de libre arbitre. Aussi, d’un point de vue médical, pour l’heure, nos techniques sont réversibles : on peut enlever un implant à tout moment. Certaines perspectives font craindre que ce ne soit plus possible.
Propos recueillis par Julie Lescarmontier
Édition Baptiste Huguet