Hafid Mourbat, bonnet rouge ajusté sur la tête, s’est installé en 1998 dans un des plateaux du parc Gruber. Il a tout de suite été séduit par le montant du bail et les installations : "Ce sont des plateaux que l’on peut aménager comme on veut avec un loyer abordable."
L’artiste qualifie Koenigshoffen de "meilleur endroit" où il a vécu, mais pointe du doigt "le cruel manque d’espaces culturels dans le quartier." Il voit donc d’un bon œil le rachat de l’immeuble du parc Gruber par la mairie. Il se dit curieux de la possible arrivée d’un pôle santé, d’associations voire d’une médiathèque au sein du parc.
Un autre élément manque à Koenigshoffen selon Hafid Mourbat : l’échange. Présent depuis vingt ans, il avoue avoir très peu de contacts avec les autres habitants du quartier: "Ici, au parc, on est un peu à l’écart !"
Déambulant entre ses multiples créations artisanales, Hafid Mourbat guette avec intérêt l’arrivée du tramway. Lui, l’ancien habitant du Faubourg-de-Saverne a vu l’élan positif et novateur créé par cette attraction dans son ancien quartier. Il rêve du même destin pour Koenigshoffen. "Le quartier est pauvre, il va gagner en intérêt avec l’arrivée du tram. Au Faubourg-de-Saverne, cela a permis la création de bars, de lieux de rencontre et d’échange. J’espère que ce sera la même chose ici."
Herrade : l’Istanbul strasbourgeoise
"Ma voisine est turque. Au-dessus, elle est aussi turque. En-dessous, c’est encore une Turque…", compte Fatma Inal, en agitant son index de gauche à droite. La quadragénaire, aujourd’hui locataire du numéro 22, a toujours vécu à Herrade. Son père a été l’un des premiers Turcs à s’installer dans le secteur.
"Suite à l’arrivée d’immigrés turcs, on a baptisé le triangle Herrade ‘Istanbul’", explique Mohamed Eramami, animateur de projets de l’association Par enchantement. Cette dénomination concerne tant les logements sociaux que les copropriétés situés dans la rue. "Par opposition, on surnommait les immeubles mitoyens de l’allée des Comtes ‘Ankara’, parce qu’ils étaient plus calmes", sourit-il. Fatma Inal se rappelle de certains heurts, comme ceux de 2010, lorsqu’une rixe a éclaté avec des Tchétchènes extérieurs au quartier. "Près de 30 Turcs sont descendus. Même moi j’y suis allée, raconte-t-elle avec entrain. Mais c’était notre faute…"
Selon Recep Cal, un habitant originaire d’Anatolie qui endosse parfois le rôle de traducteur au sein du quartier prioritaire, cette communauté représentait 60% des résidents dans les années 1980. Un chiffre qui s’établirait, en 2018, à 40%. "Les enfants sont partis", explique-t-il. Une chose a changé : la langue n’est plus un obstacle pour ces familles. "Avant, je traduisais des affiches d’informations pour le bailleur social et Par enchantement. Mais aujourd’hui, dans 99% des foyers, au moins une personne parle français", constate-t-il.
Pour autant, la culture turque imprègne toujours les murs de l’Istanbul strasbourgeoise. "Il y a une grande solidarité, s’exclame Fatma Inal. Quand quelqu’un est dans le besoin, on le console, on lui donne à manger." Certains participent activement aux fêtes de quartier. "On joue de la musique turque, raconte Nefise Bezmem, une nouvelle venue arrivée en avril 2017. Je me sens déjà vraiment intégrée."
En contrebas du parc Gruber est installé Libre Objet, une association accueillant des personnes en contrats aidés. Ces derniers réalisent en petite série des objets conçus par des artistes, souvent à partir de matériaux recyclés. L’atelier s’est implanté à Koenigshoffen il y a deux ans, au niveau du parc Gruber, mais existe depuis 1997.
Le choix de Koenigshoffen ne s'est pas fait par défaut : "Le quartier a l’avantage d’être desservi en transports en commun et d’avoir un parking gratuit, contrairement à Strasbourg et même nos anciens ateliers", indique François Oberling. Les jeunes en insertion travaillant à Libre Objet ne viennent pas de Koenigshoffen, mais de l’Eurométropole en général, et n’ont pas de moyens de locomotion. François Oberling habite quant à lui à la Robertsau et met quarante minutes pour venir. "Pas un souci" pour lui.
En l’espace de deux ans, il a pu constater une évolution de Koenigshoffen, notamment la réhabilitation de nombreux bâtiments au début de la route des Romains. Et si le quartier lui convient bien, il le trouve néanmoins délaissé : "Il n’y a pas de centre-ville à Koenigshoffen, c’est la route des Romains qui en tient ce rôle, note-t-il. Mais les élus souhaitent dynamiser le quartier." Avant de conclure : "Un des plus gros problèmes ici, c’est le manque d’offre culturelle. Il n’y a rien."
Mehmet Akbalik gère Au Poilu depuis cinq ans, un bar-restaurant qu’il a repris alors qu’il était fermé depuis un an et ne cessait de changer de propriétaire. Il tenait auparavant un bar sur Illkirch et c’est « l’envie de changement » qui a motivé sa venue ici. Son bar-restaurant sert 15 à 20 couverts et propose un plat du jour le midi et des tartes flambées et pizzas le soir.
Lui et sa famille habitent à Schiltigheim, à 15 minutes en voiture mais il rencontre parfois des difficultés pour stationner. La cause ? Les travaux du tramway, censé arriver en 2020, qui touchent tout le début de la route des Romains dont son commerce. "Les gens voient les travaux, ils ne peuvent pas stationner, font 2-3 fois le tour du quartier et s’en vont, se plaint-il. Le bar est peu accessible, hormis à pied."
Une partie de sa terrasse extérieure a déjà été fermée lors des travaux et devrait encore l’être lors de la construction des rails. "J’ai perdu 30 % de mon chiffre d’affaires depuis le début des travaux du tram", souffle-t-il. En réponse, il a monté un dossier afin d’obtenir des compensations mais attend toujours un signe de l’Eurométropole.
Mehmet Akbalik se montre sceptique sur le projet : "Le bus dessert déjà bien le quartier, le tram aura un faible impact." Il espère tout de même observer une hausse de la fréquentation de son enseigne et "accueillir une clientèle plus diversifiée que les habitués qui s’y succèdent."