“Balance !” : Quand les jeunes font la loi
“Quand il commence à faire noir, nuit, je ne sors pas", confesse Nefise Bezmem. Employée dans une société de nettoyage, la trentenaire s’inquiète pour ses trois enfants: "Il y a des jeunes qui font des bêtises.”
Squats de caves et greniers, détériorations de boîtes aux lettres, dégradations de poubelles. Les locataires du triangle Herrade craignent le comportement de certains adolescents. Âgés de 13 à 18 ans, ils vivent ici ou viennent de l’extérieur. “Tous les jours il y a des courses-poursuites à moto, des bagarres. Et puis, ça deale”, indique Fatma Inal, une locataire originaire du secteur.
Lors d’une réunion de quartier, le 18 octobre dernier, Anne-Valérie Demenus a répété que les habitants ont la responsabilité de dénoncer ces actes. “Il faut appeler le 17 pour faire remonter les problèmes auprès des forces de l’ordre”, a encouragé la directrice de projet QPV à Koenigshoffen-Est. Un numéro que les résidents composent peu, par peur de représailles. Sur certains murs des bâtiments, l’expression ‘balance’ est taguée. Une insulte que les jeunes utilisent pour persécuter ceux qui contactent la police.
“Il faut aussi se réapproprier les lieux”, insiste Anne-Valérie Demenus. De jour comme de nuit, le terrain bétonné situé entre le 26 et le 30 est occupé par des adolescents. Réunis en petits groupes, le regard balayant l’allée des Comtes, ils semblent garder l’entrée de la cité Herrade. “Organisez des manifestations positives, conseille la salariée de l’Eurométropole, comme des rencontres et des repas.”
Si certains habitants réclament des caméras de vidéosurveillance, Fatma Inal tempère : “Ces jeunes sont protecteurs. C’est étrange, mais quand je les vois, je suis rassurée.”
Dans la famille Foulouh, Amal fait figure d’exception. A 20 ans, la jeune étudiante, en service civique dans une école, veut tenter sa chance ailleurs, en frappant à la porte de la capitale. "J’aime pas tellement l’ambiance de ce quartier. J’ai connu que ça, maintenant je veux voir autre chose." Un sujet, maintes fois abordé lors des réunions familiales, qui ne manque pas d’émouvoir Louisa. A l’autre bout de la table, sa petite-fille la rassure : "Vous viendrez me voir j’espère. On est une tribu !"
Le goûter du samedi, chez les Foulouh, c’est une institution. Aujourd’hui, c’est Mouna qui reçoit. Après avoir gravi les quatre étages et s’être déchaussés à l’entrée, cousins et cousines s’embrassent, heureux de se retrouver. Ici, pas de chaises : il faut enjamber les autres pour trouver une place sur l’imposant canapé qui encadre la table ronde du salon. Trois générations sont réunies. Les petits-enfants, d’abord : Sana, sa cousine Rislene et la fratrie Amal, Anissa et Amine. Les enfants : Najima, l’aînée, et Mouna, la benjamine. Enfin, la grand-mère Louisa, la "grande madame Foulouh", comme elle aime se présenter.
Co-construit par les bénévoles de sept associations de quartier, parmi lesquelles PAR’enchantement, Koenigshoffen Demain et le Centre socio-culturel Camille-Claus, l’événement est organisé chaque troisième vendredi du mois depuis juin 2017. Tables et buvettes sont installées dans les jardins afin que "les habitants du quartier puissent échanger avec les membres des start-up implantées dans la tour, déclare Nathalie Lesage, volontaire de Start-up de Territoire. Le but est de créer une communauté, de renforcer le lien social tout en recueillant des idées. Et aussi de faire la fête !" Si le café associatif manque encore de visibilité, son dernier rendez-vous a tout de même réuni plus de 80 personnes. Un chiffre qui pourrait augmenter avec l’ouverture au grand public de la Tour du Schloessel prévue pour 2019.
Stacy Petit et Julia Toussaint