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Les élèves du lycée Émile Mathis à Schiltigheim sont équipés des tablettes HP proposées par la région. Crédit photo : Cuej / Sophie Motte

Plus de production et d’efficacité, moins de consommation de ressources: moins de coûts en général. L’agriculture numérique, dit « agriculture 4.0 » en référence à la quatrième révolution industrielle, n’a qu’un objectif, celui de maximiser la production. Pour les agriculteurs, le numérique vise à diminuer la quantité d’engrais et de pesticides en rendant le travail sur les champs plus précis grâce aux systèmes de localisation GPS, intégrés dans les tracteurs par exemple. Pour les éleveurs, la surveillance et l’approvisionnement du cheptel est l’intérêt principal.

« Nous n’avons pas forcément les ressources pour développer ce genre de système »

PSA Mulhouse et le groupe Schmidt font figure d’exception dans le paysage alsacien. Pour nombre d’entreprises, la refonte du modèle de production est loin d’être aussi radicale. Elle s’opère le plus souvent par petites touches progressives. L’entreprise Liebherr a perfectionné depuis une dizaine d’années un système qui lui permet de récupérer des données en temps réel sur l’état de ses grues à tour de location. Elle développe désormais un logiciel de modélisation en 3D de ses machines pour permettre à ses clients de les intégrer dans leurs propres modélisations. Mais, pour beaucoup d’entrepreneurs, la mue vers le numérique est loin d’être une évidence. « Ils ne savent pas toujours par quel bout le prendre, par où commencer, car il n’y a pas toujours une bonne compréhension de ce qu’est le 4.0, analyse Isabelle Botzkowitz. A la base de toute démarche, il doit y avoir une réflexion stratégique de chaque entreprise pour définir ce qui peut lui être profitable. En d’autres termes : que faire des données collectées via ces technologies, comment les transformer en or noir ? » Poussée par le gouvernement, la Région s’efforce depuis quelques années de mettre de l’huile dans les rouages. Elle propose aux entreprises qui le souhaitent un diagnostic de leurs performances industrielles, sur la base duquel elles peuvent amorcer leur développement.

Par ailleurs, Alsace Tech propose aux entreprises de développer des projets avec des étudiants des grandes écoles d’ingénieurs, d’architecture et de management, ce qui représente une opportunité pour expérimenter des technologies, à moindres frais. Lors de la réunion de présentation des projets dans les locaux de la Haute école des arts du Rhin (HEAR) de Strasbourg jeudi 15 mars, il était question de réalisations telles qu'un outil d’analyse des données de flux internes de l’usine ou de l’amélioration des capacités de conservation d’un légumier.

Venu par curiosité, Simon Schaeffer, responsable de production chez Burkert, confessait : « Nous avons quelques idées, comme s’équiper de tablettes pour digitaliser nos données de production qui, actuellement, sont sur papier. Mais nous n’avons pas forcément les ressources et la créativité en interne pour développer ce genre de système. Un partenariat avec des étudiants de l’INSA ou d’autres écoles pourrait être une solution. »

Eddie Rabeyrin

Comme cet ingénieur, de nombreux entrepreneurs s'intéressent aux possibilités qu'offrent les technologies numériques. Après la machine à vapeur, l’utilisation de l’électricité puis l’automatisation des machines, le 4.0 serait la quatrième révolution industrielle. Elle se caractérise par le recours aux technologies du numérique (réalité augmentée, intelligence artificielle, etc.) et à des machines connectées entre elles, capables de capter et de gérer, sans intervention de l’homme, une grande quantité d’informations. Le terme d'« industrie 4.0 », venu d'outre-Rhin, est en fait un label qui désigne la stratégie de développement du numérique dans les entreprises mise en place par le gouvernement allemand. Le concept a rapidement fait des émules et été copié à travers le monde. En France, il se décline plutôt sous la forme d'« industrie du futur », nom sous lequel a été lancé, en avril 2015, le projet du gouvernement français visant à transformer le modèle industriel par le numérique. « Au départ, on pensait que c'était seulement une mode, mais il s'agit d'un vrai mouvement mondial, juge Isabelle Botzkowitz, présidente d'Alsace Tech, un organisme chargé de mettre en réseau les grandes écoles d'ingénieurs, d'architecture et de management avec les entreprises locales. L’industrie 4.0 a des implications à la fois sur les techniques de production, sur le commercial et l’administratif. »

Produire sur-mesure... à l'échelle industrielle

L’Alsace compte au moins deux exemples aboutis d’entreprises ayant engagé ce genre de transformations. Le premier est le groupe Schmidt, spécialisé dans le mobilier de cuisine, via sa franchise Cuisinella. Dans son usine de Sélestat, les lignes de montage sont capables de produire des meubles de taille et d’aspect différents. Cela permet de proposer du sur-mesure aux clients, là où, avec une production à la chaîne traditionnelle, il n’est possible que de proposer un produit standardisé. « Nous offrons un degré de personnalisation comparable à celui d’un artisan, mais à l’échelle industrielle, c’est-à-dire produit bien plus rapidement, explique Tristan Cenier, animateur d'innovation chez Schmidt. La gestion des données nous permet également de coordonner l’activité de nos deux usines, pour fabriquer au moment où il y a un besoin et donc de minimiser les stocks. » L’usine PSA de Mulhouse a quant à elle lancé une nouvelle ligne de production en mars 2017, au prix d’un investissement de 400 millions d’euros. Elle est censée représenter la vitrine de l’usine du futur voulue par le groupe. Elle fonctionne en « monoflux intégral » : les différents modèles de voiture peuvent être assemblés sur une même ligne de montage. La logistique a été entièrement repensée : les pièces sont préparées à l’écart par des ouvriers puis acheminés par des chariots à guidage automatique sur la ligne de montage, où les opérateurs s’activent, épaulés par toutes sortes de robots et matériels connectés.

Éleveur de vaches de troisième génération, Raphael Baumert a numérisé sa production en 2008. Plus de lait, plus de flexibilité mais pas moins de travail : sa vie d’agriculteur se passe entre l’étable, les champs et le bureau.

Les nouvelles technologies pour contrôler les distributeurs de publicité
« Avant, sur la feuille de route, on avait un temps donné pour la distribution. On nous donnait trois heures pour distribuer un secteur mais si on faisait cinq heures, on était payés trois heures » raconte René*, responsable syndical dans une entreprise de distribution de publicité.
Un combat syndical pour la reconnaissance effective du temps de travail qui a abouti il y a deux ans à la loi El Khomri. Une avancée aux effets pervers. Les salariés se retrouvent alors munis d'un GPS qu'ils doivent activer quand ils commencent leurs tournées. Quand le distributeur fait son trajet, il a un parcours précis à respecter. S'il s'écarte de son itinéraire, s'il le fait mal ou s'il met trop de temps à le réaliser, une alerte se déclenche. Une manière simple pour les employeurs de suivre à la trace leurs salariés sous couvert de bonnes intentions. 
En cas de problème de distribution « automatiquement, il y a une personne qui va venir faire le trajet avec le salarié pour vérifier » détaille René. Un sentiment d'être « traqué qui a fait fuir beaucoup de distributeurs » selon le syndicaliste qui explique lui s'être habitué au GPS.
* Le nom a été modifié.
M.T.

Parfois jours et nuit, parfois une fois toutes les cinq semaines, Raphael Baumert est alerté d'un souci sur ses machines via son téléphone portable. Credit Photo: Cuej / Ferdinand Moeck

Le smartphone sonne. « Numéro inconnu », apparait sur l’écran. « C’est le système automatique de l’usine de méthanisation de déchets qui m’appelle pour signaler un problème », soupire Raphael Baumert, haussant les sourcils et rajustant ses lunettes. « Ça peut aussi arriver en pleine nuit, pareil pour le robot de traite. Il faut que je me lève pour régler les soucis. » Même si les processus numérisés facilitent les travaux sur la ferme, la quantité de tâches reste la même. « Le temps de travail s’est déplacé de l’étable au bureau. Mais ça ne fait pas moins de travail. Par contre, on est plus flexible au quotidien maintenant. Traite et travail dans les champs, ça peut se faire en même temps, constate-t-il. Cela permet aussi de dormir un peu plus longtemps le dimanche matin. »

A l’entrée de la ferme, le bruit monotone de l’autoroute se mêle au ronflement de l’usine de méthanisation de déchets. Dans l’air flotte une odeur d’étable et de lisier. Les bovins ne sont pas loin. La fibre en revanche… Raphael Baumert gère l’entreprise familiale avec sa sœur Veronika, son père Karl-Philipp et un employé. C’est à Maiwald, petite commune à trente kilomètres au nord d’Offenbourg, que les grands-parents de cet agriculteur de 25 ans ont construit leur ferme dans les années 1950. A l’époque, cinq cochons, deux chevaux, et seulement quatre vaches en guise de cheptel. Aujourd’hui, 160 vaches dont 60 laitières remplissent les étables. Toutes sont appelées par leur petit nom, toutes sont traites par un robot.

Un investissement de 85 000 euros

La machine a été achetée en 2008, en raison des problèmes de santé de la mère de Raphael Baumert. Elle avait toujours trait ses vaches avec une vieille machine semi-automatique, mais la famille a investi pour l’avenir. « Seuls ceux qui savent qu’ils vont continuer à travailler dans l’agriculture, au moins vingt ou trente ans font un tel investissement », explique Raphael Baumert. Coût : 85 000 euros.  Financé à hauteur de 20% par l’Union européenne, l’investissement ne sera pas amorti avant quinze ans. « On était les premiers dans la région à avoir un tel robot. Pour des fermes ayant moins de 60 vaches, cette technologie n’est pas rentable. » Rester concurrentiel sur le marché du lait devient de plus en plus difficile. Pour couvrir les coûts, les fermes les plus petites sont obligées de vendre leurs produits sur place ou sur le marché local. Pour certaines d’entre elles, l’élevage passe désormais après la production et la vente de leurs produits.

En 20 ans, le nombre d'entreprises agricoles s'est réduit de moitié en Allemagne. Il y avait 472 000 entreprises agricoles dans les années 1999/2000 qui travaillaient sur 36,3 hectares en moyenne. Et seulement 285 000 exploitations avec une surface agricole moyenne de 58,6 hectares en 2013. L’Union européenne a soutenu cette dynamique en accordant des subventions plus importantes aux grandes entreprises agricoles. Aujourd’hui, le numérique tend à renforcer cette dynamique.

Après la machine à vapeur, l'électricité et l'automatisation de la production industrielle, une nouvelle révolution des méthodes est en marche : l'industrie 4.0 fait entrer les technologies du numérique, la réalité augmentée et l'intelligence artificielle à l'usine.

Tandis que Raphael Baumert essaie de résoudre le problème de son usine de méthanisation des déchets, les vaches ruminent tranquillement. Lorsque l’une d’elles ressent le besoin d’être traite, elle entre dans le box. Le robot se connecte avec le capteur individuel que chaque animal porte autour de sa cheville. Il sait donc toujours quelle vache se trouve dans le box et combien de lait elle donne en moyenne. Mais aussi quelle dose de fourrage concentré elle doit recevoir. L’ensilage tombe dans un récipient intégré au robot, pendant que la machine fait son travail. Le processus de traite est complètement automatisé et toutes les informations récoltées sont envoyées aux ordinateurs, dans le bureau des Baumert.

« Les deux premières années ont été l’enfer, avoue Karl-Philipp Baumert. Il a fallu un an pour que les vaches comprennent comment cela fonctionnait. Aujourd’hui encore, il faut parfois les pousser dans le box de traite. Pour nous aussi, ça a été un sacré changement. » D’un côté, plus de flexibilité et un travail moins pénible, de l’autre, une dépendance à la technologie dont les problèmes ne peuvent pas être toujours résolus rapidement. « Un jour, raconte-t-il, la foudre a coupé l’électricité et a endommagé le robot. Les vaches n’ont pas pu être traites pendant 17 heures. Les pièces de rechange et  le mécanicien se trouvaient à une centaine de kilomètres. Il a fallu réinstaller l’ancienne machine pour soulager les vaches jusqu’à que le robot soit réparé. » Mais il n’y a pas de nostalgie dans les yeux de Karl-Philipp Baumert. « Avant, le travail était plus dur », se souvient-il.

C'est à la demande des vaches que le box s'ouvre pour la traite. D'autres tentent leur chance, juste pour le fourrage. Mais elles n'en auront pas: le robot sait quand elles en ont eu assez. Credit photo: Cuej / Ferdinand Moeck

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