Samir est un Algérien de 39 ans. Alors qu'il se tient sur le banc des prévenus pour vols et dégradations dans trois enseignes de vêtements strasbourgeoises, son avocat a eu recours à une stratégie de défense plutôt originale en invoquant les tensions entre l'Algérie et la France.
L'atmosphère est tranquille au tribunal correctionnel de Strasbourg en ce 9 février 2022. Seule une comparution immédiate occupera l'après-midi de la salle 101. L'ambiance est si relaxée que l'avocat de la défense a emmené un ami et futur avocat, vêtu lui aussi d'une toge et assis à côté de son aîné dans la salle d'audience. Ils bavardent gaiement en attendant le début de la comparution. « Il est venu seulement pour regarder », explique tout sourire l'avocat à la greffière.
Samir, vêtu d'un simple tee-shirt vert, la mine renfrognée, est assis dans son box. Encadré par deux policiers, il est en détention provisoire depuis ce 7 février, où il s'est fait pincer au sortir des galeries Lafayette de Strasbourg, deux vestes impayées dans son sac. L'homme a sonné au portique de la grande enseigne. A l'ouverture de son sac, les vigiles du magasin ont aussi trouvé un « dispositif en aluminium » censé embrouiller les capteurs. Le prix des deux vestes s'élève alors à 339,99 euros.
Au moment des faits, le prévenu est déjà placé sous contrôle judiciaire pour des délits similaires commis le 22 novembre : il a volé un manteau ainsi qu'un pantalon à Go Sport pour la somme de 219,99 euros, et deux pantalons à Zara pour 79,99. Les habits ont été dégradés par l'arrachage des antivols. L'enseigne internationale Zara s'est constituée comme partie civile, Samir devait être jugé en mars.
Un casier judiciaire vierge mais une OQTF
Arrivé en France il y a deux ans, le casier judiciaire de Samir est vierge. L'accusé a transité à Lyon, avant d'arriver à Strasbourg. Seul et sans enfants, il déclare vivre à Schiltigheim avec des amis. Une obligation de quitter le territoire français a été adressée à l'accusé l'année dernière suite à ses premiers délits. En situation irrégulière, il déclare vivre de petits boulots au noir. La juge rappelle aussi l'enquête de personnalité : il fume régulièrement du cannabis et consomme du Rivotril (un médicament sédatif) ainsi que du Lyrica (un anxiolytique puissant). Samir ne parle pas français, alors c'est son interprète qui traduit : « C'est pour le stress, il en prenait déjà en Algérie. »
Le prévenu reconnaît les faits et déclare avoir volé ces vêtements pour lutter contre le froid de l'hiver. Une défense que la procureure de la République réfute en bloc. Elle s'adonne même à quelques suppositions : « Quand on vient à dessein avec un sac capitonné dans un magasin, c'est pour revendre son contenu et acheter de la drogue. » Elle requiert un emprisonnement de quatre mois avec mandat de dépôt.
C'est pourtant la défense de l'avocat, maître Patrick Rodier qui étonne le plus. Voûté vers les juges, il déclare sur le ton de la confidence : « Le problème avec tous les Algériens en situation irrégulière de France, c'est qu'ils ne peuvent pas travailler. »
« Mon client m'a confié que si il ne pouvait pas rester en France, il irait en Espagne »
Il insiste sur le comportement presque exemplaire de son client en deux ans, alors qu'il n'a aucun moyen de revenu légal. Et reprend quasiment à voix basse : « Nous savons tous très bien qu'il ne sera pas renvoyé en Algérie dans les prochaines années, vu l'état des relations entre nos deux pays. Avec le Maroc ou la Tunisie ça va, mais pas avec l'Algérie. »
L'avocat continue : « L'homme risque d'être là pendant longtemps, il vaut mieux pour tout le monde qu'il reste dehors et qu'il travaille gratuitement pour l'Etat plutôt qu'il rejoigne nos prisons déjà surchargées. » Le conseil fait ici référence aux travaux d'intérêt généraux, une peine infligée en réparation. Il poursuit sans se démonter : « Ou alors vous pouvez le condamner à repasser devant un juge d'application des peines. Mon client m'a confié que si il ne pouvait pas rester en France, il irait en Espagne. Le délai entre les deux comparutions lui permettrait de partir "en fraude" si vous me passez le mot. »
Impassibles, les juges se retirent. L'étonnante plaidoirie de l'avocat échoue à les séduire, ils suivent les réquisitions du procureur et condamnent Samir à quatre mois de prison avec mandat de dépôt.
Laure Solé