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On compare souvent la terrible sécheresse que connait cette année le Maharashtra à celle de 1972, la pire de son histoire. Mais ses causes comme ses effets paraissent très différents.
« Toutes les cultures étaient brûlées. 1972 a été un gros choc pour nous », se souvient Balasabeh Gawde, ancien chef du village de Gawadewadi. Si le vieil homme mentionne ce traumatisme ancien, c’est parce qu’il est régulièrement évoqué à propos de la sécheresse qui affecte le pays depuis des mois, suite à une mauvaise mousson, et qui culmine en ce mois de mai.
Cependant, « les effets de la sécheresse de 2013 sont différents», analyse Parag Lakade, directeur de la société Gangotree, spécialisée dans l’ingénierie civile et l’environnement. « En 1972, ce sont les cultures qui ont été touchées, il y avait assez à boire pour tous, mais pas assez de nourriture. Les prix se sont envolés et les habitants n'avaient pas les moyens d'acheter à manger. En 2013, c’est l’eau qui manque, plus que la nourriture. Celle que l’on boit et celle que l’on utilise pour les cultures et le bétail. » A Gawadewadi, qui a bénéficié de l’action d’une organisation non gouvernementale (ONG) pour améliorer sa conservation de l’eau et se trouve relativement protégé contre la sécheresse, les éleveurs constatent une baisse du prix de leur lait, due à un fourrage de mauvaise qualité. La faute au manque d’eau.
Pourtant, si les précipitations de la mousson de 2012 ont bien été mesurées comme sensiblement inférieures à la moyenne, elles n'ont pas, dans le Maharastra, été plus faibles qu’il y a quarante ans. Première explication avancée à la pénurie de 2013, l’accroissement des besoins en eau de cet Etat est indexable sur le doublement de sa démographie : 50,4 millions d’habitants en 1971 et 112 millions en 2011, selon le dernier recensement.
364 milliards de mètres cubes d’eau perdus par évaporation
Beaucoup contestent cette imputation à une causalité simplement "naturelle". L’ONG South Asia Network on dams, rivers and people pointe d'abord du doigt les errances de la gestion de l’eau. Elle reproche aux gouvernements successifs d’avoir trop misé sur les gros barrages de retenue, construits à tour de bras après 1972, qui s’avèrent propices à l’évaporation. Pour le pays, le 12e plan (2013-2017) évalue les pertes d’eau par évaporation à 364 milliards de mètres cubes par an.
Parag Lakade relève, lui, un autre point noir : l’irrigation a trop peu progressé. La surface de terres irriguées est passé de 17,8% des zones cultivées en 2001 à 17,9% en 2011, soit un peu moins de 200.000 hectares. « Si ces surfaces irriguées ont si peu augmenté, malgré des investissements publics considérables, c’est parce que les plans sont décidés en dépit des préconisations techniques. » Il met aussi en avant l’usage incontrôlé de la nappe phréatique, encouragé par de nouvelles techniques de forage et par le subventionnement de l'électricité ou du carburant qui alimente les pompes.
Deuxième train d'arguments avancé par les contestaires : le choix de promouvoir des cultures excessivement consommatrices. La surface des exploitations dédiées à la canne à sucre, la plus gourmande en eau, a plus que sextuplé. Évaluée à 167 000 hectares en 1972, elle atteint 1 022 000 hectares en 2012. Une expansion que l’écologiste indienne Vandana Shiva attribue à la politique de la Banque mondiale. Après 1972, celle-ci a conditionné ses prêts aux projets de conservation et d'irrigation du Maharastra à une augmentation de la productivité des cultures de rente. La Banque mondiale n'a cependant jamais encouragé le gaspillage de l'eau.
Des mesures d'intervention au jour le jour
Pour faire face à la menace de mort qui pèse sur la vie des hommes et du bétail, le gouvernement multiplie les mesures d'urgence, recensées dans le plan de gestion de crise du ministère de l'agriculture (voir ci-contre), mais cette politique au jour le jour, certes utile, s'avère de plus en plus dispendieuse. « Les pouvoirs publics vont être obligés de chercher des solutions à long terme, constate Parag Lakade. Sinon la situation ira en s'aggravant dans les années qui viennent. »
Lisa Agostini, Yves Common, Jessica Trochet
Les habitants des quartiers les plus défavorisés ont recours au système D pour assurer leurs besoins vitaux.
Dans ce bidonville du sud de Delhi,connu sous le nom d'Indira Gandhi Camp, les enfants jouent pieds nus parmi un amas d'ordures, qui recouvre une canalisation large d'une dizaine de mètres. Les cochons se nourrissent des déchets, situés en contre-bas du camp. L'odeur des ordures sévit déjà à une centaine de mètres, accentuée par les 45 degrés de l'été delhiite. Sept cents familles occupent la colline. Au pied de celle-ci, le long de l'égout à ciel ouvert, une vingtaine de personnes originaires du Bangladesh sont privées d'eau. Dans le reste de ce campement illégal, les autres habitants ont accès à l’eau, via des canalisations installées par la municipalité, à l’instar de la majorité des 860 bidonvilles de la capitale indienne. Dans le sud de Delhi, ils sont 800 000 à vivre dans ces baraquements de fortune, et 2,5 millions sur l’ensemble de la capitale.
Les premiers compteurs d'eau
Dagshree, 65 ans, vit à côté de l'égout depuis plus de 40 ans. « Parfois, la nuit, nous essayons d'aller voler de l'eau aux maisons situées plus haut, mais nous avons peur qu'il viennent nous battre. » Il lui arrive de marcher entre 500 mètres et un kilomètre, chargé de bidons, pour trouver de l’eau. Le chef autoproclamé de ce bidonville, et sûrement l'un des résidents les plus riches, comme en témoignent son smartphone, la taille de sa montre et sa maison cossue, a décidé d'installer des compteurs d'eau dans chacune des 140 maisons du campement. Il assure que même les maisons qui sont totalement dépourvues d’approvisionnement – et sont par ailleurs promises à la démolition - seront concernées. « J'espère que les compteurs seront posés d'ici à deux mois, explique Subhkant Kamat. Si tout fonctionne, notre camp sera le premier à Delhi à avoir des compteurs. » Chaque habitation du bidonville va être reliée au réseau de canalisation afin de pouvoir installer ces compteurs. Pour le chef, ces derniers n'ont que des avantages. « Actuellement, nous avons l'eau gratuitement et donc personne n'écoute nos problèmes. Une fois que nous payerons l'eau, les responsables devront nous écouter. En plus, les compteurs vont mettre fin au gaspillage. » Et Subhkant Kamat espère ainsi éviter les coupures qui touchent fréquemment sa maison. L’avantage du projet, c’est de fournir de l’eau a tout le monde ; la contrepartie, c’est de rendre payant un bien aujourd’hui gratuit. « Moi, je ne crois pas Subhkant Kamalt, explique Seema,qui travaille comme bonne dans le quartier aisé, de l’autre côté de la route. Il vient de temps en temps nous voir, mais à la fin, tout est fait pour les gens du haut de la colline. » « Cela a surtout pour but de nous contraindre à utiliser moins d'eau, il est de mèche avec les politiques », abonde Mamta. « Si nous avons de l'eau de qualité, je suis prête à payer quelques roupies de plus, positive Dasghree. Ici, les familles gagnent en moyenne 6 000 à 7 000 roupies par mois (ce qui les place sous le seuil de pauvreté ndlr). Après tout, cela vaudra bien tout le mal que nous subissons chaque jour. »
© Antoine Izambard /CUEJ
Des ruptures d'approvisionnement
A deux kilomètres de là, en contre-bas d'un boulevard en permanence embouteillé, la rue principale du bidonville de Barapulla échappe aux regards. On aperçoit d'abord les enfants qui trient les ordures, à la recherche d'objets à recycler et à revendre. Ici, les maisons sont en dur, les murs peints en bleu. Les habitants, tous hindous, ont fait construire un temple et une école où sont scolarisés les plus jeunes. Des canalisations courent le long des maisons. Au milieu de la grande rue, des jeunes filles viennent remplir leurs seaux d'eau grâce à un robinet commun. L’eau a été livrée le matin par le camion-citerne du Delhi Jal Board (DJB), l'organisme municipal chargé de la distribution d'eau, comme dans la majorité des bidonvilles de la ville. Les livraisons sont toutefois irrégulières.
« Il arrive que nous n'ayons pas d'eau pendant trois jours, raconte un résident, qui se protège de la chaleur en s'abritant le long de sa maison. Cela arrive quand le DJB nettoie ses camions.Nous allons alors nous approvisionnerdans le quartier riche qui est en face. » Et quand un problème majeur apparaît,les quelque 2500 habitants se tournent vers le chef du lieu,
Il ne stagne plus qu’une dizaine de centimètres d'eau verdâtre au fond du puits. Une quantité infime, que quatre femmes retirent, puis acheminent au petit village montagnard d'Hadsar. Par temps de sécheresse, le rituel est quotidien pour les femmes des populations dites tribales, les Adivasi du taluka* de Junnar.
Pendant des siècles, les Adivasi ont vécu en marge de la civilisation indienne. La Constitution leur a reconnu un statut particulier en 1949, leur attribuant des terres théoriquement inaliénables dans des zones reculées: montagnes, forêts et îles. Une espèce protégée, en somme, qui se tient à l'écart du marché et à laquelle l'administration indienne ne se sent apparemment aucune obligation d'assurer l'accès aux services publics.
Dans le village voisin d’Anjanawle, les Adivasi s’abreuvent directement à la nappe phréatique, au moyen de puits et des pompes manuelles. Ils sont aujourd’hui presque à sec. En contrebas, la retenue d’eau de Manikdoh dessert la plaine. « Ce barrage est sur nos terres, mais nous ne pouvons pas accéder à son eau, même pour boire, constate une femme du village. Pour survivre, les gens descendent cinq mois de l'année pour travailler dans la plaine. » Quelques centaines de mètres plus bas, les rectangles verts des parcelles irriguées contrastent avec l’herbe jaunie et le sol craquelé des collines alentours.
L'eau coule à flot
C’est sur cette oasis que prospère, près du village de Galegaon, la vaste exploitation horticole de Mangesh Doke. Une dizaine de journaliers Adivasi travaillent dans ses vignes. Mangesh Doke, grand, musclé, chemise blanche impeccable et RayBan noires, reçoit ses visiteurs dans son vaste salon, équipé d'un écran plat. Il se dit touché par la sécheresse qui affecte les autres : « Ce qui leur arrive pourrait m'arriver » . L'eau qui irrigue ses vignes et ses grenadiers provient d'un captage de la rivière Kukadi, acheminée en continu jusqu'à un réservoir de dix mètres de diamètre via plus de 5 km de pipelines. L’accès à l’eau en abondance lui a permis de développer très vite une gamme de fruits à forte valeur ajoutée: bananes, tomates, mangues. Ses grenades et son raisin sont exportés à 80% vers les pays du Golfe.
Vishal, Kuldip et Deepack Mandlik,trois fermiers du même clan, ont choisi, eux, de miser sur la rajapuri, une variété de mangue très prisée des Indiens. Mais leurs vergers - 1,5 à 2 acres par familles- sont à l’extrême limite de la « ceinture verte », dans le village de Belsar, à 8 km de Galegaon. Ici,le système d’irrigation est en bout de course.
« Toutes les cultures étaient brûlées. 1972 a été un gros choc pour nous », se souvient Balasabeh Gawde, ancien chef du village de Gawadewadi. Si le vieil homme évoque ce traumatisme, c’est parce qu’il est associé à la sécheresse que traverse actuellement le pays.
Pourtant, « les effets de la sécheresse de 2013 sont différents, explique Parag Lakade, directeur de la société Gangotree, spécialisée dans l’ingénierie civile et l’environnement. En 1972, ce sont les cultures qui ont été touchées, il y avait assez à boire pour tous, mais pas assez de nourriture, et les habitants ne pouvaient pas acheter à manger. En 2013, c’est l’eau qui manque, plus que la nourriture. Celle que l’on boit et celle que l’on utilise pour les cultures et le bétail. » A Gawadewadi, village qui a bénéficié de l’action d’une organisation non gouvernementale (ONG) pour revoir sa gestion de l’eau et donc relativement protégé par la sécheresse, les producteurs de lait constatent une baisse de leur production, due à un fourrage de mauvaise qualité. La faute au manque d’eau.
Pourtant, si la mousson de 2012 a été considérée comme inférieure à la moyenne, il a plu autant, sinon plus, qu’il y a quarante ans dans le Maharastra. Première explication avancée à la rareté de 2013 : l’accroissement des besoins en eau de cet Etat, proportionnel à sa hausse démographique : 50,4 millions d’habitants en 1971 et 112 millions en 2011, d’après le recensement.
364 milliard de mètres cubes d’eau perdus par évaporation
Beaucoup de voix contestent cette argumentation d’une catastrophe naturelle. L’ONG South Asia Network on dams, rivers and people remet en cause la gestion de l’eau. Elle reproche à l’Etat d’avoir trop misé sur les gros barrages construits après 1972, qui s’avèrent propices à l’évaporation. Le 12e plan (2013-2017) évalue ainsi les pertes d’eau par évaporation à 364 milliards de mètres cubes par an.
Parag Lakade, directeur de la société Gangotree, relève un autre point : l’irrigation a peu progressé. Le nombre de terres irriguées est passé de 14,99% des zones cultivées en 1999 à 17,57% en 2005. « Si les surfaces irriguées ont si peu augmenté malgré l’argent investi, c’est parce que les plans sont décidés en dépit des suggestions techniques. » Il met aussi en avant l’usage incontrôlé de la nappe phréatique. En 2007, c’est 16 millions de litres qui ont été pompés contre 11 en 1988.
Deuxième argument avancé par les contestaires : les choix de culture. Les surfaces agricoles dédiées à la canne a sucre, denrée gourmande en eau, ont augmenté. Évaluées à 167 000 hectares en 1972, elles sont de 1 022 000 hectares en 2012. Un accroissement dû à la politique de la Banque mondiale, selon l’activiste indien Vandana Shiva. Après 1972, celle-ci accorde de l’argent à l’Etat du Maharastra pour creuser des puits, à la condition de planter de la canne à sucre.
Une fois la mousson, on oublie la sécheresse
Pour faire face à cette situation, le gouvernement prend des mesures, qui d’après le Memorandum for drought relief de 2003-2004, sont identiques à chaque sècheresse. « Mais les pouvoirs publics vont être obligés de chercher des solutions à long terme, explique Parag Lakade. Sinon la situation restera la même dans les années à venir. » Car une fois la mousson venue, dans le Maharastra, on oublie la sécheresse et la culture de la canne à sucre reprend de plus belle.
Lisa Agostini
Yves Common
Jessica Trochet
choisi pour son expérience. Monsieur Murgesh est arrivé parmi les premiers en 1979 de Chennai (Madras), au sud de l'Inde. Son autorité, assise depuis longtemps, n'est pas contestée, d'autant que l'homme a créé des liens avec les hommes politiqueslocaux. Ces derniers, essentiels pour résoudre les problèmes de la vie quotidienne des habitants, tels que l'accès à l'eau, sont élus dans chaque quartier de l'État de Delhi et font partie de l'Assemblée législative.
Les télévisions du Nehru Camp
« Quand l'eau vient à manquer, ces hommes politiques nous aident, explique le chef. Quand on se plaint, ils envoient des camions-citernes. Et tous les 20 jours les employés du DJB distribuent des pastilles de chlorine pour nettoyer l'eau. » Il y a bien des pancartes dans le bidonville pour expliquer l'usage de ces pastilles, beaucoup d'habitants ne s’en servent pas.
« Nous avons peur qu'elles nous rendent malades », explique un homme. Dans le camp, le chef est bien seul à promouvoir l'action des hommes politiques.
860 bidonvilles sont répertoriés sur New Delhi ©Thibaud Metais / CUEJ
« Les politiques viennent une fois tous les cinq ans, à la veille des élections, pour obtenir des voix, dénonce Shakti Vel de l'ONG Youth Welfare Association for Tamils, qui gère notamment l'école du camp. Ils font des promesses qu'ils ne tiennent pas, et ensuite on ne les revoit plus. » L'accès aux sanitaires fait partie des principales doléances portées par les résidents. Le bidonville n'en a jamais eus. Hommes et femmes doivent se rendre sur la ligne de chemin de fer qui court en lisière du bidonville. « Il arrive qu'il y ait des accidents. Des femmes sont mortes », emportées par le train. Selon le Center for Global Development Research (CDR), organisme indépendant spécialisé sur les questions de développement, 26% des bidonvilles de Delhi sont privés de toilettes.
Le campement de Jamia Nagar, l'un des plus pauvres de la capitale, en est lui aussi dépourvu. « On ne risque pas d'en avoir puisque l'on change chaque année de campement », glisse l'un des 200 habitants. Originaires pour la plupart d'Uttar Pradesh, un Etat du Nord du pays, les hommes travaillent d'octobre à juin dans les métiers du bâtiment, puis repartent dans leur région au moment de la mousson. Quatre immeubles en construction bornent le campement où se serrent une trentaine de bicoques en tôle. Derrière un talus, à quelques mètres d'un baraquement, la dépouille d'un cycle Peugeot des années 1950 jonche le sol. « On a de la chance d'avoir trouvé ce site qui permet d'avoir de l'eau facilement », lâche Aakash, 24 ans. Chaque jour, femmes et enfants s'approvisionnent en eau potable grâce à un camion-citerne délivré par le DJB dans les locaux d'une université voisine.
Une pompe est également mise à disposition, à quelques mètres des habitations, par le patron de l'entreprise de construction qui emploie la plupart des hommes du campement. Il s'agit du véritable chef du bidonville. « Nous n'avons pas de chef parmi les habitants et comme nous sommes itinérants, nous dépendons beaucoup du patron qui nous emploie », précise un résident. C'est lui qui va notamment être chargé de négocier avec le DJB si les camions-citernes ne sont plus approvisionnés en eau. C'est aussi vers lui que vont se tourner les gens en cas de problème. Le pouvoir des chefs des bidonvilles tend à se renforcer en fonction de l'appartenance des habitants à telle ou telle caste, même si les discriminations fondées sur celles-ci sont interdites par la Constitution. Selon le CDR, 47% des personnes vivant dans les bidonvilles de New Dehli sont des dalits (« intouchables »). A Jamia Nagar, ces derniers représentent même près de 80% de la population. « Les chefs s'octroient plus de pouvoir quand la population est en majorité dalit, ce qui les conduit à prendre toutes les décisions et à réduire les habitants à des assistés », appuie Rajesh Kumar, directeur de l'une des principales ONG de New Delhi, spécialisée dans l'extrême pauvreté.
Certains bidonvilles, comme le Jawaharlal Nehru Camp, sont plus anarchiques. Ce campement de 3000 habitants est un melting-pot géant rassemblant les communautés hindous, musulmanes et sikhs. Selon le CDR, 87% des habitants des bidonvilles de Delhi sont hindous et 12% sont musulmans. Avec ses venelles obscures qui s’entrelacent autour d'habitations en ciment grisle Nehru Camp, deux hectares, fait partie des bidonvilles aisés de Delhi. La plupart des maisons sont équipées d'écrans de télévision et chaque jour le DJB approvisionne le campement en eau potable. Mais l'irrégularité des livraisons et la forte demande en eau sont une source de tension entre les habitants. « Il arrive souvent qu'on se batte entre nous pour récupérer l'eau », explique un jeune homme de 25 ans, le bras en écharpe après une bagarre liée à une livraison d'eau potable. S'agissant du raccordement des maisons au réseau d'eau, il appartient à chaque habitant de contacter le DJB, alors que les Delhiites ont pour habitude de se regrouper en associations de quartier pour défendre leurs intérêts auprès des autorités. « C'est un peu épuisant, lâche un habitant. C'est à nous de tout faire dès qu'il y a un problème dans le quartier. »
Mathilde Cousin, Etienne Grelet, Antoine Izambard,Smriti Singh
On les retrouve quelques kilomètres plus au nord, dans le quartier d’affaires de Nehru Place. L’endroit est devenu un haut lieu du marché noir de l’eau en bouteille dans le sud de Delhi, qui connaît chaque été un approvisionnement erratique en eau potable. Une cinquantaine de personnes investit ainsi chaque matin les rues de Nehru Place pour vendre les précieuses bouteilles. En apparence, tout est légal. Des commerçants proposent aux bureaux du quartier des bidons tamponnés de la marque Bisleri ou Aquafina, les leaders indiens de l’eau embouteillée. Mais parmi ces commerçants, des revendeurs peu scrupuleux réutilisent les bidons étiquettés et les remplissent d’eau du robinet, non potable et non-traitée, revendus entre 50 et 70 roupies. Ils sont facilement identifiables à leurs tripoteurs remplis de bouteilles.
Omi Singh, 29 ans, s’approvisionne auprès d’une source privée dans Jamia Nagar. « J’achète mon eau au prix de 15 roupies les 20 litres et je la revends 25 roupies, explique le jeune homme. Ce sont des gens pauvres qui achètent mon eau, je ne fais pas croire qu’il s’agit de marque. » Pourtant, sur les bouteilles, figure encore l’étiquette Aquafina.
Marché noir
Assis dans sa camionnette, Sudarshan surveille dans son rétroviseur les petites mains qui s’activent à décharger les 80 bouteilles qu’il transporte. Cela fait huit ans qu’il vend de l’eau à Nehru Place. Une petite affaire qu’il a montée après avoir acheté sa camionnette et qui lui permet de gagner entre 500 et 1 000 roupies selon les jours. « Qu’est ce qu’on appelle marché noir ? », s’emporte Sudarshan. « Le fait que je fasse quelques roupies de profit car je ne paye pas de taxes à l’Etat ? Les politiques sont tous corrompus et détournent des millions. Moi je ne fais que quelques roupies de profit. » L’impact de ce système parallèle est « négligeable » pour les industriels de l’eau minérale, selon Vimlendu Jha, président de l’ONG environnementale Swechha. « Ils pensent être dans leur bon droit car le gouvernement n’agit pas assez vite pour améliorer la distribution. » Certaines entreprises ont toutefois décidé de se protéger de la contrefaçon. Leur parade : les mettre sous plastique et les doter d’une pastille de la marque sur les bouchons.
Shanawaz Alam, Raphaël Badache, Manal Naila, Geoffrey Livolsi
Les télévisions du Nehru Camp
« Quand l'eau vient à manquer, ces hommes politiques nous aident, explique le chef. Quand on se plaint, ils envoient des camions-citernes. Et tous les 20 jours les employés du DJB distribuent des pastilles de chlorine pour nettoyer l'eau. » Il y a bien des pancartes dans le bidonville pour expliquer l'usage de ces pastilles, beaucoup d'habitants ne s’en servent pas. « Nous avons peur qu'elles nous rendent malades », explique un homme. Dans le camp, le chef est bien seul à promouvoir l'action des hommes politiques.
« Les politiques viennent une fois tous les cinq ans, à la veille des élections, pour obtenir des voix, dénonce Shakti Vel de l'ONG Youth Welfare Association for Tamils, qui gère notamment l'école du camp. Ils font des promesses qu'ils ne tiennent pas, et ensuite on ne les revoit plus. » L'accès aux sanitaires fait partie des principales doléances portées par les résidents. Le bidonville n'en a jamais eus. Hommes et femmes doivent se rendre sur la ligne de chemin de fer qui court en lisière du bidonville. « Il arrive qu'il y ait des accidents. Des femmes sont mortes », emportées par le train. Selon le Center for Global Development Research (CDR), organisme indépendant spécialisé sur les questions de développement, 26% des bidonvilles de Delhi sont privés de toilettes.
Le campement de Jamia Nagar, l'un des plus pauvres de la capitale, en est lui aussi dépourvu. « On ne risque pas d'en avoir puisque l'on change chaque année de campement », glisse l'un des 200 habitants. Originaires pour la plupart d'Uttar Pradesh, un Etat du Nord du pays, les hommes travaillent d'octobre à juin dans les métiers du bâtiment, puis repartent dans leur région au moment de la mousson. Quatre immeubles en construction bornent le campement où se serrent une trentaine de bicoques en tôle. Derrière un talus, à quelques mètres d'un baraquement, la dépouille d'un cycle Peugeot des années 1950 jonche le sol. « On a de la chance d'avoir trouvé ce site qui permet d'avoir de l'eau facilement », lâche Aakash, 24 ans. Chaque jour, femmes et enfants s'approvisionnent en eau potable grâce à un camion-citerne délivré par le DJB dans les locaux d'une université voisine.
Une pompe est également mise à disposition, à quelques mètres des habitations, par le patron de l'entreprise de construction qui emploie la plupart des hommes du campement. Il s'agit du véritable chef du bidonville. « Nous n'avons pas de chef parmi les habitants et comme nous sommes itinérants, nous dépendons beaucoup du patron qui nous emploie », précise un résident. C'est lui qui va notamment être chargé de négocier avec le DJB si les camions-citernes ne sont plus approvisionnés en eau. C'est aussi vers lui que vont se tourner les gens en cas de problème. Le pouvoir des chefs des bidonvilles tend à se renforcer en fonction de l'appartenance des habitants à telle ou telle caste, même si les discriminations fondées sur celles-ci sont interdites par la Constitution. Selon le CDR, 47% des personnes vivant dans les bidonvilles de New Dehli sont des dalits (« intouchables »). A Jamia Nagar, ces derniers représentent même près de 80% de la population. « Les chefs s'octroient plus de pouvoir quand la population est en majorité dalit, ce qui les conduit à prendre toutes les décisions et à réduire les habitants à des assistés », appuie Rajesh Kumar, directeur de l'une des principales ONG de New Delhi, spécialisée dans l'extrêmepauvreté.
Certains bidonvilles, comme le Jawaharlal Nehru Camp, sont plus anarchiques. Ce campement de 3000 habitants est un melting-pot géant rassemblant les communautés hindous, musulmanes et sikhs. Selon le CDR, 87% des habitants des bidonvilles de Delhi sont hindous et 12% sont musulmans. Avec ses venelles obscures qui s’entrelacent autour d'habitations en ciment grisle Nehru Camp, deux hectares, fait partie des bidonvilles aisés de Delhi. La plupart des maisons sont équipées d'écrans de télévision et chaque jour le DJB approvisionne le campement en eau potable. Mais l'irrégularité des livraisons et la forte demande en eau sont une source de tension entre les habitants. « Il arrive souvent qu'on se batte entre nous pour récupérer l'eau », explique un jeune homme de 25 ans, le bras en écharpe après une bagarre liée à une livraison d'eau potable. S'agissant du raccordement des maisons au réseau d'eau, il appartient à chaque habitant de contacter le DJB, alors que les Delhiites ont pour habitude de se regrouper en associations de quartier pour défendre leurs intérêts auprès des autorités. « C'est un peu épuisant, lâche un habitant. C'est à nous de tout faire dès qu'il y a un problème dans le quartier. »
Mathilde Cousin, Etienne Grelet, Antoine Izambard,Smriti Singh