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Les habitants de ces quartiers les plus défavorisés ont recours au système D pour assurer leurs besoins vitaux.
Dans ce bidonville du sud de Delhi,connu sous le nom d'Indira Gandhi Camp, les enfants jouent pieds nus parmi un amas d'ordures, qui recouvre une canalisation large d'une dizaine de mètres. Les cochons se nourrissent des déchets, situés en contre-bas du camp. L'odeur des ordures sévit déjà à une centaine de mètres, accentuée par les 45 degrés de l'été delhiite. Sept cents familles occupent la colline. Au pied de celle-ci, le long de l'égout à ciel ouvert, une vingtaine de personnes originaires du Bangladesh sont privées d'eau. Dans le reste de ce campement illégal, les autres habitants ont accès à l’eau, via des canalisations installées par la municipalité, à l’instar de la majorité des 860 bidonvilles de la capitale indienne. Dans le sud de Delhi, ils sont 800 000 à vivre dans ces baraquements de fortune, et 2,5 millions sur l’ensemble de la capitale.
Les premiers compteurs d'eau
Dagshree, 65 ans, vit à côté de l'égout depuis plus de 40 ans. « Parfois, la nuit, nous essayons d'aller voler de l'eau aux maisons situées plus haut, mais nous avons peur qu'il viennent nous battre. » Il lui arrive de marcher entre 500 mètres et un kilomètre, chargé de bidons, pour trouver de l’eau. Le chef autoproclamé de ce bidonville, et sûrement l'un des résidents les plus riches, comme en témoignent son smartphone, la taille de sa montre et sa maison cossue, a décidé d'installer des compteurs d'eau dans chacune des 140 maisons du campement. Il assure que même les maisons qui sont totalement dépourvues d’approvisionnement – et sont par ailleurs promises à la démolition - seront concernées. « J'espère que les compteurs seront posés d'ici à deux mois, explique Subhkant Kamat. Si tout fonctionne, notre camp sera le premier à Delhi à avoir des compteurs. » Chaque habitation du bidonville va être reliée au réseau de canalisation afin de pouvoir installer ces compteurs. Pour le chef, ces derniers n'ont que des avantages. « Actuellement, nous avons l'eau gratuitement et donc personne n'écoute nos problèmes. Une fois que nous payerons l'eau, les responsables devront nous écouter. En plus, les compteurs vont mettre fin au gaspillage. » Et Subhkant Kamat espère ainsi éviter les coupures qui touchent fréquemment sa maison. L’avantage du projet, c’est de fournir de l’eau a tout le monde ; la contrepartie, c’est de rendre payant un bien aujourd’hui gratuit. « Moi, je ne crois pas Subhkant Kamalt, explique Seema,qui travaille comme bonne dans le quartier aisé, de l’autre côté de la route. Il vient de temps en temps nous voir, mais à la fin, tout est fait pour les gens du haut de la colline. » « Cela a surtout pour but de nous contraindre à utiliser moins d'eau, il est de mèche avec les politiques », abonde Mamta. « Si nous avons de l'eau de qualité, je suis prête à payer quelques roupies de plus, positive Dasghree. Ici, les familles gagnent en moyenne 6 000 à 7 000 roupies par mois (ce qui les place sous le seuil de pauvreté ndlr). Après tout, cela vaudra bien tout le mal que nous subissons chaque jour. »
Des ruptures d'approvisionnement
A deux kilomètres de là, en contre-bas d'un boulevard en permanence embouteillé, la rue principale du bidonville de Barapulla échappe aux regards. On aperçoit d'abord les enfants qui trient les ordures, à la recherche d'objets à recycler et à revendre. Ici, les maisons sont en dur, les murs peints en bleu. Les habitants, tous hindous, ont fait construire un temple et une école où sont scolarisés les plus jeunes. Des canalisations courent le long des maisons. Au milieu de la grande rue, des jeunes filles viennent remplir leurs seaux d'eau grâce à un robinet commun. L’eau a été livrée le matin par le camion-citerne du Delhi Jal Board (DJB), l'organisme municipal chargé de la distribution d'eau, comme dans la majorité des bidonvilles de la ville. Les livraisons sont toutefois irrégulières.
« Il arrive que nous n'ayons pas d'eau pendant trois jours, raconte un résident, qui se protège de la chaleur en s'abritant le long de sa maison. Cela arrive quand le DJB nettoie ses camions.Nous allons alors nous approvisionnerdans le quartier riche qui est en face. » Et quand un problème majeur apparaît, les quelque 2500 habitants se tournent vers le chef du lieu, un homme âgé de 55 ans, choisi pour son expérience. Monsieur Murgesh est arrivé parmi les premiers en 1979 de Chennai (Madras), au sud de l'Inde. Son autorité, assise depuis longtemps, n'est pas contestée, d'autant que l'homme a créé des liens avec les hommes politiqueslocaux. Ces derniers, essentiels pour résoudre les problèmes de la vie quotidienne des habitants, tels que l'accès à l'eau, sont élus dans chaque quartier de l'État de Delhi et font partie de l'Assemblée législative.
La pénurie fait l'affaire de compagnies privées, qui fournissent les paysans du Maharashtra par camions-citernes.
Sur les routes défoncées du district de Jalna, le ballet des citernes est incessant. Tirés par de gros camions ou de petits auto-rickshaws, ces réservoirs d’eau montés sur essieu maintiennent sous perfusion 7 500 kilomètres carrés de terre altérée. Ils multiplient chaque jour les va-et-vient entre points d’eau et villes, villages ou entreprises et exploitations.
Un marché prometteur
Dans une des zones industrielles de Jalna, un alignement de panneaux affiche la spécialité de petits ateliers : fabricants de citernes. En construire une de 10 000 litres coûte près de 30 000 roupies. Elle sera vendue le double. Ces ateliers se comptaient sur les deux mains l’an dernier. En 2013, Amit Kulkarni, journaliste local au Daily Pallavrang affirme en avoir dénombré près de 100. Ils tournaient encore à plein régime mi-avril. Mais à l’approche de la mousson, la demande a chuté, et une atmosphère de désoeuvrement annonce la fin de saison. Elle aura été bonne. Prasad Tanpure, ancien député du Maharashtra, estime que la barre des 50 000 tankers construits a sans doute été franchie cette année, soit un profit de 2 milliards de roupies, réalisé sur les acheteurs publics et privés.
Incapable de satisfaire au droit d’accès à l’eau potable que la loi reconnaît aux quelque 1,6 million d’habitants éparpillés dans ce district rural, l’administration a concédé cette mission à deux compagnies privées, en partageant équitablement le territoire. Leurs quelque 600 camions-citernes font chacun deux à trois trajets par jour. Il faut parfois 160 km pour un aller-retour. Certains villages éloignés ne les voient qu’une fois par semaine. L’Etat, par l’intermédiaire du préfet de district, leur verse 135 roupies pour 1000 litres livrés. L’eau est mise gracieusement à disposition dans des réservoirs publics souvent creusés dans le sol d’immenses lacs artificiels desséchés.
Business as usual
S’il répond ainsi aux besoins essentiels, le service public est loin de satisfaire la demande inextinguible suscitée par la canicule, qui a éveillée la vocation d’une armée de petits entrepreneurs opportunistes. En réalité, c’est le secteur privé qui permet à la population du district de Jalna de boire -presque- à sa soif. Mais pas à moindre coût. Les marchands d’eau négocient les tarifs au téléphone. Et c’est surtout la distance avec le puits le plus proche qui détermine la facture. Si le prix moyen pour 1 000 litres oscille entre 250 et 350 roupies, des villageois du sud du district disent acheter la même quantité plus de 600 roupies.
Ramanlal Nand est dans la partie depuis 2003. Entre janvier et mi-juin, il approvisionne chaque jour une cinquantaine de familles à Jalna. Pour augmenter sa marge, il a investi, en 2007, dans le creusement d’un puits au pied de sa maison, en contractant 1 million de roupies d’emprunt auprès d’une banque et de prêteurs privés. Le jeu, dit-il, en vaut la chandelle. Grâce à la forte demande cette année, il a presque doublé son chiffre d’affaires. Revers de la médaille, son puits est maintenant presque à sec et il ne peut plus honorer ses commandes. Seule une bonne mousson lui permettra de relancer son business l’année prochaine.
Maxime Coltier, Rémy Dodet
Grand consommateur d'eau, le secteur sucrier encadré par l'État s'épuise. Le privé prend le dessus.
Un défilé de charrettes à buffles, tracteurs et camions surchargés de cannes fraîchement coupées converge vers les portes de Sahyadri, la plus grande sucrerie coopérative du district de Satara, au sud de Pune. C’est la dernière livraison avant la clôture de la saison, le 12 mai. Plus loin, sous la chaleur accablante, les coupeurs de cannes s'entassent dans des huttes faites de boue et de tiges de cannes séchées. Ils seraient 12 000 dans cet immense camp qui jouxte la sucrerie. A Sahyadri, ils ont trouvé un abri temporaire, de l'eau et de quoi se nourrir. Cette année, les exilés de la sécheresse s'ajoutent au lot des saisonniers. « Nous sommes venus ici pour essayer de vivre, raconte cette famille de paysans arrivée de Beed après sept heures de voyage. Dans notre village, il n'y a plus de travail, plus d'eau potable. »
Jusqu'à la fin des années 1990, l’Etat indien a monopolisé toute la filière, planifiant la production et fixant les prix, même si plusieurs lois sont venues la libéraliser depuis. Créée en 1975, la sucrerie coopérative Sahyadri s’étend sur 35 000 hectares partagés entre 3 500 petits paysans actionnaires. Élu tous les cinq ans, son bureau des directeurs gère les actifs collectifs et décide des investissements. C'est le modèle dominant dans le Maharashtra : 168 usines sur un total de 234 sont des coopératives. Mais ces élections sont souvent gangrénées par la corruption et le clientélisme. Les sucreries constituent un levier politique essentiel pour rassembler les électeurs dans un Etat où plus de la moitié des habitants vivent en zone rurale. Sur les 40 ministres du gouvernement du Maharashtra, 22 possèdent ou dirigent une sucrerie, coopérative ou privée.
Les habitants de ces quartiers les plus défavorisés ont recours au système D pour assurer leurs besoins vitaux.
Dans ce bidonville du sud de Delhi,connu sous le nom d'Indira Gandhi Camp, les enfants jouent pieds nus parmi un amas d'ordures, qui recouvre une canalisation large d'une dizaine de mètres. Les cochons se nourrissent des déchets, situés en contre-bas du camp. L'odeur des ordures sévit déjà à une centaine de mètres, accentuée par les 45 degrés de l'été delhiite. Sept cents familles occupent la colline. Au pied de celle-ci, le long de l'égout à ciel ouvert, une vingtaine de personnes originaires du Bangladesh sont privées d'eau. Dans le reste de ce campement illégal, les autres habitants ont accès à l’eau, via des canalisations installées par la municipalité, à l’instar de la majorité des 860 bidonvilles de la capitale indienne. Dans le sud de Delhi, ils sont 800 000 à vivre dans ces baraquements de fortune, et 2,5 millions sur l’ensemble de la capitale.
Les premiers compteurs d'eau
Dagshree, 65 ans, vit à côté de l'égout depuis plus de 40 ans. « Parfois, la nuit, nous essayons d'aller voler de l'eau aux maisons situées plus haut, mais nous avons peur qu'il viennent nous battre. » Il lui arrive de marcher entre 500 mètres et un kilomètre, chargé de bidons, pour trouver de l’eau. Le chef autoproclamé de ce bidonville, et sûrement l'un des résidents les plus riches, comme en témoignent son smartphone, la taille de sa montre et sa maison cossue, a décidé d'installer des compteurs d'eau dans chacune des 140 maisons du campement. Il assure que même les maisons qui sont totalement dépourvues d’approvisionnement – et sont par ailleurs promises à la démolition - seront concernées. « J'espère que les compteurs seront posés d'ici à deux mois, explique Subhkant Kamat. Si tout fonctionne, notre camp sera le premier à Delhi à avoir des compteurs. » Chaque habitation du bidonville va être reliée au réseau de canalisation afin de pouvoir installer ces compteurs. Pour le chef, ces derniers n'ont que des avantages. « Actuellement, nous avons l'eau gratuitement et donc personne n'écoute nos problèmes. Une fois que nous payerons l'eau, les responsables devront nous écouter. En plus, les compteurs vont mettre fin au gaspillage. » Et Subhkant Kamat espère ainsi éviter les coupures qui touchent fréquemment sa maison. L’avantage du projet, c’est de fournir de l’eau a tout le monde ; la contrepartie, c’est de rendre payant un bien aujourd’hui gratuit. « Moi, je ne crois pas Subhkant Kamalt, explique Seema,qui travaille comme bonne dans le quartier aisé, de l’autre côté de la route. Il vient de temps en temps nous voir, mais à la fin, tout est fait pour les gens du haut de la colline. » « Cela a surtout pour but de nous contraindre à utiliser moins d'eau, il est de mèche avec les politiques », abonde Mamta. « Si nous avons de l'eau de qualité, je suis prête à payer quelques roupies de plus, positive Dasghree. Ici, les familles gagnent en moyenne 6 000 à 7 000 roupies par mois (ce qui les place sous le seuil de pauvreté ndlr). Après tout, cela vaudra bien tout le mal que nous subissons chaque jour. »
Des ruptures d'approvisionnement
A deux kilomètres de là, en contre-bas d'un boulevard en permanence embouteillé, la rue principale du bidonville de Barapulla échappe aux regards. On aperçoit d'abord les enfants qui trient les ordures, à la recherche d'objets à recycler et à revendre. Ici, les maisons sont en dur, les murs peints en bleu. Les habitants, tous hindous, ont fait construire un temple et une école où sont scolarisés les plus jeunes. Des canalisations courent le long des maisons. Au milieu de la grande rue, des jeunes filles viennent remplir leurs seaux d'eau grâce à un robinet commun. L’eau a été livrée le matin par le camion-citerne du Delhi Jal Board (DJB), l'organisme municipal chargé de la distribution d'eau, comme dans la majorité des bidonvilles de la ville. Les livraisons sont toutefois irrégulières.
« Il arrive que nous n'ayons pas d'eau pendant trois jours, raconte un résident, qui se protège de la chaleur en s'abritant le long de sa maison. Cela arrive quand le DJB nettoie ses camions.Nous allons alors nous approvisionnerdans le quartier riche qui est en face. » Et quand un problème majeur apparaît, les quelque 2500 habitants se tournent vers le chef du lieu, un homme âgé de 55 ans, choisi pour son expérience. Monsieur Murgesh est arrivé parmi les premiers en 1979 de Chennai (Madras), au sud de l'Inde. Son autorité, assise depuis longtemps, n'est pas contestée, d'autant que l'homme a créé des liens avec les hommes politiqueslocaux. Ces derniers, essentiels pour résoudre les problèmes de la vie quotidienne des habitants, tels que l'accès à l'eau, sont élus dans chaque quartier de l'État de Delhi et font partie de l'Assemblée législative.
Les télévisions du Nehru Camp
« Quand l'eau vient à manquer, ces hommes politiques nous aident, explique le chef. Quand on se plaint, ils envoient des camions-citernes. Et tous les 20 jours les employés du DJB distribuent des pastilles de chlorine pour nettoyer l'eau. » Il y a bien des pancartes dans le bidonville pour expliquer l'usage de ces pastilles, beaucoup d'habitants ne s’en servent pas. « Nous avons peur qu'elles nous rendent malades », explique un homme. Dans le camp, le chef est bien seul à promouvoir l'action des hommes politiques.
« Les politiques viennent une fois tous les cinq ans, à la veille des élections, pour obtenir des voix, dénonce Shakti Vel de l'ONG Youth Welfare Association for Tamils, qui gère notamment l'école du camp. Ils font des promesses qu'ils ne tiennent pas, et ensuite on ne les revoit plus. » L'accès aux sanitaires fait partie des principales doléances portées par les résidents. Le bidonville n'en a jamais eus. Hommes et femmes doivent se rendre sur la ligne de chemin de fer qui court en lisière du bidonville. « Il arrive qu'il y ait des accidents. Des femmes sont mortes », emportées par le train. Selon le Center for Global Development Research (CDR), organisme indépendant spécialisé sur les questions de développement, 26% des bidonvilles de Delhi sont privés de toilettes.
Le campement de Jamia Nagar, l'un des plus pauvres de la capitale, en est lui aussi dépourvu. « On ne risque pas d'en avoir puisque l'on change chaque année de campement », glisse l'un des 200 habitants. Originaires pour la plupart d'Uttar Pradesh, un Etat du Nord du pays, les hommes travaillent d'octobre à juin dans les métiers du bâtiment, puis repartent dans leur région au moment de la mousson. Quatre immeubles en construction bornent le campement où se serrent une trentaine de bicoques en tôle. Derrière un talus, à quelques mètres d'un baraquement, la dépouille d'un cycle Peugeot des années 1950 jonche le sol. « On a de la chance d'avoir trouvé ce site qui permet d'avoir de l'eau facilement », lâche Aakash, 24 ans. Chaque jour, femmes et enfants s'approvisionnent en eau potable grâce à un camion-citerne délivré par le DJB dans les locaux d'une université voisine.
Une pompe est également mise à disposition, à quelques mètres des habitations, par le patron de l'entreprise de construction qui emploie la plupart des hommes du campement. Il s'agit du véritable chef du bidonville. « Nous n'avons pas de chef parmi les habitants et comme nous sommes itinérants, nous dépendons beaucoup du patron qui nous emploie », précise un résident. C'est lui qui va notamment être chargé de négocier avec le DJB si les camions-citernes ne sont plus approvisionnés en eau. C'est aussi vers lui que vont se tourner les gens en cas de problème. Le pouvoir des chefs des bidonvilles tend à se renforcer en fonction de l'appartenance des habitants à telle ou telle caste, même si les discriminations fondées sur celles-ci sont interdites par la Constitution. Selon le CDR, 47% des personnes vivant dans les bidonvilles de New Dehli sont des dalits (« intouchables »). A Jamia Nagar, ces derniers représentent même près de 80% de la population. « Les chefs s'octroient plus de pouvoir quand la population est en majorité dalit, ce qui les conduit à prendre toutes les décisions et à réduire les habitants à des assistés », appuie Rajesh Kumar, directeur de l'une des principales ONG de New Delhi, spécialisée dans l'extrêmepauvreté.
Certains bidonvilles, comme le Jawaharlal Nehru Camp, sont plus anarchiques. Ce campement de 3000 habitants est un melting-pot géant rassemblant les communautés hindous, musulmanes et sikhs. Selon le CDR, 87% des habitants des bidonvilles de Delhi sont hindous et 12% sont musulmans. Avec ses venelles obscures qui s’entrelacent autour d'habitations en ciment grisle Nehru Camp, deux hectares, fait partie des bidonvilles aisés de Delhi. La plupart des maisons sont équipées d'écrans de télévision et chaque jour le DJB approvisionne le campement en eau potable. Mais l'irrégularité des livraisons et la forte demande en eau sont une source de tension entre les habitants. « Il arrive souvent qu'on se batte entre nous pour récupérer l'eau », explique un jeune homme de 25 ans, le bras en écharpe après une bagarre liée à une livraison d'eau potable. S'agissant du raccordement des maisons au réseau d'eau, il appartient à chaque habitant de contacter le DJB, alors que les Delhiites ont pour habitude de se regrouper en associations de quartier pour défendre leurs intérêts auprès des autorités. « C'est un peu épuisant, lâche un habitant. C'est à nous de tout faire dès qu'il y a un problème dans le quartier. »
Mathilde Cousin, Etienne Grelet, Antoine Izambard,Smriti Singh
Moments de vie autour de l'eau au bidonville Jamia Millia
Un fleuve a donné son nom à l’Inde, l’Indus, l’une des sept rivières sacrées de l’hindouisme. Tout un symbole dans un pays où chaque année, la mousson vient recharger les sources, gonfler les fleuves et irriguer les champs. Il est désormais mis à mal : dans un rapport publié en 2009, le Water resources group estimait déjà que si rien n’est fait, l’Inde ne pourra subvenir qu’à la moitié de ses besoins en eau en 2030.
Si le pays compte 16% de la population mondiale, plus de 1,2 milliard d’habitants, il ne possède que 4% des ressources en eau de la planète. Pour faire face à une demande en pleine expansion, il surexploite ses rivières et ses eaux souterraines, faisant dangereusement baisser le niveau des nappes phréatiques.
L'économie dépend de la mousson
« L'Inde commence et se termine dans les villages », proclamait Gandhi. Avec 70% de ruraux, la maxime est toujours d’actualité. L’économie indienne dépend de la mousson. L’agriculture, qui représente 17% du PIB, consomme 82% des ressources en eau disponibles.
En toile de fond, un bras de fer se profile entre la demande des secteurs les plus porteurs de la croissance et celle de l’économie rurale : d’ici 2025, les besoins en eau de l’industrie devraient doubler. Le ralentissement de la croissance, tombée à 5.4% en 2012, témoigne de cette tension : le secteur moderne piaffe d’impatience devant la lenteur des arbitrages qui lui permettraient de libérer son potentiel.
La crise de l’eau est aussi politique. Selon la Constitution indienne, l’eau est essentiellement une compétence des Etats fédérés. Son partage suscite des conflits multiples.
Un danger pour la démocratie
En mai 2012, lors du Sommet mondial des industries de l’eau, à Rome, Mihir Shah, représentant du Plan indien soulignait la portée de ce défi. « Si ce problème n’est pas traité, la croissance de l’Inde déraillera complètement. Nous connaîtrons des conflits autour de l’eau entre usagers, entre régions… Ces conflits seront une menace pour la démocratie elle-même. »
Dans le douzième plan quinquennal pour 2012-2017, rendu public en mars 2013, le gouvernement fédéral insiste sur l’urgence d’un changement de paradigme: passer du modèle dispendieux, devenu inefficace, de grands travaux de répartition à celui de la gestion scientifique et économe d’une ressource rare. Les enjeux de la pauvreté, de l’éducation et de la santé publique en dépendent.
Geoffrey Livolsi, Jessica Trochet
La distribution erratique de l'eau conduit la capitale à recourir à la sous-traitance.
Des enfants, bouteille vide à la main,qui traquent les gouttes qui s’échappent des camions-citernes. Des femmes, qui travaillent à l’extension du métro de la ville sous un soleil de plomb, qui se désaltèrent avec l’eau sale d’un robinet d’arrosage. Des hommes qui s’arrêtent pour avaler une citronnade au stand ombragé d’un vendeur à la sauvette. Quand il fait quarante-six degrés dans les rues de la capitale indienne, comme c’est le cas en mai, l’enjeu pour les 16,5 millions d’habitants est simple : trouver suffisamment d’eau pour les besoins minimaux de la vie quotidienne. Et si dans les quartiers plus aisés, les problèmes sont moindres, les coupures d’eau restent fréquentes.
C’est pour remédier à ces situations que le Delhi Jal Board (DJB, avec Jal, pour « eau » en hindi), l’organisme du gouvernement de Delhi qui gère la distribution de l’eau dans la capitale indienne, a décidé de signer des partenariats public-privé. Suez environnement et Veolia, deux entreprises françaises, doivent fournir d’ici deux ans de l’eau 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 à deux quartiers pilotes. « Suez n’est jamais venu nous voir. » Cet employé d’une association de Malviya Nagar, où résident 400 000 habitants, est catégorique. Les habitants du district ne savent pas qu’une French company, Suez environnement, est désormais responsable de la distribution de l’eau, alors que les travaux ont commencé depuis deux mois. Dans ce quartier pour classes moyennes, l’eau, souvent souillée, coule dans les canalisations deux heures le matin et l’après-midi. Les habitants la stockent ensuite dans des réservoirs. La multinationale, présente en Inde depuis 2010, va dans un premier temps rénover les canalisations, relier chaque maison au réseau et installer des compteurs d’eau individuels.
La crainte d'une hausse des prix
Le scénario est analogue dans le quartier de Nangloi,dans le nord-est de la ville, où résident 1,5 million d'habitants. Ni le responsable d’une association d’habitants, ni le dentiste local n'ont entendu parler de l'arrivée prochaine d'une multinationale concurrente, Veolia, pour rénover et agrandir le réseau de distribution de l'eau. Ces deux projets pilotes ont été signés pour respectivement 12 et 15 ans. Les syndicats du DJB comme les citoyens craignent que ces partenariats n'aboutissent à une privatisation de la distribution de l'eau. Ils s'appuient sur la Constitution du pays, qui définit un droit à la vie, dont l'eau fait partie. « La privatisation de l’eau va se faire, ce n’est qu’une question de temps », assure Lalit Goswani, président du Delhi Jamal, un des syndicats d’employés du DJB. « Cette privatisation pose trois problèmes, l’augmentation des prix, la corruption et la menace pour la sécurité nationale. Ces entreprises ne seront pas capables de protéger l’eau contre une contamination chimique terroriste venant de Chine ou du Pakistan.» «Foutaises», s'exclame Patrick Rousseau, dirigeant de Veolia Inde.
Le gouvernement indien a libéralisé la gestion de l'eau dans le pays en 2002, sur demande du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, en contrepartie d'une aide financière. L’arrivée d'entreprises privées dans ce secteur de la distribution de l’eau est une première. Pour la majorité des citoyens, qui ont en mémoire la libéralisation de l’électricité il y a dix ans et l’augmentation des prix qui a suivi, cette délégation de service public signifie forcément à terme une augmentation de la facture.
D'après les estimations, une arme est posée ou enfermée quelque part dans un foyer sur deux. En Suisse, tout le monde a déjà touché une arme, ou presque. Rencontre.
« Avoir une arme à moi en plus ne m'a pas gêné »
Jérôme Sonney, 23 ans, représentant commercial (Pauline Hofmann/Cuej)
Le fusil d'assaut est calé dans un coin de la chambre d'amis chez Jérôme Sonney. « Avant d'aller à l'armée, j'avais déjà l'habitude d'avoir des armes à la maison. D'avoir une arme à moi en plus ne m'a pas gêné », explique le jeune garçon au visage encore un peu enfantin. Généralement, il garde son SIG-550 chez ses parents, qui possèdent un coffre-fort dédié aux armes. L'allure soignée, son fusil dans les mains, il est catégorique : il ne rachètera pas son fusil à l'armée à la fin de son service. Et pour cause, il a déjà accès à d'autres armes et ne voit pas l'intérêt d'en acquérir une supplémentaire.
Peu de recul
Son père possède une quinzaine de pistolets de collection, encore en état de marche. Jérôme, fils de passionné, s'initie au tir à l'âge de 14 ans en commençant par le pistolet à air comprimé. Jusqu'à l'âge adulte, il pratique régulièrement le tir à balles réelles. Il admet, l'air un peu désolé, avoir au jour le jour peu de recul sur la dangerosité de ces armes. Plus jeune, il emportait plusieurs armes dans le coffre de sa voiture jusqu'au stand de tir sans états d'âme. Aujourd'hui, transporter un fusil d'assaut d'un mètre de long de chez ses parents à son appartement ne le fait pas bien plus ciller.
« La sensation de tenir pour la première un pistolet dans les mains est très étrange. Ce n'est pas exactement une sensation de puissance, mais savoir que l'on tient dans les mains un objet qui peut tuer est assez indescriptible », tente-t-il d'expliquer, concentré sur les mots qu'il choisit.
Comme l'armée le prévoit, Jérôme n'a pas de munitions pour son fusil chez lui. « Mais il est très facile d'en trouver, si on en veut vraiment. » Un peu trop facile, selon lui.
Depuis 2010, les jeunes recrues passent un entretien psychologique (en allemand, ici pour une version française moins complète) au début de leur formation. Une nouveauté et une conséquence directe d'un drame. En 2007, un soldat avait abattu une jeune femme de 17 ans, en pleine rue. Jérôme, lui, voudrait que l'armée suisse évalue mieux les profils psychologiques de ses soldats à qui elle confie une arme, au-delà d'un simple entretien.