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A Pune, selon que l'on habite au centre ville ou sur les collines, dans les quartiers pauvres ou dans le camp militaire, personne n'est égal devant la sécheresse. Mais la végétation luxuriante du quartier privé de Magarpatta city, qui accueille une cinquantaine d'entreprises high-tech, tranche plus qu'ailleurs. Dans le parc verdoyant de 14 hectares, au coeur de cette communauté fermée, des lycéennes révisent leurs examens. Plus loin, des hommes profitent d’une sieste à l’ombre, sans se formaliser des chants patriotiques diffusés par les hauts parleurs. Les fermiers devenus promoteurs immobiliers Au début des années 1980, près de 150 familles de fermiers s'unissent pour devancer l’expansion urbaine menaçante de Pune. Elles rassemblent leurs parcelles pour former l’actif d’une société foncière et immobilière, la Magarpatta Township Development and Construction Company ltd, et montent un projet ambitieux : construire un quartier d'affaires ultra-moderne pour y attirer le fleuron de l'économie indienne et internationale. La société négocie avec l'État du Maharashtra pour disposer d'une zone économique spéciale (ZES), un statut fiscal exemptant les entreprises de taxes et des restrictions d'eau qui touchent les autres quartiers. Premières visées, les sociétés de sous-traitance spécialisées dans l'informatique et les centres d'appels, travaillant avec des partenaires occidentaux qui exigent le zéro faute, à commencer par un apport fiable et continu en eau et en électricité. Satish Magar, à la tête de l'opération, s'oriente vers des bâtiments passifs et des infrastructures à haute efficacité environnementale. Les eaux usées sont intégralement retraitées pour être utilisées dans l'irrigation. En cas de rupture d'approvisionnement en eau potable, un mini centre d'épuration permet de nettoyer l'eau de la nappe phréatique, pompée dans l'un des huit puits du quartier. Outre les tours verre et acier de la cybercité, 8 000 résidences ont été construites pour accueillir, entre autres, ses salariés. Tout a été conçu pour satisfaire leurs besoins à proximité : école, épiceries, équipements sportifs... Calme et sécurité « L’avantage de la vie à Magarpatta, c’est qu’elle supprime les problèmes basiques, comme devoir se lever tôt pour faire des provisions d’eau. Mais ce que l'on recherche en venant habiter ici, ce n'est pas tant les services que le calme et la sécurité », assure Jash, un ingénieur de 29 ans venu s'installer à Magarpatta city en octobre. Hormis les aller-retours quotidiens qui le mènent à son travail, il ne quitte presque plus le quartier. « J’ai déjà passé deux-trois mois sans voir une seule fois la ville, je ne supporte plus '' l’extérieur '' : le trafic, la pollution, le désordre. » Près de 40 000 personnes habitent désormais ce ghetto vert. Des employés des 48 entreprises du site, des étudiants, des femmes célibataires et des militaires retraités. A Bangalore, la « silicon valley » du high-tech indien, l’outsourcing informatique montre des signes de ralentissement, avec la relocalisation dans les pays occidentaux de certaines activités. Pas de quoi faire sourciller Manik Sharma, le vice président de la société qui administre le quartier : « Toutes les entreprises sont locataires. Si un secteur ralentit ou s’écroule, d’autres prendront le relais ».
Lorraine Kihl Thibault Prévost
Dans le district de Beed, 300 familles vivent dans ce camp de regroupement de bétail de Warwati, l'un des 75 subventionnés par l'Etat. La priorité est de sauver les bêtes, principal outil de travail et première source de revenus.
© Baptiste Cogitore/Cuej
172 millions d'euros de fonds spéciaux débloqués par l'Etat du Maharashtra.
11 801 villages officiellement déclarés en état de sécheresse en mars 2013.
100 000 têtes de bétail, pour le seul district de Beed, regroupées dans 75 camps subventionnés.
2280 camions citernes fournissent de l’eau potable gratuite aux territoires affectés.
Seuls ou en famille, ils ont quitté leurs terres asséchées. Depuis janvier, 400 000 personnes seraient arrivées à Pune, deuxième ville du Maharashtra.
Les bus colorés défilent dans un vacarme assourdissant, saccadé par les coups de sifflets des contrôleurs. ll est 17h au terminal de Shivajinagar, gare routière de Pune où débarquent les voyageurs en provenance du Marathwada, région dévastée par la sécheresse qui frappe le Maharashtra.
Une main d’œuvre à prix imbattable
« Ils sont de plus en plus nombreux », assure Ranesh D. Sawant, responsable de la station de bus de Swargate. Il voit régulièrement arriver des familles originaires d’Aurangabad, Beed, Jalna, Latur, Nanded, Parbhani, Usmanabad, districts touchés par le manque d’eau. « La sécheresse actuelle est plus dure que celle de 1972, assure l’avocat Bastu Rege, responsable de Santulan, une organisation de travailleurs sociaux qui aide les migrants en difficulté. La vague des migrants récents vient s’ajouter aux migrants d’alors, toujours entassés dans les taudis depuis 40 ans. Il n’y a plus de place pour les accueillir. » Il estime à près de 400 000 ceux qui sont arrivés à Pune cette année. Un chiffre impossible à vérifier car les migrants ne sont pas enregistrés par la municipalité.
Sans structure d’accueil, les plus nombreux vivent dans la rue. Les chanceux deviennent domestiques ou journaliers dans la construction, affectés aux chantiers de peinture, de drainage, de charpenterie. Pour trouver ces emplois, ils se massent tous les matins à l’aube sur les « marchés au travail » où les camions d’entreprise viennent ramasser une main d’œuvre à un prix imbattable.
Le pont de Dandekar est l’un de ces points d’embauche. Rahul Sonawane, président local du Bhartiya Majdur Sangha, un des plus grands syndicats indiens, affirme qu’ils sont entre 400 et 500 à s’y rassembler chaque matin, soit 100 à 200 de plus qu’en temps normal. « Mais avec la mousson qui arrive, de plus en plus restent sur le carreau car on entre dans la période creuse pour le travail », explique-t-il.
En plus de son rôle de médiateur entre travailleurs et employeurs, Rahul Sonawane gère ici un abri qui accueille entre 40 et 50 migrants par nuit. Deux murs coiffés d’une tôle. Ce soir, à 21h30, ils sont une dizaine, venus de Jalna, Satara et Solapur, à partager un canapé éventré et deux chaises posés sur la dalle de béton qui leur servira tout à l’heure de sommier. A la lueur d’une ampoule, ils évoquent ces deux hommes arrivés la veille, à moitié morts de soif après trois jours de voyage et émerveillés par l’abondance en eau de la ville. Demain matin, comme tous les jours, ils chercheront à se faire embaucher à quelques mètres d’ici. Seule la moitié d’entre eux auront la chance de recevoir un salaire pour la journée. Les autres se débrouilleront pour vendre des ballons, louer leurs bras à la pièce, ou devront se résoudre à ne pas manger.
Lisa Agostini, Jessica Trochet