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Alors qu'elle manque à des millions d'Indiens, la ressource liquide offre des moments de détente aux plus aisés.
D’un côté, des files d’attente qui s’allongent près des pompes à eau. De l’autre, des parcs aquatiques dont le succès ne se dément pas. D’un côté, des habitants des quartiers pauvres qui viennent s’approvisionner pour assurer leurs besoins vitaux en eau. De l’autre, une poignée de privilegiés, des familles aisées et leurs enfants, qui barbottent, sautent, plongent et s'éclatent. Ce contraste, alors que les températures a Dehli sont à leur maximun, est saisissant.
Il existe sept parcs aquatiques autour de Delhi. Ils recoivent chacun entre 200 et 1500 visiteurs par jour et consomment quotidiennement environ 100 millions de litres d’eau, soit les besoins journaliers de 350 000 personnes, selon des chiffres fournis par le gouvernement. Ce luxe a un prix. L’entrée du Jurassic Park Inn revient à 750 roupies par personne, quand le salaire moyen à Delhi tourne autour de 16 000 roupies par mois.
L'eau n'est pas recyclee
Cette situation choque d’autant plus certaines ONG en guerre contre le « gaspillage » des parcs aquatiques qu’elles soupconnent certains d’entre eux de ne pas recycler l’eau qu’ils consomment. Un gaspillage qui les scandalise alors que le niveau des nappes phréatiques demeure très bas.
Nombreux sont ceux qui dénoncent ce privilège dangereux. Selon l’association des chambres de commerce et d’industrie,
A Jamia Nagar, le quartier musulman du sud est de Delhi, les véhicules rudimentaires défilent dans les ruelles. Des triporteurs convoient sans cesse des dizaines de vieux bidons d’eau. Vingt litres chacun, vendus aux habitants de ce quartier pauvre aussi bien pour s’hydrater que pour des usages domestiques. Jamia Nagar, colonie non autorisée, n’est pas approvisionnée par le Daily Jal Board. Seule une quinzaine de personnes, à la tête de petits commerces illégaux, fournit le quartier en eau. Dans un pays où l’économie informelle représente 84 % du PIB, l’approvisionnement en eau relève de la débrouille. La population s’en s’accommode, car elle peut en acheter à des prix défiant toute concurrence, à partir de 15 roupies pour 20 litres.
Mohammed Reyas est l’un des fournisseurs d’eau de Jamia Nagar. A la tête d’une affaire située au coeur du quartier musulman et dans laquelle six personnes travaillent, cet homme d’une quarantaine d’années aux cheveux grisonnants a investi 300 000 roupies en 2008 dans un système de pompage et de filtrage de l’eau.
Aucun contrôle
La méthode est la suivante : l’eau est pompée dans le sol à douze mètres de profondeur avant de passer dans trois systèmes de filtration censés la purifier totalement. Mohammed Reyas produit ainsi jusqu’à 1 000 litres d’eau par heure, et la vend immédiatement aux habitants du quartier. L’activité est illégale, car une autorisation du gouvernement est nécessaire pour pouvoir puiser l’eau dans les sols de la ville. Et quid de sa qualité ? L’eau extraite des nappes phréatiques n’est soumise à aucun contrôle, alors que les sous-sols de Delhi sont extrêmement pollués. « Elle est potable et même meilleure en goût que les bouteilles vendues par les entreprises », assure Mohammed, le revendeur, qui gagne 30 000 roupies par mois, de quoi nourrir aisément sa famille. Le discours est différent parmi les consommateurs de cette eau souterraine. « J’achète mon eau dans le quartier parce que je n’ai pas le choix, mais elle a souvent un goût de terre », affirme Mahlia, une habitante de Jamia Nagar. Une partie des propriétaires de puits de Jamia Nagar écoulent leur production à des petits revendeurs.
Le quartier musulman du sud-est de Delhi n'est pas approvisionné en eau. Les habitants en achètent aux petits revendeurs locaux sans savoir si elle est potable.
jour où ils disposent d’une électricité largement subventionnée pour pomper le maximum d’eau depuis le point le plus proche - rivière, canal ou nappe phréatique -, et la déverser dans les champs. Cette technique, très gourmande en or bleu, occasionne jusqu’à 50 % de perte par infiltration, ruissellement et évaporation. L'irrigation au goutte-à-goutte, bien plus économe, fait pourtant l’objet d’une large publicité. Mais elle requiert des investissements conséquents. Le Maharashtra propose bien des subventions partielles, mais elles ne sont versées qu’une fois le goutte-à- goutte installé. Pour s'équiper, les paysans des coopératives doivent donc emprunter en gageant leur terre. Beaucoup d’entre eux ne peuvent se le permettre.
Depuis le milieu des années 2000, le secteur coopératif est entré dans une crise profonde, dont la sécheresse actuelle n’est que l’un des révélateurs. Productivité défaillante, sureffectifs, mauvaise gestion voire corruption, les petits producteurs trinquent en première ligne.
La canne à sucre emploie 10% de la population du Maharashtra. Photo: Emilie Jéhanno/Cuej
Révolte des paysans
Chaque année, le prix de la tonne de canne fait l’objet d'âpres négociations. Le Maharashtra, actionnaire minoritaire, contrôle encore les prix du sucre raffiné via des quotas. Les tractations tournent parfois à la révolte comme en novembre 2012, dans l’ouest, où deux paysans ont trouvé la mort lors d’affrontements avec la police. Les manifestants réclamaient 4 500 roupies par tonne de canne, quand l’Etat ne garantissait qu’un prix plancher de 2 150 roupies.
Loin du prix de marché pour Vinay Hardikan, membre du Sankh Shetkary Sanghatana, une organisation libérale de défense des paysans : « A cause de l’encadrement du prix du sucre et de leur mauvaise gestion, beaucoup de coopératives font face à d’importants déficits. Pour regagner des marges elles font pression sur le prix d’achat de la canne. Certains de nos adhérents vendent leur production à perte depuis plusieurs années. » Les exploitants-actionnaires doivent aussi régulièrement faire face à des arriérés de paiement. Un procédé très pénalisant quand l’inflation avoisine les 10 % : « Cette année, confirme Santosh Bobade, nous devrons attendre plusieurs mois avant de recevoir la totalité du solde. » Pour lui, le salut pourrait venir de l’industrie privée, même s'il s'en méfie.
Les anciennes coopératives rachetées
Construite en 2009, la rutilante Daund Sugar Ltd, entreprise privée, a affiché un bénéfice de près de 20 % en 2012, quand la coopérative voisine s'est endettée à hauteur de 40 millions de roupies. Pour attirer les déçus du système coopératif, son propriétaire, Veerdharal Jagdale-Patil, ancien maire de Daund et ancien membre du parlement du Maharashtra fournit gratuitement les semences, finance engrais et pesticides ainsi que l’installation de la micro-irrigation.
Libérées des pesanteurs bureaucratiques, moins contraintes en matière de prix, les usines privées gagnent du terrain. Autorisées seulement depuis 1998 dans le Maharashtra, elles n’étaient que 13 en 2001. Elles sont 66 en 2013. Un tiers d’entre elles sont d’anciennes coopératives, rachetées après avoir fait faillite. La gestion rationnelle de l'eau est peut-être à ce prix.
Texte et video de Vincent di Grande et Emilie Jéhanno
Le privé, un sacrifice
Pour les autres soins, femmes et enfants se rendent le plus souvent dans les dispensaires ou les hôpitaux publics où les soins sont gratuits, voire chez des médecins privés. Dans les dispensaires, les maladies liées à l’eau les plus fréquemment constatées par les médecins sont les gastro-entérites, la diarrhée, les vomissements, infections par des vers et la typhoïde.
Aude Malaret Smriti Singh
Sans accès aux médicaments les plus efficaces, les populations les plus pauvres sont les premières victimes des infections dues aux eaux souillées.
De l’eau à domicile, certes, mais impure la plupart du temps. Saletés, mauvaises odeurs, et même parfois vers arrivent au robinet. Utilisée pour boire, faire la cuisine, la lessive et se laver, l’eau transmet des maladies, notamment diarrhées et infections, dont femmes et enfants sont les premières victimes.
En Inde, la diarrhée est responsable de 12 % des décès d’enfants, une maladie qui affecte principalement les petits de moins de cinq ans, avec une mortalité plus importante avant deux ans. L’un des principaux agents de la diarrhée, le rotavirus, cause chaque année l’hospitalisation de 884 000 enfants en Inde (un coût pour le pays estimé à 3,4 milliards de roupies -55 millions d’euros-). Et près de 100 000 d’entre eux en meurent.
Selon le Plan d’action mondial intégré pour prévenir et combattre la pneumonie et la diarrhée, les deux principales causes de la mortalité, la population indienne est la plus touchée au monde avec 386 000 décès par an attribués à la diarrhée, devant le Nigeria (151 000), la République Démocratique du Congo (90 000), l’Afghanistan (82 000) et l’Ethiopie (73 000).
L’insalubrité de l’eau, un assainissement insuffisant et un manque d’hygiène sont les principaux facteurs de ces infections. Dans de nombreux bidonvilles, les eaux usées sont évacuées par des canaux à ciel ouvert. Un quart des habitantsde ceux de Delhi n’ont pas accès aux installations sanitaires, les besoins étant faits en plein air. Les femmes et les jeunes filles souffrent particulièrement de cette situation. Pendant leurs règles, elles mettent de côté de petites quantités d’eau dans des pots souvent sales, pour se nettoyer.
Depuis 2005, le ministère fédéral de la santé et du bien être de la famille indien a mis en place les ASHA (Accredited Social Health Activist) laissant aux Gram Panchayat (administrations villageoises) le soin de créer et nommer ces travailleurs sociaux. Ce sont majoritairement des femmes, issues de la communauté où elles interviennent. Ces ASHA ont un rôle de conseil, de prévention auprès des femmes, notamment pour les encourager à se rendre à l’hôpital afin de bénéficier d’examens prénataux et d’un accouchement dans de bonnes conditions sanitaires.