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Au fond de son restaurant, Nassim Al-Laham gère ses affaires. Il n’avait que 3 ans en 1967, lorsqu’il s’est installé avec sa famille dans le camp de réfugiés de Jabal Al-Hussein. « La Jordanie est comme l’étreinte chaleureuse d’une mère sur ses enfants », poétise-t-il pour décrire la proximité entre Jordaniens et Palestiniens. Un Coran trône sur son bureau, signe de sa dévotion à Dieu et à la Palestine. « Je n’oublierai pas ma terre et ma patrie, le paradis de Dieu sur Terre. » Si Nassim, avec sa barbe passée à la tondeuse et son polo à manches courtes, n’a pas l’allure d’un prêcheur radical, il porte un discours guerrier à l’égard d’Israël. Son opinion est pétrie d’imprécations religieuses et d’indignations géopolitiques. « Le monde entier combat notre peuple, avec des armes américaines et britanniques. Imaginez qu’une bombe de deux tonnes soit larguée sur Paris ! » dit-il pour ­comparer les massacres en cours à Gaza. Et le même d’ajouter pour qualifier ses ennemis : « Americans, killers ! British, killers ! French, killers ! »

Une nuit pour jouer les héros. En avril, le Action man hachémite à la tête du pays le plus stable du Moyen-Orient s’est trouvé une mission à sa hauteur : intercepter les missiles iraniens élancés pour toucher Israël. Succès. Après ses courtes minutes de figuration dans Star Trek, le roi sans divertissement a flirté avec le premier rôle sur la scène internationale  — prétendant protéger son peuple, qui n’en demandait pas tant.

Pour une partie des Jordaniens, souvent réfugiés ou descendants de réfugiés palestiniens, les missiles et drones auraient mieux fait de finir leur course dans l’État hébreu, engagé dans une sanglante campagne militaire depuis l’attaque terroriste du 7 octobre. Du premier appel à la prière au dernier bruit de klaxon, les rues de la capitale bourdonnent de slogans conspuant l’ennemi. Et s’il tente de s’attabler au restaurant, le menu pourrait bien lui rappeler : « Les Israéliens ne sont pas les bienvenus. »

Abdallah II ne serait donc pas le héros qu’il pense être ? Dans les bruyantes manifestations quasi quotidiennes à Amman, l’icône, c’est plutôt le Hamas. Et tant pis pour les chuchotis plus modérés. Alors quand le roi retient les bombes, ses sujets jettent les pierres qu’ils trouvent. Ils boycottent. Ils se rassemblent  — et plus seulement à genoux dans les mosquées. À l’ombre des banderoles, les femmes jamais bien loin tentent aussi de ne pas faire oublier leurs propres combats.

Dans ce royaume arabe qui n’a jamais connu de Printemps, ça gronde. Mais ça tient encore et toujours. Lorsque le roi n’est pas en Harley sur les routes américaines, l’oncle Sam reste au chevet financier de son joujou du Levant. Peut-être n’y a-t-il pas d’autres solutions ? Depuis sa création, la Jordanie sert de tampon à une région suffocante de guerres jamais finies, d’air toujours plus chaud aussi. Les hommes, ici, sont assujettis au roi Soleil. Aux deux degrés de réchauffement climatique sans cesse repoussés à cinq. Puis, surtout, à leurs robinets vides et à la mer toujours plus morte. Sans doute alors, le véritable sauveur n’est pas un soldat. Mais une molécule : H2O.

Julie Lescarmontier

Un ensemble de réflexes acquis avec le temps qu’il faut appliquer sans relâche et toujours réinventer. « Avant je ne calculais pas autant et je pouvais même laver mes tapis », se souvient Nassem Al-Bitar. Une efficacité telle qu’elle partage même ses maigres réserves lorsque ses voisins sont dans le besoin.

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La famille de Hossam Al-Afghani a ouvert son premier magasin en 1870 en Palestine. © Jade Lacroix

« C’est fatigant de devoir toujours calculer ce que je consomme », se désole-t-elle. C’est avec une énergie débordante qu’elle enchaîne les tâches domestiques. Sa priorité est de lancer sa machine à laver, la seule de la semaine. Place ensuite au nettoyage de toute la maison, à l’exception du sol. « Je n’aime pas les tapis, mais comme je ne peux pas me permettre d’utiliser de l’eau pour nettoyer le carrelage, on en a mis partout. »

Hossam Al-Afghani, 48 ans, commerçant et descendant de Palestinien : « Le passé, c’est le passé »

Le gouvernement ouvre les vannes et pendant quelques heures, les habitants sont réapprovisionnés, pour le plus grand soulagement de Nassem Al-Bitar, une mère au foyer de 53 ans avec six enfants. Et quand on vit à huit avec 3 m³ d’eau par semaine – contre en moyenne 1 m³ par personne en France – pas de place au gaspillage.

Derrière le comptoir de sa boutique d’artisanat, Hossam Al-Afghani décroche une gravure. Les différents clichés retracent l’implantation des échoppes familiales sur plusieurs décennies. Du premier magasin à Jaffa (ville maintenant rattachée à Tel Aviv) en 1870 à la fuite en Jordanie en 1948 lors de la création d’Israël, la famille du commerçant a toujours vécu au rythme du conflit israélo-palestinien. Pourtant, celui qui a le « business dans le sang » relativise : « Le passé, c’est le passé, et de toute façon, je ne peux pas résoudre ce conflit. » À la tête d’un des huit magasins familiaux en Jordanie, il dit faire partie d’une génération qui « veut construire quelque chose de nouveau » en se distanciant de ses origines. « À la différence des autres qui se présentent d’abord comme Palestiniens, je ne veux pas me résumer à ça. » Hossam Al-Afghani est heureux dans son pays natal, et ne veut pas retourner dans une Palestine libérée et mythifiée où il devrait « tout recommencer à zéro ». Mais il n’est pas totalement indifférent à la guerre qui touche ses « frères » à Gaza. « J’ai l’impression de vivre moi aussi l’injustice qui les frappe. »

Jade Lacroix

La piscine d'un hôtel cinq étoiles, complètement déserté, à Aqaba. © Laura König

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Construit il y a cinq ans, l'Oasis Resort Ayla est un luxueux complexe aux airs de cité artificielle. © Laura König

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