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Un boom du made in Jordan

Des appels incitant les entreprises jordaniennes à recruter les salariés des enseignes interdites ont aussi été lancés. Mais tout le monde n’a pas l’opportunité de changer d’employeur. Certains salariés sont face à un conflit intérieur, entre gagner leur vie et défendre leurs convictions. « C’est compliqué de travailler ici mais je ne peux pas démissionner, témoigne un manager d’une enseigne française boycottée qui souhaite préserver son anonymat. C’est une sensation très inconfortable, les gens parlent dans mon dos. Dans mon magasin, on a réduit le nombre d’employés. J’aimerais bien partir, mais en Jordanie, c’est très difficile de trouver un job. »

Parmi les sept archéologues franco-belges en mission de fouilles autour du temple Qasr al-Bint de Pétra, construit par les Nabatéens au Ier siècle, on préfère ne pas s’épancher sur l’épisode. « À quoi bon ? se lamente Thibaud Fournet, rattaché au CNRS. Le PAP ne comprend pas ce qui vient de disparaître. Pour eux, seul compte le nombre de visiteurs et ce qu’ils rapportent. L’antiquité est leur planche à billets mais nos fouilles les ennuient : c’est de la terre remuée et des sites excavés à entretenir en plus. »

Assis sur un tronçon de colonne antique sorti de terre la veille, il pointe du doigt le temple qui couvre de son ombre les « sondages » – les trous de fouilles. « Ça fait cinq ans qu’on prévient le PAP que le mur est en train de s’effondrer. » Comme si elle l’entendait, une corniche le nargue, penchée dans le vide. En Jordanie, l’histoire est partout. « Chaque période de l’humanité a laissé sa trace, depuis la préhistoire », s’enorgueillit le Département des Antiquités (DoA), qui accorde chaque permis de fouilles dans le pays.

Devant la Grande mosquée Husseini au centre d’Amman, des centaines de croyants prient. Sur le béton, à côté de leurs genoux, des pancartes « Rafah : arrêtez la guerre ». À la fin de l’office du vendredi 17 mai, l’imam adresse une prière pour les morts de Gaza. Le camion avec la tribune est prêt, les enceintes sont déjà en place. À peine la prière terminée, la manifestation s’élance : « Dieu est grand ; Remercions Dieu pour le Hamas ; Remercions-le qu’il se batte contre Israël. » Dans le cortège, les signes de la branche palestinienne des Frères musulmans sont visibles partout aux côtés du drapeau palestinien : bandeaux verts, drapeaux du Hamas, casquettes avec l’inscription « Déluge d’Al-Aqsa », le nom de l’attaque du 7 octobre 2023.

Les orateurs se relaient, tous proches du Front d’action islamique (FAI), parti jordanien des Frères musulmans. Sur fond de références religieuses, ils affirment aussi leur soutien aux chefs du Hamas. Ils demandent l’annulation du traité de paix israélo-jordanien de 1994 qui établit des relations diplomatiques et commerciales entre les deux pays. Les manifestants sont plus frileux pour critiquer le pouvoir jordanien. Tous les slogans sont soit dirigés contre les États-Unis et Israël, soit louent le Hamas. Le mouvement palestinien a eu pendant des années son siège en Jordanie. Son dirigeant y a été la cible d’une tentative d’assassinat israélienne en 1997. En 1999 son bureau d’Amman est fermé par le pouvoir et ses dirigeants sont exclus du pays.

Les restaurants se vident. Alors les cuisines aussi. Début 2024, Starbucks a annoncé la suppression de 2 000 emplois dans tout le Moyen Orient. Dans le centre-ville d’Amman, une enseigne a définitivement fermé. Une conséquence risquée pour un pays qui compte plus de 20 % de chômeurs. Les Jordanien.nes ne se tireraient-ils pas une balle dans le pied ? Pourtant, la résurgence du mouvement « n’a pas conduit à une augmentation du taux de chômage, observe Hussam Ayesh, économiste. Il a baissé de 0,9 % au quatrième trimestre par rapport au troisième trimestre de 2023. » Des appels incitant les entreprises jordaniennes à recruter les salariés des enseignes interdites ont aussi été lancés. Mais tout le monde n’a pas l’opportunité de changer d’employeur. Certains salariés sont face à un conflit intérieur, entre gagner leur vie et défendre leurs convictions. « C’est compliqué de travailler ici mais je ne peux pas démissionner, témoigne un manager d’une enseigne française boycottée qui souhaite préserver son anonymat. C’est une sensation très inconfortable, les gens parlent dans mon dos. Dans mon magasin, on a réduit le nombre d’employés. J’aimerais bien partir, mais en Jordanie, c’est très difficile de trouver un job. »

Deux, trois habitués dans la salle

Dans toutes les bouches, un nom surgit comme exemple absolu : Bassem Youssef, humoriste égyptien. Dix jours après l’attaque du Hamas et le retour de la guerre, ce spécialiste de l’humour noir était l’invité de l’animateur Piers Morgan, dans son émission conservatrice. Pendant plus d’une heure, le comédien a « piégé » le Britannique en ironisant sur l’horreur. « Ma femme [palestinienne] va bien, elle vient de m’envoyer cette photo de la maison. C’est magnifique ! » a-t-il lâché en direct, montrant la photo d’une habitation détruite par les bombardements israéliens. Pas loupé, l’extrait cumule plus de 22 millions de vues sur YouTube. Retentissement sans appel. Pour Simon Dubois, chercheur spécialisé dans le théâtre à l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo), « l’humour a quelque chose de cathartique en temps de bouleversements ». Rien de nouveau, « dans la vague des printemps arabes, il y a eu énormément de productions humoristiques. Plein de personnages comme Bassem Youssef sont apparus. Même en Irak, au pire moment de la violence », développe-t-il.

La recette est gagnante. Elle devient en 2018 la première femme arabe à remporter une médaille d’or aux Jeux asiatiques dans la catégorie des moins de 67 kg. Avec cette victoire historique, Julyana Al-Sadeq, toujours vêtue de son hijab, se hisse au rang de modèle pour toute une génération de femmes arabes et musulmanes.

« Je reçois tellement de messages de leur part. Je suis très fière de ce rôle d’autant plus si j’arrive à inspirer d’autres femmes », confie-t-elle timidement. Cette consécration lui permet d’être porte-drapeau de la Jordanie aux Jeux olympiques 2021 à Tokyo, desquels elle reviendra bredouille.

Faire abstraction des remarques

Symbole dans tout le monde arabe, elle est loin de faire l'unanimité dans son propre pays. La jeune femme est encore la cible de nombreuses critiques venant principalement des hommes. « La majorité des Jordaniens ont des propos très conservateurs sur les femmes taekwondoïstes car ils estiment que ce n’est pas fait pour elles », regrette-t-elle. « Beaucoup jugent que je n’ai pas le physique pour faire du taekwondo. Comme c’est un sport de combat, ils s’attendent à ce que je sois ultra musclée, c’est inimaginable que je sois une fille. »

Très soutenue par sa famille, Julyana Al-Sadeq a appris à faire abstraction de ces remarques. Elle se concentre désormais sur son prochain objectif, les Jeux olympiques 2024, où sa principale rivale sera la Française Magda Wiet-Hénin. « C’est ma dernière chance », s’exclame-t-elle. La taekwondoïste mettra fin à sa carrière à son retour de Paris mais ne manque pas de projets. Elle espère fonder une famille et ouvrir sa propre académie de taekwondo avec son père et son frère : « Je vais prêter une grande attention aux petites filles qui rêvent de devenir championnes. »

Océane Caillat

Pour les consommateurs, le mal était fait. Ce midi-là, plus de sept mois après, le restaurant est toujours vide. Sur la trentaine de tables extérieures, seule une est occupée par deux sœurs venues d’Arabie Saoudite, pays où le mouvement est moins suivi. Ailleurs à Amman, les autres franchises visitées en mai dans le cadre de ce reportage étaient tout autant dépeuplées. Et une très forte pression sociale s’exerce sur celles et ceux qui dérogent à la règle. Certes, quelques consommateurs persistent à déguster un BigMac. Mais ils préfèrent commander et manger depuis leur voiture ou opter pour la livraison à domicile. « Les Jordaniens sont ceux qui pratiquent le plus le boycott dans le Moyen-Orient, s’enflamme Hamza Khader. Chacun gère avec sa conscience. Si certains se cachent, c’est bien qu’ils sentent qu’il y a un problème. »

Un discours encore inaudible pour une partie du royaume hachémite. Manal al Ali, 44 ans, est d’origine palestinienne, comme beaucoup ici. Amatrice de stand up, elle avait pris des places pour la première date et a choisi de se faire rembourser. « Depuis la guerre, trop de choses ont changé. Par respect pour mes proches, je ne peux pas sortir. Je pense qu’on a mieux à faire dans cette période que de se faire plaisir et de s’amuser », explique-t-elle. « On n’est pas plus utile si on reste chez nous en deuil toute la journée. L’humour est une manière de s’engager aussi », fustige Ghaith Alansari, fier de soutenir la Palestine avec son billet pour Mo Amer.

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