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Le 17 mai, des centaines de Jordaniens ont manifesté à Amman, en soutien au Hamas, en guerre avec Israël. © Célestin de Séguier

Tous les jours, dans son atelier façon chambre d’ado fan de Star Wars, le dessinateur politique et marionnettiste Omar Adnan Abdallat tente, lui, de combattre ces limites. « Avec les lignes rouges, on ne peut pas être direct. Je suis obligé de passer par des symboles », raconte l’artiste qui utilise parfois un dessin de chat en surpoids pour moquer le roi. « J’ai été plus offensif et plus direct mais, avec le temps, je sens que je suis en danger. Je ne veux pas être étiqueté en ennemi de la société. » Un dernier souffle de résistance par l’humour qui tente de survivre depuis la fin des Printemps arabes. Mais le retour de la guerre ne risque pas de le renforcer. « Ces derniers mois, je ne travaille plus beaucoup sur des projets sarcastiques. J’essaie de rire de certaines décisions américaines mais le but n’est pas d’offenser qui que ce soit », tranche le dessinateur en reposant son stylet.

Julie Lescarmontier

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La man'ouché est originaire du Liban. © Azilis Briend

« Je n’ai plus besoin de demander l’avis de mon mari »

Non seulement elle porte elle-même sa caisse à outils, mais elle est même devenue indépendante financièrement. « Maintenant, avec mon argent, je peux acheter ce que je veux et quand je passe la porte de la maison je n’ai plus besoin de demander l’avis de mon mari. »  Tahani Chatti voit le travail comme un moyen d'émancipation et veut donner l’exemple à ses trois filles. On me disait : « Elles ont suivi toutes les formations de l’association et je veux absolument qu’elles finissent leurs études pour avoir le choix », revendique la plombière.

Au-delà de cet engagement en faveur des femmes, Tahani Chatti participe aussi à améliorer l’accès à l’eau en Jordanie. L’existence de plombières permet d’intervenir plus rapidement puisque selon les normes sociales locales, un homme ne peut pas rentrer dans un foyer sans la présence d’une figure masculine de la famille. Une fois formées, les femmes peuvent aussi réparer elles-mêmes les fuites de leur maison.

« La censure n’est pas une ligne claire. Et moins elle est claire, plus elle est forte, car c’est l’autocensure qui prend le relais », explicite Simon Dubois de l’Ifpo. En vérité, seul le délit d’atteinte à la figure royale est inscrit dans la loi. En juillet dernier, le site satirique Al Hudood, sorte de Gorafi jordanien, a été bloqué par l’État après la publication d’une caricature moquant le mariage du prince Hussein. Pour la religion et le sexe, rien ne l’interdit dans le texte. Une épée de Damoclès morale en clair. Et le patron du Comedy Club ne s’en cache pas : « Ici, la religion n’est même pas un sujet. » Sans regret.

« Les femmes sont capables de tout faire, il faut juste leur laisser une chance. »  C’est la conviction de Tahani Chatti, l’une des premières plombières de Jordanie. Et pour donner leur chance aux femmes, elle a fondé en 2014 la Coopérative des femmes plombières, une association qui les initie aux rudiments du métier. Cette vocation, elle l’a trouvée par hasard en 2011 alors qu’elle avait 27 ans. « Il y avait une formation dans mon quartier, j’y suis allée par curiosité, et j’ai adoré. »  Ce qui lui a plu par-dessus tout, c'est la nouvelle vie qui s'offrait à elle. 

Comme de nombreuses femmes jordaniennes, Tahani Chatti a été mariée contre son gré à 15 ans et était destinée à une vie de femme au foyer. Un carcan qui étouffait cette mère de quatre enfants. « Je devais toujours demander à un homme quand j’avais besoin de quelque chose et j’avais peur de m’éloigner à quelques kilomètres de chez moi » , se souvient-elle. 

Elle trouve néanmoins du soutien chez son mari et se lance dans une formation de plomberie. Un choix qui détonne et qui lui vaut des critiques de la part de certains membres de son entourage. Dans le milieu de la plomberie aussi, cet engagement a attisé les remarques sexistes : « Les femmes veulent mettre leur nez partout et nous voler notre travail » , raconte-t-elle. Certains plombiers allaient même jusqu’à lui demander : «  Comment tu vas retrouver les tournevis dans ton sac à main ? Tu es sûre que tu arriveras à porter ta boîte à outils ? » 

Parmi les premières plombières de Jordanie, Tahani Chatti a fondé la Coopérative des femmes plombières pour enseigner les rudiments de son métier aux femmes. Un engagement pour leur indépendance et pour lutter contre le manque d’eau dans le pays. 

Mais un regret demeure. Le public n’est pas là pour l’écouter. En ça, il jalouse les Libanais et leur humour « beaucoup plus libre » qui attire du monde. « En Jordanie, on peut rire de tout mais il y a des limites », assure l’humoriste, semblant presque passer à côté du paradoxe de la phrase. Les trois lignes rouges – la monarchie, la religion et le sexe – contraignent fortement l’expression dans le pays (à la 132e place sur 180 dans le classement Reporters sans frontières sur la liberté de la presse en 2024). L’humour s’en trouve aseptisé, vidé de son piquant par des interdits moraux et politiques.

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Chaque région du Moyen-Orient a sa propre recette de zaatar. © Azilis Briend

Si tout ce qui vient des États-Unis est vu comme un repoussoir, certaines marques américaines sont encore prisées. Dans le centre-ville d’Amman, les mégots de Marlboro et de Philip Morris s’empilent dans les cendriers des terrasses. Question clope, la fièvre du boycott a du mal à prendre en Jordanie, l’un des pays comptant le plus de fumeurs dans le monde. « Ah, c’est sûr, les gens boycottent, mais les cigarettes, c’est autre chose, tout le monde fume au Moyen-Orient », sourit Mahmoud, accoudé au comptoir du Global Café, dégainant son paquet de L&M red comme une provocation. Comme tous les lundis soirs, Mahmoud est venu partager un thé avec son ami Abou, gérant du Global Café sur l’Al-Hashemi Street, face au théâtre antique. « Dans mon magasin, j’ai viré tous les produits boycottés », assure Abou fièrement. À une exception près. Ici, on achète du Matrix avec un paquet de Winston.

Laura Beaudoin
Milan Derrien
avec Malak Khamees

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