Vous êtes ici

Le module est validé, il peut être inséré dans un article pour être consulté par les internautes.

Selon un rapport du collectif associatif Case (Coalition Against Slapps in Europe) publié en 2023, le nombre de poursuites-bâillons a augmenté de façon exponentielle en Europe entre 2010 et 2022. L’organisme comptait seulement 4 cas en 2010, contre 26 en 2016 et 161 en 2022. Un record. La Pologne, Malte et la France sont les pays européens où le nombre de poursuites-bâillons a été le plus élevé ces dix dernières années. Dans l’Hexagone, l’homme d'affaires Vincent Bolloré est un professionnel en la matière. En 2021, le média Arrêt sur images recensait 11 poursuites judiciaires intentées en 11 ans par les groupes du milliardaire contre les médias (France info, Mediapart, France 2). Aucune n’a abouti à une condamnation.

Phénomène inquiétant en expansion 

« Les poursuites-bâillons sont des formes de harcèlement et d’abus de la justice. Pour la première fois, nous avons une définition de ce type de pratiques », se félicite l’eurodéputé Tiemo Wölken (S&D, sociaux-démocrates). Jusque-là, il y avait un vide juridique et législatif dans le droit européen. Le nouveau texte reconnaît désormais les poursuites-bâillons comme « des procédures judiciaires engagées par des puissants » (entreprises, particuliers, personnalités politiques) contre des citoyens ou des groupes « dans le but de brider le débat public ». 

La justice peut-elle être un outil contre la liberté d’expression ? « Oui », ont répondu en grande majorité les eurodéputés réunis à Strasbourg le 27 février. Le Parlement a adopté sa première législation contre les poursuites-bâillons ou SLAPP en anglais (Strategic Lawsuits Against Public Participation). Elle entend protéger les journalistes et les défenseurs des droits de l'homme contre ces procédures judiciaires abusives qui visent à les réduire au silence.

Le 27 février, le Parlement européen a adopté une législation contre les poursuites-bâillons. Ces procédures judiciaires abusives sont de plus en plus utilisées par des responsables économiques ou politiques en Europe pour intimider des journalistes et activistes. La reconnaissance de ces poursuites marque une étape importante, mais la législation est encore limitée.

C’est dans un climat un brin anxiogène que s’est ouverte cette deuxième session plénière de 2024. L’approche des élections européennes occupe tous les esprits et la menace de voir l’extrême droite dominer l'hémicycle est un cauchemar pour le consensus européen. Dans le même temps, la guerre en Ukraine est toujours aux portes de l’Union et la menace extérieure n’a jamais autant pesé sur la stabilité du continent. Dans ce contexte, les eurodéputés ont marché sur des œufs. 

La crise agricole a été au cœur de leurs préoccupations. Après plusieurs semaines de manifestations d’agriculteurs à travers l’Europe, les députés étaient attendus au tournant. Soudainement, les revendications pour des revenus décents et des normes écologiques moins contraignantes sont devenues un enjeu crucial : celui d’apaiser la colère des manifestants. Une colère, qui est pourtant restée vive chez certains paysans et écologistes, suite à l’annonce du Parlement en milieu de semaine d’autoriser la commercialisation de nouveaux végétaux génétiquement modifiés.

Outre le mal-être agricole, les eurodéputés se sont aussi inquiétés du délitement de la démocratie européenne. C’est d’abord vers la Grèce que se sont tournés les regards, pour acter les défaillances de l’Etat de droit dans un pays qui occupe désormais une triste 107e place au classement mondial de Reporter Sans Frontière sur la liberté de la presse. Puis, ce fut au tour de la Russie et de ses tentatives d’ingérence dans le processus décisionnel de l’Union d’être épinglées, suite aux révélations sur une eurodéputée lettone accusée d’avoir été une espionne à la solde de Moscou. Les eurodéputés ont également réaffirmé leur soutien envers l’Ukraine, en approuvant une aide exceptionnelle de 50 milliards débloquée par les 27. Malgré les dissensions politiques internes, l’Union européenne continue à faire bloc face à la Russie de Poutine et on ne peut s’empêcher d’y voir là, au regard de l'histoire, les traces d’une “guerre froide” encore vives. 

Léa Bouquet

 

Les soupçons à l’encontre de Tatjana Ždanoka ne datent pas d’hier. Ses positions et ses votes au Parlement, notamment contre la résolution condamnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, lui avaient déjà valu une exclusion du parti Les Verts/ALE. « On dit : Tatjana Ždanoka est agent. Oui, je suis un agent de la paix. Un agent de la lutte contre le fascisme, pour le droit des minorités, pour une Europe unie de Lisbonne à l’Oural. » assume-t-elle devant le Parlement cette semaine. »

Cette affaire survient deux ans après l’attaque russe et à l’approche des élections européennes. Le Parlement s’en est saisi pour dénoncer la porosité des institutions face aux tentatives d’ingérence russe et le cas Ždanoka n’est que le dernier épisode d’une longue série.

Une réponse forte mais pas à l'unisson 

La présidente du Parlement européen a annoncé une investigation visant Ždanoka, mais la majorité de parlementaires veut aller plus loin. La résolution demande « une enquête interne rigoureuse pour recenser tous les cas possibles d’ingérence étrangère dans le travail du Parlement européen ». Les eurodéputés ont appelé aussi la Commission à créer un organisme indépendant consacré à l’éthique, qui contrôlerait l’ensemble des institutions de l’Union - une demande répétée depuis trois ans, en vain.

Malgré l’adoption de la résolution, quelques divergences persistent dans l’hémicycle. Les partis d’extrême-gauche (The Left) et d’extrême-droite (ID) ont refusé de s’associer au texte même si certains de leurs membres l’ont voté à titre individuel. Anders Vistisen, eurodéputé danois (ID, extrême-droite) s’est inquiété d’une atteinte à la liberté d’expression des parlementaires: « On a l’impression que vous essayez d’empêcher ceux qui veulent voter autrement. »

À gauche, on considère que le texte ne va pas assez loin et on pointe du doigt l’hypocrisie des eurodéputés. « La vérité, chers collègues, c’est que la majorité d’entre vous refuse des règles et des contrôles sérieux » a lancé Manon Aubry, co-présidente du groupe d’extrême-gauche. Elle fait tout de même partie des quelques membres de The Left ayant finalement voté pour, et se félicite d’avoir fait passer l’interdiction, pour les eurodéputés, d’accepter des emplois annexes rémunérés « au nom de pays tiers ».

Fragilité des démocraties européennes

L’affaire Ždanoka a une fois de plus rappelé la fragilité des démocraties européennes. Raphaël Glucksmann, eurodéputé français (S&D, socio-démocrates) a tiré la sonnette d’alarme dans l’hémicycle: « Si nous ne sortons pas de notre apathie, nous allons assister tels des sénateurs romains impotents à la chute de la maison démocratique commune.»

Si le Parlement européen condamne, il n’a pas forcément les moyens d’agir. Sur la question des financements des partis politiques, seuls les États membres peuvent prendre des mesures efficaces. « Certains pays autorisent encore le financement des campagnes nationales par des pays tiers », rappelle Etienne Soula, chercheur à l’Alliance For Securing Democracy, en soulignant qu’ « au moins cinq partis du groupe d’extrême-droite sont impliqués dans des scandales avec la Russie.»

Apolline Lehner et Abel Berthomier

Jeudi 8 février, les eurodéputés ont voté une résolution forte face au « caractère exceptionnel »  des tentatives d’ingérence russe dans les démocraties européennes. Dans sa résolution, le Parlement européen appelle les États membres et la Commission à muscler leur attirail en matière de transparence, d’éthique et de bonne conduite des responsables politiques.

 

Pages