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“On est douze petits vieux, ils nous mettront pas dehors”

De longs filets sont accrochés de par et d'autre des terrains. ©MLR

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Depuis la Covid-19, de plus en plus de familles trouvent dans le cimetière un lieu de recueillement. © Elsa Rancel

Dans son salon traditionnel marocain, Malika El Mouïchui se souvient : "Avant, on avait le meilleur immeuble du quartier. Ce bâtiment, c’était pas comme les HLM et les grandes tours." Mais depuis 2019, les problèmes d’entretien s’accumulent. "La propreté, In’li, ils s’en fichent complètement." Ordures ménagères qui débordent, invasion de cafards, parties communes laissées à l’abandon : "La cave et le local poubelle sont dans un état catastrophique. Je descends jamais, y a des bêtes. "S’ajoute à cela la présence occasionnelle de squatteurs venant chercher refuge dans la cage d’escalier. Depuis quatre ans, le couple de retraités attend toujours des propositions d’appartements du bailleur. "On voit les voisins, on rigole, on se dit "Alors ? Ils vous ont proposé quelque chose ?" Et non, jamais rien."

"On est douze petits vieux, ils nous mettront pas dehors" 

Dans le hall voisin, au numéro 52, un courant d’air froid passe par une fenêtre cassée. On perçoit le bruit des pigeons à travers la trappe du grenier. Sur les dix foyers qui vivaient ici, la moitié a déjà déménagé. Un voisin rentre des courses et salue Christian Schmid* au passage. Locataire depuis 32 ans, ce retraité suit de près les questions de démolition et de relogement.

11 h 15 : Un air de souk

Avec Semli, parler arabe et marchander est la norme. Sur son étal parfumé qui fait sa fierté, les bocaux et les sacs retroussés s’accumulent : eucalyptus, hibiscus, camomille, caroube… On n’y trouve plus d’huile d’olive, trop onéreuse pour lui et ses clients depuis le conflit en Ukraine. "La crise on la voit, les clients négocient davantage alors que je fais les mêmes prix qu’avant le Covid", se désole le vendeur d’épices tunisien. Tablier bleu noué dans le dos et casquette noire vissée sur la tête, Semli vante un mélange d’épices à 1 euro le sachet en alpaguant le chaland : "C’est pour toutes les viandes, toutes les sauces, c’est un passe-partout, comme le sel."

Déambulant dans les allées, Abi, qui a tenu un étal pendant trente ans, connaît bien les envolées de Semli. À la retraite depuis deux ans, chaque jeudi matin est pour lui une occasion de venir saluer ses amis commerçants et "faire un petit cadeau à ma femme", lance-t-il en montrant une écharpe glissée dans un sac en plastique bleu. Pour nombre d’habitants, le marché de la Meinau est "une bulle d’oxygène" explique Monji Hattey, président de l’Union de commerçants du Bas-Rhin. Une bulle d’oxygène qui se dissipe à 14 h quand la place de l’Île-de-France retrouve sa torpeur habituelle, et que les seuls vestiges du marché sont des pelures de clémentines sur le trottoir.

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Les supporters entrent dans le Centre de performance Racing Soprema Parc par un grand portail situé dans la rue des Vanneaux. © MLR

Leurs affaires familiales, transmises de génération en génération, visent une clientèle aux revenus confortables. Sur leurs étals, on trouve aussi des clémentines d’Espagne à 4,80 euros le kilo, alors qu’il coûte quelques mètres plus loin, sur les stands des revendeurs, 1,93 euro en moyenne. Ces derniers, aux produits principalement importés d’Espagne et du Maroc se sont multipliés ces dernières années. Sans se concurrencer directement, ces commerçants s’adressent à deux types de clientèle qui cohabitent à la Meinau : l'une modeste, l'autre plus aisée.

9 h 45 : Sardines et anchois

Pour les trois poissonniers du marché placés dans une même allée, adapter son offre à la clientèle du quartier est indispensable en ces temps d’inflation. Momo, 24 ans, qui officie depuis trois ans pour la poissonnerie Deschamps, dresse la comparaison avec le marché de la place Broglie, en plein cœur de la Grande Île :  "Broglie c’est un marché de luxe avec des poissons à 40 voire 50 euros le kg. Ça ne sert à rien de prévoir ce type de poissons ici, ça me reste sur les bras. Pas de filets et privilégier les petits poissons", conseille-t-il, en pointant sardines et anchois. Un constat que partage Mohamed Tisghiti qui a repris la poissonnerie familiale L’Espadon en 2018. Chez lui aussi, la sardine, à 5 euros le kilo, est le produit le plus prisé. Or le marché, réputé abordable, n’est, aux yeux des habitants,

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Martine Uhlrich devant son ancien salon de thé, rebaptisé M Café en 2014. © Heïdi Soupault

8 h 30 : Producteurs ou revendeurs ?

"Tomates, kakis, oranges, allez-y servez-vous !", s'époumone un primeur adepte de la stratégie de la vente à la criée, relégué au bout de la rue de Bourgogne. Mais de l’autre côté de la place, sur l’allée principale, l’ambiance est plus calme. Derrière les étals de la ferme Anstett aux produits majoritairement locaux, Carine Peter insiste pour servir ses clients elle-même et prendre le temps d’échanger avec chacun. Elle s’enquiert de la santé de Denise, fidèle cliente de 88 ans. Depuis la rue de Touraine où elle vit depuis cinquante ans, Denise est venue lui rapporter ses pots en verre vides de miel de sapin. Mais pour Carine, la Meinau n’est plus un "aussi bon marché qu’il y a trente ans". Avec la ferme fruitière Hufschmitt de Véréna, elles sont les deux seules productrices. Elles proposent des fruits et légumes locaux et de saison : navets, poireaux, poires, potirons…

Le marché de la Meinau, créé en 1965, est avec ses 105 stands, le principal marché strasbourgeois du jeudi matin. "Il n’y a pas de place pour tout le monde et les déceptions sont fréquentes", raconte, craie en main, Jean-Marc, l’un des receveurs-placiers. Surtout pour l'alimentaire, dont les stands doivent se concentrer autour de la prisée rue de Franche-Comté. Les déçus iront tenter leur chance au marché de l’allée Reuss au Neuhof, sur l’autre rive du Rhin Tortu.
 

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