Rester au Hohberg, c’est avant tout rester près de sa famille. "Ils ont besoin de moi, j’ai besoin d’eux", déclare Mouna, en lançant un regard complice vers sa mère. Cette dernière l’a beaucoup soutenue à la naissance de sa fille. "C’est vraiment ma deuxième maman, confirme Sana au sujet de la grande madame. On aime aller chez notre grand-mère, on se retrouve souvent chez elle le week-end, c’est spontané." dit-elle, la main posée sur sa poitrine. La famille s’en amuse d’ailleurs : "Si pendant quelques semaines, elle ne nous invite pas à manger, ça va paraître bizarre", plaisante Amal. A ce moment, Mouna revient de la cuisine, un gâteau et un saladier de friandises dans les mains. A peine posés sur la table, les enfants se ruent dessus avec joie.
"On a grandi avec le Hohberg"
Pour Amal comme pour les autres, cette proximité géographique crée une relation particulière. Alors, quand Mouna évoque l’idée de s’installer dans une maison dans la campagne strasbourgeoise, ses enfants refusent catégoriquement. "On a nos habitudes ici, et on aime ça, rétorque sa fille Sana. J’ai jamais quitté le quartier, c’est sécurisant parce qu’on sait pas comment ça se passe ailleurs. Et puis je peux voir mes grands-parents, ma tante, mes oncles, mes petits-cousins, ma cousine, mes parents, mon frère…" Sa grand-mère sourit. La jeune femme de 18 ans n’envisage pas de s’éloigner à plus d’un quart d’heure à pied de la cité.
Arrivé du Maroc dans les années 1970, Haddou Foulouh s’est installé au Hohberg avant de faire, quelques années plus tard, une demande de regroupement familial. Sa femme Louisa et leurs enfants l’ont rejoint en 1977. "Il faisait froid, j’avais 7 ans, c’était en février", se souvient Najima, en soufflant sur sa tasse de café. La famille n’est jamais repartie.
Parents et voisins
Au moment de quitter le cocon familial, les enfants de Louisa et Haddou ont choisi eux aussi de s’installer dans la cité. Rue Sénèque, dans l’immeuble voisin, résident Ahmed, sa femme Zoulikha et leurs trois enfants "On se voit du balcon !", s’exclame Anissa, ignorant sa console de jeu quelques instants. A seulement quelques mètres de là, rue Tacite, vivent Mouna, Sana et le reste de la famille. Quant à Najima, elle vient juste de quitter le Hohberg, pour la route des Romains toute proche. Seul Karim, le cadet, s’est "éloigné". Avec sa famille, il réside dans un quartier pavillonnaire de Lingolsheim, à cinq kilomètres de Koenigshoffen. "C’est trop loin, se désole Louisa les bras croisés, à pied, je ne peux même pas y aller." Cette femme de 70 ans, coiffée d’un hijab et les mains teintées de henné, est le véritable pilier de la famille. Et elle aime savoir ses enfants près d’elle : "Je profite de mes petits-enfants, ils grandissent à côté de moi."
Grand étang
Son poisson, Loïc le préfère "en papillote ou en barbecue." À 16 ans, il est "venu en vélo d'Ostwald pour participer au concours de pêche à la truite." Avec un certain succès : il finit de vider et de nettoyer les sept poissons pêchés pendant la matinée, et s'apprête à rentrer chez lui. Pas question de participer à la marinade. Ni de sociabiliser avec les anciens. Bien de son temps, il compte partager les photos de sa pêche sur son compte Instagram (le_carpiste_67).
"Quand ça veut pas, ça veut pas", soupire de son côté Julien Etienne, 32 ans, venu exprès pour le concours depuis Belval, dans les Vosges, à une centaine de kilomètres de là. Deux truites seulement ce matin : "C’est la fin de la saison de pêche, les poissons vont commencer à frayer – se reproduire. " Qu'à cela ne tienne, il compte bien se consoler avec la marinade : "Je suis venu avec un ami et je connais deux ou trois personnes ici."
Vers 14 heures et des poussières, Victor et Paulo sortent de l'apéro. Ils ne participent ni au concours ni au repas : ce sont plutôt des boulistes – Victor a été président pendant huit ans du club de pétanque de Cronenbourg. C'est là qu'il a rencontré René, membre actif de l'APP, et personnage haut en couleur : "Quand c'est la semaine où Annie et René tiennent le bar, c'est vraiment la folle ambiance." Pour Paulo, c'est une première au club de pêche, mais, gagné par la bonne humeur générale autour de la buvette, il prévoit d'y retourner le dimanche suivant pour le tournoi de belote.
Devant le chalet, Jacky, la moustache jaunie par le tabac, observe les pêcheurs du grand étang. Pour ce membre assidu de l'association "depuis plus de vingt ans", l'avenir du site est menacé. "Un jour, la ville reprendra le terrain et construira. Ce serait bien que ça dure encore quinze à vingt ans."
Banquet
À l'intérieur du chalet, les grandes tables de banquet accueillent une bonne cinquantaine de participants. Le repas, qui coûte 12 euros, est ouvert au public. Ni Yolande Buchmann ni son mari Patrice ne sont pêcheurs. Attablée avec deux autres couples de la paroisse protestante de Saint-Paul, cette dernière explique : "Nous venons deux fois l'an pour des repas. J'y retourne depuis que je suis en retraite." Arrivée à Kœnigshoffen à l'âge de 1 an elle est attachée au site : "Ce lieu fait partie de mon enfance. Ça a toujours été très convivial et, en fait, l'ambiance n'a pas trop changé."
Pas étonnant, vu le nombre de têtes chenues dans la salle. Venu avec sa mère de 95 ans pour la marinade, Charles Muller ressemble à la plupart des commensaux. À "bientôt 73 ans", il occupe ses loisirs en allant tous les jours au chalet pour "retrouver les copains et regarder les parties de cartes." De son coté, Yolande Buchmann s’interroge : "Le jour où les vieux n'entretiendront plus le site, qu'est-ce que ça va devenir ?" Et convient : "C’est normal de ne pas vouloir passer la journée avec des vieux quand on est jeune".
Cuisine
Des jeunes, il y en a pourtant les nuits d'été autour des étangs. "Ils viennent ici pour faire la fête, explique Benjamin Breuil, le président de l'association, qui s'active en cuisine. De temps en temps, je descends la nuit pour leur dire de ne pas laisser de cadavres de bouteille partout. Mais dans l'ensemble, c'est plutôt bon enfant." Il précise aussi qu'ils ne participent pas aux activités de l'association. Et déplore, comme Yolande, "le manque de jeunes bénévoles".
À 36 ans chacun, Benjamin Breuil et son vice-président, Thomas Kuhm font figure d’exception : "On est les plus jeunes à gérer une APP dans la région." Tandis que, dans la salle, les anciens prennent l'apéro, Thomas Kuhm vérifie la bonne tenue des préparatifs : "J’aime ce rôle. Cela représente énormément de temps et d’heures. Mais il fallait qu’on s’y intéresse pour que l’association se pérennise." Quitte à mettre parfois la pêche de côté. Benjamin Breuil, va plus loin : "Il faut être impliqué à 200%. Pour moi, c’est comme une deuxième activité." Et la charge de travail ne va pas en s'allégeant.
À côté d'eux, Dominique Furst, octogénaire au regard pétillant et cuistot du jour, prévient : "C’est la prochaine génération. C’est eux qui feront la marinade." Et de désigner deux grands bacs métalliques remplis à ras-bord du mets tant attendu. Il en connaît la recette par cœur. Sans révéler ses petits secrets, il décrit les ingrédients utilisés : "Beaucoup de crème fraîche, de la moutarde à l’ancienne, du thym et du poivre." La préparation doit mariner pendant une semaine et demie pour apporter au poisson tendresse et goût.
D'un côté, le canal de la Bruche, de l'autre le verger du couvent des Capucins : l'allée qui mène aux étangs de pêche de Kœnigshoffen a des airs de route de campagne. Avec ses deux plans d'eau pour la pêche, ses trois terrains de pétanque, son grand chalet pour les jeux de société, la buvette et les repas, le site est un lieu de vie et de loisirs privilégié de Kœnigshoffen. D'autant plus qu'il est la propriété de l'Association agréée pour la pêche et la protection des milieux aquatiques (AAMMAP, mais tout le monde dit APP) de Kœnigshoffen – l'une des plus anciennes (1923) et des plus importantes APP d'Alsace, avec plus de 500 membres.
Certains commerçants installés sur le début de la route ne voient pas l’utilité du projet. Ils considèrent que les lignes de bus 4 et 50 desservant actuellement la route des Romains suffisent à circuler jusqu’au-centre ville de Strasbourg. Les commerçants sont nombreux à croire que l’arrivée du tramway continuera d’engorger la circulation des véhicules sur la route des Romains. "Avec le tram, ce sera vraiment une galère pour venir en voiture !", s’exclame Esra Ucar.
Les commerçants concèdent toutefois que le tramway servira aux habitants du quartier à accéder plus facilement au centre-ville et pourrait, à terme, permettre à la valeur de leur fonds de commerce d’augmenter.
Une procédure d'indemnisation complexe
C’est pour pallier ces problèmes que l’Eurométropole a mis en place une procédure d’indemnisation pour que les commerces impactés par les travaux puissent obtenir des compensations. Ceux qui souhaitent en bénéficier doivent demander auprès du Tribunal administratif de Strasbourg la désignation d’un expert économique, dont les honoraires resteront à leur charge. A partir de documents comptables, l’expert devra évaluer s’il y a bien un préjudice dû au chantier, puis une commission examinera les demandes et proposera un montant une fois les travaux terminés.
Une procédure plutôt faite pour "calmer les gens" selon le gérant du bar Au Poilu et qui semble longue et compliquée pour certains commerçants. "Il y a beaucoup de documents, on est vite découragés avec tout ce qui est demandé", souligne Esra Ucar qui n’a pas encore trouvé le temps de terminer la demande pour son salon d’esthétique.