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Les habitants doivent terminer le travail eux-mêmes ou faire appel à un prestataire extérieur. Si NLE prend en charge le matériel par des déductions de loyer, la main-d’œuvre reste à leurs frais.

 

Une responsabilité partagée

 

Au numéro 26, la réhabilitation a carrément provoqué un dégât des eaux. Locataire depuis avril 2017, Nefise Bezmem montre le parquet gondolé et les moisissures. La mère de trois enfants s’est blessée au dos en glissant sur le sol. Une chute qui lui a coûté son emploi. "J’avais une promesse de CDI dans l’entreprise de nettoyage dans laquelle je travaillais", développe-t-elle. Depuis, elle envisage de porter plainte.

Mélissa Antras

D’après un sondage réalisé par Par enchantement, 60% des habitants sont mécontents. De nombreuses caves n'ont pas été rénovées. Des fuites d’eau persistent et engendrent humidité, moisissures et odeurs nauséabondes. Les rongeurs sont toujours présents, parfois même dans les appartements, malgré les opérations de dératisation réalisées par l'Eurométropole à l'extérieur des bâtiments. Le bailleur social s’est engagé à traiter l’ensemble des caves pour le 12 janvier 2019. L’enquête montre que 95% des personnes interrogées ne sont pas satisfaites des finitions. "Les ouvriers ont laissé une mousse rose pour boucher les trous dans le mur et les tuyaux sont apparents dans les salles de bain et les toilettes", explique ainsi Fatma Inal, qui a grandi à Herrade.

18h23, after-work 
Encore une chanson de Mylène Farmer sur RFM. "Gégé" alias "le croquemort", enchaine les picons et les blagues de comptoir : "Tu vois la différence culturelle entre toi et moi, dit-il, goguenard, à une connaissance d'origine turque, toi tu parles de foot et tu bois du café, moi je parle de cul et je bois du picon." 
"Un p'tit Irish" pour Méhmet, qui s'accorde un moment de loisir. Il forme soigneusement les étages (sucre de canne, whiskey, café, chantilly) de son remontant... avant de mélanger le tout : "Je ne savais pas quoi boire et j'aime bien préparer des cocktails un peu compliqués", explique-t-il en sirotant sa boisson. 

18h47, Moment nostalgie
De l'autre côté du comptoir, Christian Kasmi, gérant du Poilu jusqu'en 1992, a le demi nostalgique : "À l'époque, il y avait au moins dix bistrots d'ici jusqu'au pont du chemin de fer. A cette heure-là, le lieu était rempli d'ouvriers qui se payaient des tournées..." Il se souvient de "l'ambiance de pensionnaires. La grande table ronde, c'était le "stammtisch", la table des habitués. Les anciens y buvaient du Rubis de France, un mélange de vins bon marché pour les bistrots." Derrière son comptoir, Méhmet tient à préciser : "Pour moi aujourd'hui, le Poilu est une brasserie car on fait restaurant, même si on peut aussi juste boire un verre." Résidant désormais à Cronenbourg, Chritian Kasmi revient toujours au Poilu, "pour l'ambiance", depuis que Méhmet a repris la gérance, il y a cinq ans. "Malgré ça, Kœnigshoffen a perdu de son âme, c'est devenu un dortoir."

19h25, retour des Zimmermann
De retour d'un enterrement, les époux Zimmermann reviennent s'en jeter un petit avant le diner. Tout en discutant en alsacien avec des amis, Ginette s'autorise un crémant d'Alsace – le champagne local. "C'est notre lieu de rendez-vous, parfois on fait les fous-fous", rigole-t-elle en agitant son verre. Avant d'ajouter, en désignant discrètement un vieux monsieur barbu à sa droite : "ici on s'entraide. Parfois on paie des tartes flambées." Pour elle, c'est "le dernier bistrot de Kœnigshoffen qui a encore ce truc-là : la convivialité."

8h35, Journal et Amigo
Méhmet Akbalik, gérant du Poilu, profite du calme matinal pour écrire le plat du jour sur l'ardoise. Seul client, Didier Metz fait des allers-retours entre la borne Française des jeux, où il tire ses grilles Amigo, et le comptoir où il sirote un verre de poiret – un alcool de poire.  Tout en surveillant sur l'écran les résultats du tirage, le retraité qui habite à 100 mètres se souvient : "Il y a 15 jours, j'ai gagné 600 euros." Et précise : "Je coche les numéros au hasard, c'est un peu mon rituel du matin. Je viens ici aussi pour lire les pages sportives des DNA."

11h38, Apéro
La salle se remplit un peu à l'approche du midi. Installée à une grande table ronde, Catherine Reith boit un picon en attendant un ami pour déjeuner. Habituée depuis trois ans, elle vient plusieurs fois par semaine pour le plat du jour, et a même fêté le nouvel an 2018 au Poilu : "On a dansé, c'était bien. On fait aussi les anniversaires, parfois, et tous les ans, le repas de Noël. C'est appréciable pour ceux qui n'ont pas de famille." Son ami, Alfred Roesner, la rejoint et commande "un Noir" – comprendre : un picon. Autour de Catherine Reith, un petit salon se forme lorsque Ginette Zimmermann se joint à eux pour l'apéro, avec son mari. Ce dernier s'installe deux tables plus loin, dos au mur - "j'aime bien savoir qui est derrière moi" explique-t-il, l'œil malicieux.

13h48, Fin de déjeuner
Après un service tranquille – une vingtaine de couverts –, Méhmet et sa femme débarrassent la table d'Arnaud. Pour lui, qui travaille aux pompes funèbres à côté, le Poilu est "un peu comme la cantine : pratique et pas cher, avec la formule midi à 8€50." Clémence et Jean-Luc, fraichement retraités à 66 et 62 ans, sont plus diserts : "Vous ne trouverez pas la même ambiance ailleurs. On connait tout le monde, c'est familial. » Pendant que Jean-Luc termine son verre de poiret, Clémence ajoute : "C’est le premier pion de Koenigshoffen et la dernière vraie brasserie du quartier."
Au comptoir, Gallou, la quarantaine, tatouages apparents sur le cou, explique – enfin ! - la différence entre le poiret et la poire : "C'est comme pour le speed et la coke, le poiret, c'est moins raffiné. "

17h37, rami turc et afterwork
Depuis deux ans, Israël et trois amis se retrouvent dans le coin des habitués – la grande table ronde – pour jouer au rami turc. Jeu de combinaisons, la manche se termine une fois qu'un joueur s'est défaussé de toutes ses cartes. Rires et plaisanteries rythment la partie. "C'est un plaisir de venir jouer aux cartes ici, on vient souvent, mais pas tous les jours non plus", confie Israël en sirotant un raki (une eau de vie turque aromatisée à l'anis). 

Première brasserie de Kœnigshoffen en arrivant du centre-ville, le Poilu est aussi l'un des principaux lieux de vie du quartier. Et l'un des plus anciens. Avant la Première Guerre mondiale, la maison du 23 route des Romains était déjà un estaminet. L'Alsace redevenue française, la brasserie fut rebaptisée du sobriquet des soldats de la Grande Guerre.
 

Pendant qu'ouvriers et pelleteuses s'activent sur l'extansion de la ligne F du tramway, à la brasserie "Au Poilu", la vie suit son cours. 

 

Au n°41, Harun Hurug a ouvert un nouveau kebab il y a deux mois, suite à la fermeture de son ancien établissement quelques numéros plus loin dans la rue, avec pour argument de vente : la qualité de ses produits, issus de l’élevage local et confectionnés sur place. "En général, les restaurateurs se fournissent en Allemagne car la viande est moins chère et directement livrée sur la broche", explique le cuisiner, qui débite chaque jours 7 kilos de poitrine de veau qu’il assaisonne et embroche lui-même. Sur la route des Romains, My Döner est seul à proposer de la viande de veau. Comparé aux autres restaurants, Harun Urug fait le choix de pratiquer des prix plus élevés et de restreindre sa carte à un seul savoir faire. Pour lui, "se diversifier pour mieux régner" n’est pas un signe de qualité.

Loana Berbedj

 

Brigitte Breuil

 

Présidente de l’association des habitants du quartier de Koenigshoffen, Brigitte Breuil est une figure incontournable pour les résidents.

Son histoire avec le Hohberg commence en 1996, presque par hasard. Au cours d’une remise de prix, organisée par la ville de Strasbourg,  pour la décoration fleurie de sa maison, Lilianne Oehler, la responsable de l’époque, la convainc d’intégrer l’association des habitants du quartier. De fil en aiguille, elle devient présidente en 2004.

Toutes les semaines, Brigitte Breuil arpente les rues du Hohberg, scrute les immeubles et visite les appartements, en quête de solutions pour les locataires: "On essaie de régler les problèmes, mais ce n’est pas toujours facile."

En quatorze ans, elle est devenue une interlocutrice privilégiée pour les familles, tantôt conseillère, tantôt médiatrice ou policière de quartier. "Avant je jonglais avec deux téléphones, dit-elle. Maintenant, les habitants possèdent mon numéro de téléphone personnel." S’il lui arrive de râler quand le portable sonne à des heures tardives ou le week-end, elle se réjouit des remerciements et des fêtes de voisins réussies.

La sexagénaire en agace certains par sa détermination. Son engagement associatif peut s’apparenter à une forme d’intrusion dans la vie privée.

Au final, même si la présidente ne vit pas au Hohberg, un lien d’amitié et de confiance s’est créé avec la centaine de familles de la cité. "A chaque fois que je viens ici, mon mari me dit : ‘‘Qu’est-ce que tu vas encore faire au Hohberg ?” Mais c’est un quartier où il fait bon vivre, malgré toutes les choses négatives que l’on peut dire."

Clément Gauvin

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Viande de veau sur broche. © Loana Berbedj

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