14 octobre 2012
René Hampé est une figure incontournable du réseau associatif et politique de la Robertsau. Rencontre avec un homme qui, à quatre-vingts ans, ne se lasse pas de défendre l'image qu'il se fait de son quartier.
Dans le salon de René Hampé, des masques et des tableaux africains ornent les murs. (Photo CUEJ-AC)
Depuis sa terrasse du cinquième étage d'un immeuble moderne du centre de la Robertsau, René Hampé jouit d'une vue plongeante sur les toits alentour. Une évidente tour de guet sur le quartier pour cet ancien de l'engagement citoyen local, né il y a quatre-vingt ans près de Saint-Thomas.
« Je suis président de l'Association de défense des intérêts de la Robertsau (ADIR) sans doute parce que l'implication associative est la continuité logique de mon engagement politique », s'explique l'ancien syndicaliste et ingénieur audiovisuel à la retraite. Sa carrière, il l'a faite au sein de l'ORTF régionale, qu'il a intégrée sur concours après un CAP de radio-électricien. Les dates importent peu à René Hampé. Cela fait « une dizaine d'années » qu'il a pris la tête de l'ADIR, qu'il a rejointe « à la fin de (s)on mandat de conseiller municipal dans le groupe socialiste, sous la premier mandature Trautmann (1989-1995) ».
Dans le quartier, nombreux sont ceux qui connaissent le personnage, le front dégarni et les cheveux de derrière en bataille, la barbe et la moustache blanches, les yeux perçants derrière les lunettes ovales. Directeur de la publication de L'écho de la Robertsau, le mensuel de l'association distribué dans les boîtes-aux-lettres des habitants, il cumule par ailleurs des postes aux conseils d'administration de plusieurs associations (Alsace nature, Astus...) et du centre socio culturel de l'Escale. Surtout, il est membre du Conseil de quartier de la Robertsau-Wacken, une charge qui le passionne jusqu'au tourment.
La démocratie participative, une affaire de patience
« Lorsqu'ont été créés les Conseils de quartier (2002, NDLR), les réseaux associatifs et citoyens dont je fais partie ont très bien accueilli la nouvelle. Mais notre espoir placé dans ce qui devait renforcer la démocratie de proximité a été déçu. Ici, les gens sont tellement découragés que sur 32 membres, onze ne sont jamais venus ou ne viennent plus* », détaille-t-il, un peu amer. Cette frustration s'ajoute à la déception, selon certaines de ses connaissances, qu'aurait été pour lui son expérience au Conseil municipal, où il aurait aimé avoir plus de responsabilités.
Cette question de la responsabilité affectée à un engagement politique explique beaucoup de choses pour René Hampé. Ainsi, selon lui, les citoyens renoncent à leur implication dans les instances consultatives type Conseils de quartier parce qu'ils ont le sentiment de n'avoir finalement que peu d’impact sur les décisions finales. Dernier exemple en date à la Robertsau, la consultation concernant le projet d'éco-quartier dans la zone Pourtalès.
La CUS a proposé au Conseil de quartier - « ce qui est gentil » - d'établir un cahier des attentes sur le sujet. Mais ces doléances modernes ne satisfont pas le militant qui, chez René Hampé, se tient toujours en alerte : « La CUS nous a indiqué que ce cahier des attentes devait se constituer dans un cadre laissant peu de place à l’initiative et que nous ne devons pas fournir un projet complet d'écoquartier. Pourtant, l'une de nos membres est architecte. Nous avons l'impression qu'on nous consulte pour choisir la couleur de la peinture des volets. Alors, on va jouer le jeu de ce cahier mais on ne respectera pas les modalités que l’on veut nous imposer. »
« C’est un stratège en plus d’être un passionné », assure la militante écologiste Françoise Werckmann, qui travaille avec lui à l’ADIR depuis plus de cinq ans. Elle évoque une habilité « dans ses rapports avec la mairie, ou dans sa présence régulière aux manifestations du quartier », laissant entendre que René Hampé a un réseau long comme le bras et n’ignore rien des affaires de la Robertsau. Pierre Bardet nous décrit lui aussi un « passionné ». Mais le président de l'association de commerçants des vitrines de Strasbourg se souvient de certaines « gueulantes » lors de réunions et estime que le militant « ne manie pas la langue de bois et est plutôt fort de gueule ».
"Ce serait pire si nous n'étions pas là"
« Il est entier », résume Françoise Werckmann, et en ce sens le bonhomme a « les qualités de ses défauts ». Comprenez qu’il « sait prendre le pouvoir » et a une tendance à être parfois un peu dirigiste. D’ailleurs, Françoise Werckmann, « seule femme qui soit restée » membre de l’ADIR, a dû savoir s’imposer pour faire entendre sa voix. Quand elle débarque dans l’association, elle ressent vite une « ambiance machiste » qui la pèse au point « d’en avoir marre et de songer à partir ». Elle en réfère à René Hampé qui a fait en sorte, dit-elle, de corriger la situation et « montré qu’elle était quelqu’un d’écoutable ». La militante associative estime avoir aujourd’hui trouvé sa place au sein du conseil d’administration de l’ADIR.
Cette association, née en 1958 à la suite d’un mouvement de solidarité des habitants face à une tempête qui avait sinistré le quartier, c’est aujourd’hui, pour René Hampé, une digue contre certains choix politiques : « Si nous n’étions pas là ce serait pire, même si on a au final peu de satisfactions dans nos combats. »
Cette « lutte » au niveau hyper local est principalement opérée par des personnes qui ont passé la cinquantaine, peu de jeunes et encore moins d’étudiants dans les locaux de l’ADIR. Même chose au Conseil de quartier selon René Hampé. Il voit le danger d’une telle absence de vocations, mais excuse presque les générations qui ont suivi la sienne : « L’engagement citoyen ou politique des jeunes est handicapé par leurs problèmes personnels qui prennent le dessus. Et puis, les choses sont telles qu’on ne croit plus en l’intérêt et l’utilité de militer. »
A moitié syndicaliste, à moitié homme politique
Pour le vieux monsieur, cet état de fait semble appuyer la nécessité de s’investir dans la mission qu’il s’est assignée. On n’en saura guère plus sur ses motivations. René Hampé est un homme secret. Il ne souhaite pas du tout parler de ses parents et contourne l’exercice du portrait en répondant avec un maximum de « nous » et très peu de « je ». Comme si ses années CFDT, où il a participé, en tant que technicien, au blocage des ondes de l’ORTF régionale en 1968, avaient laissé des traces.
Mais les années au Conseil municipal elles aussi, font partie intégrante de la personnalité de René Hampé. Quand on lui demande, à la fin de l’interview, si l’on pourrait assister au Conseil de quartier pour compléter notre article, l’homme politique refait surface et refuse, élude poliment toute explication, et nous propose une conférence de presse à l'issue du Conseil.
L’incohérence avec ses discours sur les bienfaits de la démocratie participative ne semble pas l’effleurer. De toute façon, René Hampé paraît trop accaparé par les dossiers du quartier pour s’intéresser de près à sa personnalité. Et ce n’est pas maintenant que cela va changer. « Ça le maintient », se félicite Françoise Werckmann.
*La Direction de proximité et la Ville de Strasbourg n’ont jamais répondu à nos sollicitations pour confirmer ces chiffres.
Anna Cuxac