Vous êtes ici

Strasbourg resserre les mailles sur les investissements étrangers


09 mai 2025

Le Parlement européen a voté jeudi 8 mai 2025 en faveur d’une révision de la loi du filtrage des investissements en provenance de l’étranger. Le but : limiter ces financements dans des secteurs stratégiques de l’Europe. Porté par le socialiste Raphaël Glucksmann, ce projet montre déjà des failles.

[ Plein écran ]

Selon Eurostat, en 2021, les entreprises étrangères ont contribué à hauteur de 12 % de la valeur ajoutée brute totale des économies européennes. © Moncef Arbadji et Pierrot Destrez 

Quand il parle d'investissements étrangers, Raphaël Glucksmann n'hésite pas à hausser le ton : "L’Europe est seule face à des dangers. On agit contre eux pour vous protéger, protéger vos familles. Et pour ça, on a besoin de la souveraineté européenne!" L’élu rattaché à Place Publique est rapporteur d’une réforme qui vise à renforcer le filtrage des investissements en provenance de l’étranger au sein de l’Union européenne (UE). Selon l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), ils représentaient 115 milliards d'euros en 2021. L’objectif de la réforme : les restreindre davantage pour éviter des prises de contrôle d’entreprises européennes, voire de secteurs entiers, par des intérêts étrangers. 

Depuis 2020, un mécanisme est mis en place pour mieux surveiller les acquisitions d’actifs financiers dans l’UE par des sociétés de pays tiers. Les États membres sont également tenus d’inspecter les investissements étrangers sur leur territoire. Cette surveillance est coordonnée par un système d’alerte commun, qui leur permet d'échanger des informations et de signaler les potentiels risques. Avec ce nouveau texte, Glucksmann veut être plus strict sur ce contrôle.

À travers les nouvelles mesures, les eurodéputés souhaitent rendre le filtrage obligatoire pour tous les Etats membres. Jusqu’ici non contraignante, la loi permettait à certains d’entre eux, comme la Bulgarie et Chypre, de ne pas en faire usage, créant ainsi une fenêtre d'entrée évidente pour les investisseurs étrangers. Pour améliorer la surveillance, le texte réclame également à chaque pays un rapport annuel de ses activités en la matière. 

Des secteurs à risque

Cette réforme cherche surtout à éviter que les investisseurs étrangers s’accaparent des secteurs clés de l’Europe, tels que la défense ou les transports. D’un pays à l'autre, ces domaines changent. L’un des exemples emblématiques est celui de la Grèce. En 2016, le pays a vendu le port du Pirée à un armateur chinois suite à des pressions financières. Pékin a par la suite accentué son influence en Europe, jusqu’à posséder aujourd’hui des parts dans 14 ports européens, dont les trois plus grands du continent.

Avec cette proposition de loi, les députés souhaitent que ce genre de situation ne se reproduise plus. Parmi les acteurs consultés sur la réforme se trouve la Fédération européenne des opérateurs portuaires privés (Feport), représentant 2 290 ports privés en Europe, dont certains aux mains de la Chine. Selon Manuel Andrade, son conseiller politique, Feport s’oppose à toute réglementation qui se montrerait "discriminatoire à l’égard des investisseurs étrangers ".

Une loi insuffisante

Peut-on donc s’attendre à un filtrage réellement efficace ? Varg Folkman, analyste à l’European Policy Center, est catégorique : "Je ne pense pas que ça aura un énorme impact". Si la nouvelle réglementation prévoit un renforcement du système, elle laisse des failles dans lesquelles les pays tiers peuvent s'engouffrer. Les entreprises étrangères possédant des filiales en Europe, par exemple, passent sous le radar des 27. Car le contrôle en vigueur ne concerne que les placements provenant de pays non européens. Grâce à ce contournement, des entreprises chinoises ou russes ont le champ libre pour investir dans des domaines stratégiques, sous couvert de leurs succursales. "Si ces entreprises ont réussi à contourner les lois européennes une première fois, elles n’auront aucun mal à recommencer", s’inquiète Varg Folman.

Même si la Commission Européenne peut toujours porter plainte, les pays ne respectant pas les réglementations ne risquent concrètement rien. Aucune sanction n’est prévue dans le texte si un pays venait à ne pas appliquer ces contrôles. La porte reste donc entrouverte, d’autant que le texte doit encore suivre un long parcours législatif au sein des institutions européennes et pourrait être de nouveau modifié avant son application. 

Moncef Arbadji et Pierrot Destrez

Imprimer la page