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Turquie : si près, et pourtant si loin


09 mai 2025

Mercredi 7 mai 2025, à Strasbourg, le Parlement européen a une nouvelle fois voté en faveur de la suspension du processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Le dernier rapport parlementaire sur Ankara n’a jamais été aussi sévère dans la remise en question de sa place de candidat, en raison des nombreuses atteintes à la démocratie et à l’État de droit. Certains députés appellent même à l’arrêt complet de la procédure d’adhésion.

L’adhésion de la Turquie à l’Union européenne est gelée, une fois de plus, par le Parlement européen. © Axel Guillou

C’est encore non. Une nouvelle fois, l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne (UE) est suspendue. Le 7 mai 2025, le Parlement européen a adopté, sur les préconisations de son rapport annuel sur la Turquie, le maintien du gel des négociations d’adhésion du pays à l’Union, en vigueur depuis 2018.

Et pour cause : les atteintes du pouvoir turc à la démocratie et à l’État de droit s'enchaînent. La dernière en date, le 23 mars dernier : Ekrem Imamoglu, principal opposant à Recep Tayyip Erdogan, a été placé en détention sur décision de justice. En réaction, des dizaines de milliers de Turcs sont descendus dans les rues pour manifester. S’en sont suivies plus de 2 000 arrestations dans les grandes villes du pays.

Si le gouvernement turc maintient son souhait d’intégrer l’UE, le rapport pointe trop de manquements aux prérequis d’adhésion. Il considère que “l'écart entre la Turquie et les valeurs et le cadre normatif de l’UE, qui sont au cœur du processus d’adhésion, n’a pas été comblé”. Le rapporteur du texte, l’espagnol Nacho Sánchez Amor du groupe Socialistes et Démocrates (S&D, gauche), souligne que, même si une partie de sa population est europhile, “la Turquie est le seul pays candidat qui fait marche arrière”.

Près de sept ans d’inertie 

La Turquie s’est déclarée candidate dès 1987 pour rejoindre la Communauté européenne. Les négociations, elles, ont commencé en 2005. Le processus d’adhésion dans l’UE est une longue démarche qui fait appel à des critères spécifiques dits “de Copenhague” de 1993. Ceux-ci exigent que les pays candidats respectent la démocratie, garantissent l'État de droit, et aient des institutions stables avec une économie de marché. En 2006, un nouveau critère s’ajoute : “l’acquis communautaire”, la capacité pour un pays d’absorber les normes européennes.

Mais depuis 2018, Ankara reste bloquée avec 16 chapitres ouverts sur 35 dans la procédure d’adhésion. Les négociations ont été gelées par les parlementaires en raison des vagues de répression de l’administration Erdogan, spécialement depuis la tentative de coup d’État manqué de 2016. Cette suspension est reconduite depuis, et les groupes politiques sont unanimes. Nora Mebarek (S&D, gauche) est catégorique : “L’adhésion n’est dans aucune tête.”

Des appels à stopper l’adhésion de la Turquie

Plusieurs eurodéputés et notamment les Chypriotes, dont la partie nord de l’île est toujours sous occupation turque, se sont opposés publiquement au simple gel des négociations, qu’ils jugent trop doux. Giorgos Geordiou (The Left, extrême-gauche) dénonce : “La Commission et le Conseil sont prêts à tout céder à la Turquie.” Il met en avant le chantage opéré par Ankara autour de la migration. Les autorités turques, suite aux accords conclus en 2016 avec l’Union, ont disposé depuis de plus de 10 milliards d’euros pour garder les quatre millions de migrants syriens dans leurs frontières. Erdogan a régulièrement menacé de laisser passer les populations déplacées sur les routes migratoires vers la Grèce et la Bulgarie.

Avec le Français Christophe Gomart (Parti populaire européen, droite), le Chypriote Costas Mavrides a défendu un amendement, rejeté, qui proposait l’arrêt complet de la procédure d’intégration turque. Selon lui, ce statut de candidat donne à la Turquie un pouvoir géopolitique, qu’elle utilise pour poursuivre une “politique d’expansion néo-ottomane”. Il critique le “deux poids, deux mesures” de l’UE avec ce pays, qu’il juge dangereux par rapport à la Russie, qui fait, elle, l’objet de sanctions fermes. L’Union a des “armes économiques”, comme les sanctions, qu’elle devrait, selon Costas Mavrides, utiliser.

En effet, le statut officiel de candidat accorde à la Turquie un financement de l’UE, baptisé Instrument d’Aide de Pré-adhésion. Depuis 2007, Ankara a bénéficié de plus de 9 milliards d’euros d’aide pour s’adapter aux normes européennes et mener des réformes en vue de son intégration. Au moment où le budget de l’Union est débattu pour les prochaines années et que la tendance est aux économies, beaucoup d’eurodéputés s’interrogent sur la légitimité de cette aide au régime turc. Jordan Bardella (Patriots for Europe, extrême-droite) appelle, notamment, à “fermer le robinet des subventions”.

À l’heure de grands bouleversements géopolitiques, l’intégration de la Turquie dans l’UE est donc plus incertaine que jamais.

Matis Biller-Goeffers et Axel Guillou

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